PHOTOGRAPHIES: On n’a que ce que l’on peut voir

« WYSIWYG – What You See Is What You Get », la nouvelle expo du CNA n’est pas thématique, mais axée sur nos modes de percevoir le monde qui nous entoure.

Pour une fois que ce n’est pas l’être humain qui se trouve au centre d’une exposition, le fait est remarquable. Les photos de Stephen Gill et de Thomas Demand, ainsi que la vidéo de Jonas Dahlberg, se réfèrent toutes à des lieux et les façons dont on peut les voir, sans toutefois mettre en scène des acteurs humains ou autres.

La démarche de Stephen Gill est peut-être celle qui reste la plus proche des hommes – et femmes – même s’il utilise un procédé teinté de situationnisme pour attirer l’attention du spectateur vers d’autres sphères. En détournant des clichés pris dans son quartier, il montre que le regard que nous portons sur la – ou plutôt les – réalité(s), peut être déjoué par de simples trucages. D’abord, ses photos nous apparaissent comme des ensembles clos. Il faut bien y risquer un second regard, pour constater que des débris végétaux sont superposés aux photos originales, de façon à les réarranger totalement. Cette altération, cependant, ne concerne pas que l’esthétique des photos, mais leur donne un nouveau sens, souvent complémentaire, parfois contraire. Stephen Gill transforme ainsi un mur, dont une paroi a été arrachée en explosion permanente en y superposant des pétales de fleurs. Pétales aussi qui sont vidés par une benne de camion municipal ou encore ces semences qui couvrent le corps d’une femme noire, à laquelle il s’est permis d’ajouter un bouquet de fleurs entre les mains. Il transpose ainsi la triste réalité du quartier de Hackney – socialement défavorisé – en un jardin de fleurs malgré tout. Un geste poétique, certes, mais non dénué d’une certaine ironie.

Une ironie qu’on retrouve dans « Invisible Cities », la vidéo de Jonas Dahlberg. Ce suédois d’origine s’est amusé à filmer une cité-dortoir suédoise anonyme, ni moche ni belle, en perspective de vol d’oiseau. Ce qui peut sembler assez anodin au premier point de vue, développe tout son charme les premières minutes passées. D’abord, la perspective de la caméra est assez surprenante et rappelle celle d’un jeu vidéo. Sans doute, Dahlberg s’est-il servi d’un avion ou hélicoptère modèle pour capturer ces images. Et puis, on se rend compte que même si le soleil illumine ces rues et ces cités peuplées de HLM et de maisons bourgeoises, il n’y a personne, mais absolument pas âme qui vive, qui circule dans ces rues. Au-delà de l’effet inquiétant voire surréaliste d’une telle perspective, le message de Dahlberg semble être qu’il vaut mieux regarder cette ville telle qu’elle est sans s’attarder à ceux qui les peuplent. Toutefois, la question du « Mais, comment a-t-il fait cela ?» persiste et intrigue le spectateur. Une possibilité serait que les images auraient été tournées la nuit, mais en été – les nuits estivales scandinaves étant le plus souvent illuminées, cela expliquerait aussi le calme qui règne dans sa vidéo.

Quant à Thomas Demand – dont l’expo ne présente malheureusement qu’une seule photo, on se demande d’ailleurs pourquoi – il est bien le seul représentant dont l’oeuvre nécessite des explications à sa compréhension. Une photo surdimensionnée montre des débris de porcelaine dans un escalier. Banal, pensez-vous ? – Et bien, c’étaient bien des vases chinois qu’un visiteur a fait tomber dans un musée et que l’artiste s’est amusé à mettre en scène. Ainsi, le « crime » ou l’accident lui-même est mis en scène, sans que l’on voie le coupable et sans que l’on place cette image sur une quelconque chaîne narrative. Simple, mais astucieux.

En tout, « WYSIWYG » est une expo intelligente, drôle et belle – malgré la petite salle, elle vaut vraiment le détour.


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