LANCEURS D’ALERTE: Ne tuez pas le message !

La venue annoncée d’Antoine Deltour, le lanceur d’alerte à l’origine des Luxleaks, met le doigt sur une plaie bien de chez nous : entre fidélité à la discrétion et attachement aux valeurs universelles, la voie du milieu n’existe pas.

(Image : flickr_jhope)

Ce fut un de ces instants devenus très rares où la télévision peut diffuser encore de la magie, cette sorte d’envoûtement qui vous fait dire qu’elle sert encore à (faire) penser autrement. Dans son émission « Last Week Tonight », sur la chaîne américaine HBO, le présentateur britannique John Oliver, connu pour ses émissions aussi satiriques que bien documentées, s’est fendu d’un épisode de plus de 30 minutes sur la surveillance gouvernementale. Et, dans ce cadre, il a rendu visite à celui qui a, à ce jour, le plus aidé à comprendre l’immense densité du filet que les services de renseignement ont étendu sur le monde : Edward Snowden. Mais au lieu de produire une énième interview hommage au plus important lanceur d’alerte planétaire, Oliver a mis Snowden au pied du mur – notamment avec des micro-trottoirs qui démontrent que, aux States, le citoyen lambda n’a rien à foutre ni de la surveillance, ni de sa personne. L’interviewé en est resté bouche bée.

Ce faisant, Oliver a démonté un mythe, celui de la personnalité des lanceurs d’alerte qui est souvent mise en avant. Alors que ceux-ci devraient logiquement s’effacer derrière le message qu’ils veulent faire parvenir à leurs concitoyens. Ce n’est pas leur situation ni leur ego qui sont en jeu, mais bel et bien les révélations qu’ils ont publiées en prenant de gros risques.

Pourtant, dans la sphère publique, on préfère faire du lanceur d’alerte un criminel. Comme on peut le voir avec Antoine Deltour, que le Luxembourg considère comme persona non grata. En tout cas, selon des rumeurs parvenues à nos oreilles, la ville de Luxembourg aurait empêché la tenue d’un débat en présence de Deltour lundi prochain à la Cinémathèque. Si l’information se vérifiait, cela ne signifierait rien d’autre que le fait que notre pays a choisi son camp, et que la réponse de Félix Braz à une question du député Justin Turpel sur une meilleure protection pour les lanceurs d’alerte, selon laquelle une « réflexion » et des « consultations » seraient en train de se faire, ne serait qu’un moyen de gagner du temps avant de passer à autre chose.

Et c’est ainsi que la chaîne de la désinformation fonctionne : lors d’un « leak », ce n’est pas le message mais la personnalité du lanceur d’alerte – souvent décrit comme égomaniaque et narcissique – qui est mise au premier plan. Et non pas son message. Une fois l’informateur discrédité, son propos disparaît dans le flot continu d’informations et on ne s’en soucie plus.

It’s the whistle, not the blower !

Car ce qui a fonctionné pour Snowden – un sondage récent a révélé que plus de la moitié des Américains ne se souciaient pas que leur gouvernement les espionne – marche aussi au niveau luxembourgeois. À peine six mois après Luxleaks, presque personne n’en parle et le gouvernement ne semble pas vouloir en tirer les conséquences adéquates – c’est-à-dire limiter ses relations étroites avec les « Big Four » à un niveau où il ne peut pas se compromettre en tant que représentant d’un peuple et en tant que garant de valeurs universelles.

Certes, les révélations Luxleaks ne dévoilaient rien d’illégal à la base, mais un système absolument hypocrite et immoral, dont tout le monde connaissait l’existence mais préférait ignorer l’étendue. Avec comme unique résultat beaucoup d’atermoiements sur les « attaques » contre le grand-duché et quelques annonces de bonne, voire de meilleure, gouvernance.

S’il est évidemment inévitable que, au futur, les lanceurs d’alerte disposent de meilleures protections, il ne faut pas oublier que l’essentiel ce n’est pas le messager, mais bien le message.


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