POLITIQUE CULTURELLE: « Y a pas grand chose après Patricia Kaas… »

Frédéric Simon est le directeur du Carreau de Forbach, une scène nationale établie en Lorraine. Pour faire avancer la politique culturelle commune en Grande Région, il propose des Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq) dans le domaine de la culture. Il interviendra au 5e Forum Européen de la Culture et de la Société qui se tiendra ce weekend à l’Abbaye de Neumünster. Pour plus d’infos: www.ipw.lu

Frédéric Simon

Frédéric Simon : Ce sont des structures qui existent depuis assez longtemps, mais sont peu utilisées. Principalement, elles sont en usage dans le secteur du bâtiment, et surtout dans les bâtiments publics en France. C’est-à-dire que c’est déjà une nouveauté de les apporter dans le secteur de la culture.

Pourquoi cela ?

Parce qu’il y a une analyse locale qui me semble assez particulière. Quand on prend le bassin houiller, ce qu’on appelle un bassin d’emploi, donc les environs de Forbach, Sarrebruck et Sarreguémines, on y est assez isolé du reste de la France et de l’Allemagne. Du coup, on trouve assez peu de gens qui se sont orientés vers les métiers de la culture. Parce qu’on se retrouve dans un environnement culturel plutôt orienté vers l’industrie, devenir comédien ou technicien du spectacle n’est pas forcément ce qui passe par la tête des jeunes gens du coin. Dans chaque grande ville, vous trouvez une classe moyenne qui développe des aspirations artistiques par elle-même, alors qu’ici c’est – par manque d’ascension sociale – assez peu le cas. Du coup, il y a de faibles ressources locales. Un autre phénomène est l’éloignement par rapport aux grandes capitales, où on peut justement trouver des gens qualifiés. La Lorraine n’est pas tellement dotée en artistes et en techniciens du spectacle.

En quoi les Geiq pourraient-ils pallier à cette situation, alors que l’accent principal y est mis sur la formation ?

Il y a les deux : le groupement d’employeurs, qui se charge du partage de l’emploi. Par exemple, un technicien qui travaille pour le Carreau peut aussi travailler dans une commune des alentours. Vu qu’on n’a peut-être pas les moyens individuels de tous recruter une personne, mais si on s’y met à plusieurs on peut financer un temps plein. Le deuxième élément est la formation : on va former la personne pour qu’elle puisse travailler chez nous. C’est ce qu’on appelle un contrat de travail en alternance. Il y aura des moments où cette personne va travailler et d’autres où elle va être formée. A la fin nous aurons une personne formée qui va pouvoir trouver un emploi plus facilement ou que nous pourrons embaucher définitivement car elle a acquis les connaissances nécessaires pour travailler chez nous.

C’est-à-dire que les contrats de travail établis dans les limites d’un Geiq sont limités à une période de formation ?

C’est une formation en alternance qui va durer environ deux ans. Le Geiq ne répond pas à toutes les questions. A la fin de la formation on doit déjà imaginer la suite : ou la personne continue à se partager entre plusieurs employeurs, ou elle donne entière satisfaction à un des adhérents du Geiq et se fait embaucher par celui-ci, ou encore elle profite de sa formation pour aller chercher du travail ailleurs.

Est-ce une solution pour le problème des intermittents du spectacle ?

Le régime des intermittents est unique en France, et c’est là un problème : c’est-à-dire avec si peu d’heures et sur un nombre incalculable de métiers. Dès qu’on touche au spectacle – sans forcément être un artiste ou un technicien – on peut devenir intermittent. Le Geiq n’est pas une solution nationale à ce problème mais s’adresse à celles et à ceux qui voudraient quitter ce régime. On sent bien que le statut d’intermittent sera de plus en plus difficile à obtenir. Surtout dans un bassin comme le nôtre où il y a très peu d’employeurs finalement. En contrepartie celui qui quitte le régime d’intermittent risque de gagner un peu moins. Mais c’est comme dans tous les métiers : moins de risque égale moins de paie.

Quelles formations envisagez-vous dans le cadre d’un Geiq culturel ?

Le Geiq – qui sera crée en janvier 2009 – proposera quatre grandes familles de métiers : les techniciens du spectacle – ce qui peut aussi impliquer le travail dans des musées, ou dans le secteur audiovisuel -, puis vient le personnel qui oscille entre tout ce qui est communication et relations publiques, donc des personnes qui connaissent parfaitement la Grande Région et qui pourraient venir appuyer des équipes de festivals au-delà des frontières. Il y aura aussi des formations à profil artistique. Cela me semble particulièrement nécessaire, car si on regarde un peu notre bassin franco-allemand, on constate que très peu d’artistes sont sortis de là. Derrière Patricia Kaas, il n’y a pas grand monde.

Comment vous expliquez-vous cela ?

Je pense qu’il y a une culture particulière dans cette région, qui doit s’exprimer. Le problème ne réside pas tant dans la quantité des artistes mais dans le fait que la plupart ne se sont jamais professionnalisés. Il y a une forte expression amateur, des gens qui jouent du théâtre, chantent ou font leurs tableaux le dimanche, mais ils n’ont jamais sauté le pas. Je pense que s’il y a une structure de formation dans la région, peut-être que les choses changeront et que beaucoup plus de gens oseront faire de leur passion leur métier. Le quatrième profil est plutôt axé sur tout ce qui touche à l’administration, c’est-à-dire la gestion, les paies et la comptabilité. A cela s’ajoutent encore deux particularités : vu la situation linguistique, nous devrons former ces personnes à du moins avoir une connaissance du vocabulaire technique des voisins. Un technicien du son français doit pouvoir comprendre une fiche technique en allemand ou en anglais. Et puis, vu qu’on ne connaît pas l’avenir des métiers des arts et de la culture, pour ne pas enfermer les gens dans un métier ou un autre, on leur en donnera deux. Par exemple : un technicien de scène pourra aussi être initié à la soudure en aluminium, ce qui lui servira au-délà de son métier dans le secteur culturel.

Un Geiq culturel européen est-il envisageable ?

Pendant les études préliminaires à notre projet, nous avons vu qu’un Geiq fonctionne mieux s’il est de petite taille. Pour des raisons aussi évidentes que la qualité des formations et l’efficacité et la rapidité qui sont inhérentes aux petites structures. Une très bonne solution serait de créer un Geiq par pays de la Grande Région, et de les faire fonctionner en réseau, au lieu d’une lourde super-structure centralisée.


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