SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE: « La faim n’est pas un phénomène naturel »

Le juriste belge Olivier De Schutter est Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Lors d’un seminaire organisé par l’ONG « Sos Faim », il a parlé du droit à l’alimentation à Luxembourg.

Olivier De Schutter a donné une conférence jeudi soir à l’ancien Centre-Convict sur invitation de SOS-Faim.
Notre photo montre l’actuel Rapporteur spécial
des Nations Unies pour le droit à l’alimentation lors du
« World Summit on Food Crisis » qui s’est tenu en novembre 2009 à Rome. La conférence publique à Luxembourg était précédée d’un séminaire sur «le rôle de la société civile pour soutenir le droit à l‘alimentation et la souveraineté alimentaire à travers le monde».

Woxx : Ce jeudi, vous avez tenu une conférence à Luxembourg portant le titre « Se nourrir – un privilège ». Quels sont les points que vous avez abordé en premier ?

Olivier De Schutter : J’ai essayé d’examiner comment il se fait que, dans un monde qui dispose de tout ce dont il a besoin pour nourrir la planète, un milliard de personnes souffrent encore de la faim aujourd’hui. J’ai tenté de remonter aux causes, c’est-à-dire aux politiques qui ont été menées ces dernières années et qui ont accentué les inégalités et la pauvreté dans les campagnes.

Votre prédécesseur, Jean Ziegler, affirme que chaque enfant qui meurt de faim est en fait un enfant assassiné. Qu’en pensez-vous?

La faim n’est pas un phénomène naturel comme un tremblement de terre ou un tsunami. C’est le résultat des politiques qui ont été choisies par les gouvernements et qui ont aujourd’hui un impact dont on constate qu’il est parfois extrêmement problématique. Non pas parce que l’on n’arrive pas à produire assez, mais parce que les façons dont nous produisons accentuent la marginalisation d’un grand nombre de personnes, notamment dans les zones rurales des pays en développement.

En Europe, on fait souvent un lien entre les subventions de l’agriculture européenne et les problèmes de développement dans les pays du Sud.

Par le passé, nous avons eu un très grand nombre d’épisodes où, en raison des subventions à l’exportation, les pays en développement ont été victimes d’importations européennes à des prix artificiellement bas. L’Europe écoulait sur ces marchés des produits à bas prix qui finissaient par ruiner les productions locales. C’est évidemment extrêmement problématique. Mais en même temps, l’élimination ? nécessaire ? de ces subventions européennes à l’exportation ne résoudra pas le problème d’un coup. L’agriculture dans beaucoup de pays en développement n’est pas encore assez compétitive, et ces subventions à l’exportation ne sont pas le seul problème que les producteurs ont à affronter. Il faut surtout que ces agricultures soient renforcées par des politiques publiques qui mettent l’agriculture au centre des préoccupations.

Les représentants de l’industrie et les scientifiques proches d’eux vantent les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les biotechnologies comme moyens adéquats pour lutter contre la faim dans le monde. Qu’en pensez vous? Et quel bilan tirez vous de la « Révolution verte » ?

La Révolution verte reposait sur certaines technologies comme la mécanisation et l’irrigation et faisait appel à des variétés améliorées de semences pour le blé, le riz ou le maïs. Cette approche a eu pour conséquence d’augmenter les rendements pour les producteurs qui en ont bénéficié. En même temps, elle a laissé de côté un très grand nombre de petits producteurs. Au final, la production a certes augmenté, mais le nombre de personnes qui ont faim aussi. C’est très précisément ce que l’on risque de voir se répéter aujourd’hui si l’on se focalise sur des mesures technologiques qui ne prennent pas en compte les impacts sociaux et environnementaux. Je crois qu’on a trop mis l’accent sur l’ambition de produire plus sans tenir compte de la question de savoir qui va produire, à quel prix, au bénéfice de qui et avec quel impact pour l’environnement et les sols.

Que répondez-vous à ceux qui applaudissent votre engagement mais qui mettent en doute votre influence sur des institutions telles que l’OMC, la Banque mondiale, le FMI ou le G20 ?

Mon rôle n’est pas de prendre des décisions, mais d’obliger les acteurs nationaux et internationaux à répondre à des questions qui dérangent, de contribuer au débat public pour que les gouvernements prennent conscience de leurs responsabilités. Trop souvent, les décisions économiques et agricoles sont prises sans que leurs impacts soient totalement mesurés. Cela est peut-être dû à la présentation un peu biaisée des données fournies par certains acteurs, qui ont intérêt à ce que certaines politiques précises soient mises en place. Mon objectif, c’est d’améliorer la transparence, d’obliger les gouvernements à être responsables des décisions qu’ils prennent en leur fournissant la meilleure information disponible.

Qu’est-ce qui vous motive dans cette fonction ?

L’ampleur des défis qui sont devant nous. Comment relancer l’agriculture en Afrique subsaharienne ? où elle a été négligée pendant de nombreuses années ? sans accélérer les changements climatiques et la destruction des sols ? Comment développer une production alimentaire poussée par les petits paysans et voir leurs revenus augmenter afin que faire reculer la pauvreté dans les campagnes ?

Nous avons les moyens de relever ces défis. Mais il faut être extrêmement attentif à faire les bons choix. Au cours des trois ou quatre années à venir, l’agriculture va se transformer beaucoup plus vite que lors des générations antérieures, en raison de la soudaine mobilisation des gouvernements en sa faveur. La période qui s’annonce sera donc cruciale pour faire avancer le droit à l’alimentation dans le monde.


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