
« Dans cette exposition, rien n’est politique », racontait l’artiste Filip Markiewicz dans un reportage sur télé RTL à propos de sa nouvelle installation « Silentio Delicti ». Pourtant, en parcourant les arcanes du cloître de l’abbaye de Neumünster, on ne peut chasser l’impression que cette phrase est un leurre. Bien sûr que c’est politique, ultra-politique même. Car ce que clament les dessins et les autres éléments de l’installation n’est rien d’autre qu’une dépolitisation de l’art, de la culture et de l’homme en général. Ainsi, le « Manifeste pour la technologie de dépolitisation du corps », prône une sorte d’ordre nouveau où rien – même plus l’homme ou la nature – ne serait soumis à la domination des hommes et à leur jugement.
La belle utopie, où l’on peut lire entre autres, dans le manifeste : « Imagine une Europe basée sur la culture des peuples, sur son histoire et non pas sur l’économie, imagine une Europe où le corps humain vivrait avec l’économie et non pas sous la domination de celle-ci » présente deux aspects intéressants et inquiétants : premièrement, elle assoit la dépolitisation comme nouvelle politique, car dépolitiser est aussi et avant tout un geste politique. Dans l’exemple cité, la majorité des indignés qui occupent les places bancaires en Europe et dans le monde seraient absolument d’accord avec. Deuxio, ce n’est pas sans danger. Car la dépolitisation totale est un leurre, comme toutes les fictions politiques à caractère total. Certes, souhaiter que le cadre, le carcan économique qui écrase les populations européennes disparaisse ou du moins redevienne vivable, n’est pas une position extrémiste, mais plutôt un lieu de plus en plus commun. Pourtant, placer l’homme en dehors du cadre de son histoire, de sa nationalité et du règne de l’économie qu’il subit sur son corps à travers le travail et sur son esprit à travers l’éducation, c’est aussi le pousser au bord du gouffre, hors de son identité.
Or, dans toute l’histoire de l’humanité, le simple voeu de se défaire d’une tyrannie n’a jamais suffi. Il faut la combattre activement et? faire de la politique soi-même, que ce soit en critiquant ouvertement, en investissant les rues ou en prenant les armes. C’est là où le sens de l’installation de Filip Markiewicz souffre un peu.
Une installation qui a toutefois le mérite d’être plus qu’un assemblage d’éléments disparates, mais une vraie machine, où rien n’est laissé au hasard. Et qui, surtout, fait réfléchir, ce qui de nos jours est devenu une qualité rare dans le business artistique, soumis lui aussi, rappelons-le, au règne de l’économie.
A l’abbaye de Neumünster jusqu’au 5 mars.