EUROPE – ENVIRONNEMENT: La Pologne fait cavalier seul

Le veto de la Pologne à de nouvelles réductions des émissions de gaz à effet de serre, lors du Conseil européen du 9 mars, est symptomatique d`un gouvernement privilégiant gaz de schiste et nucléaire, au risque de rater le coche de la transition énergétique.

Paysage de la Pologne noire anthracite : pour combien de temps encore ?

Seule contre ses 26 partenaires, la Pologne a mis le frein à main à la feuille de route 2050 de la Commission européenne visant à faire diminuer progressivement les émissions de gaz à effet de serre de 25 % en 2020, 40 % en 2030 et 80 % en 2050 par rapport au taux de 1990. Pour le ministre de l`environnement polonais, Marcin Korolec, accepter de tels objectifs serait « jouer avec le futur de l`économie européenne » et « mettre en danger nos industries face à ses concurrents ». La Chambre de commerce polonaise a estimé qu`adopter la feuille de route coûterait au pays 5,4 points de croissance en 2020 et 12,5 en 2050.

Ce refus est un revers pour la présidence danoise de l`UE qui s`est donné comme objectif de faire adopter cette feuille de route malheureuse. En effet, la Pologne n`en est pas à son premier coup d`éclat. Lorsque la feuille de route fut présentée pour la première fois aux ministres de l`environnement européens en juin 2011, elle s`illustra par son « nie ». Andrzej Kraszewski, le représentant de la Pologne de l`époque, évoquait déjà un risque pour l`économie européenne.

Un mois plus tard, la Pologne prenait la présidence de l`UE et enfonçait le clou en organisant sa conférence environnementale interministérielle à Be?chatów. Le décor ne fut pas choisi à la légère puisque c`est aux alentours de cette ville du centre de la Pologne que se situe la plus grande centrale de charbon d`Europe, dont la capacité de production atteint celle de quatre réacteurs nucléaires et qui produit 20 % de l`énergie du pays. Le message était clair, la Pologne était peu encline à faire des concessions et poursuivre des négociations devant déboucher sur un engagement pour une économie « décarbonnée ».

Une stratégie qui fit long feu. A l`issue de la conférence climatique de Durban de décembre 2011, Korolec, qui était à la tête de la délégation européenne, qualifia de « percée historique » l`accord douloureusement approuvé. De leur côté, de nombreux observateurs écologistes ne le considèrent que comme un accord d`intention puisqu`il reporte à 2015 la prise de décisions contraignantes pour l`après-Kyoto.

Pour éclaircir ce tableau noir anthracite, il faut mentionner à la décharge de la Pologne qu`elle s`est engagée en 2008 à respecter les objectifs « 3×20 » de la Commission : réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, 20 % d`énergie renouvelable et augmentation de 20 % de l`efficacité énergétique d`ici 2020. La pomme de la discorde reste les 5 points de pourcentage supplémentaires pour 2020 et un engagement pour la poursuite des réductions après cette date.

Pour Andrzej Kassenberg, président de la Fondation pour le développement durable de Varsovie, la décision du gouvernement Tusk de bloquer la feuille de route 2050 n`est pas une surprise. « Le Premier ministre Tusk et le ministre de l`environnement Korolec, ancien vice-ministre de l`économie, ne croient pas au réchauffement climatique d`origine humaine. Bien qu`ils gardent les formes dans leurs déclarations, ils ne sont pas loin des positions du président tchèque Václav Klaus.» Le 13 juin 2007, Klaus comparait dans le Financial Times « l`environnementalisme ambitieux » à une « planification centralisée » digne du communisme et le considérait « la plus grande menace à la liberté, à la démocratie, à l`économie de marché et à la prospérité ».

Energie noire anthracite

Bien que le gouvernement évoque l`économie européenne pour justifier son veto de la feuille de route, celui-ci est lié à une frilosité face aux grands défis énergétiques auxquels est déjà confronté le pays. La Pologne est extrêmement dépendante du charbon. 83 % de l`énergie produite en Pologne en est issue. Le pays ne dispose pas de centrale nucléaire et les énergies renouvelables ne représentent que 7 % de la production d`énergie. Un héritage de la période « communiste ».

En 2010, la production de charbon s`élevait à 52 millions de tonnes, dont 8,8 étaient exportées. Un secteur d`activité qui emploie directement 110.000 personnes, notamment en Silésie, une région à forte tradition minière. En bloquant la feuille de route 2050, le gouvernement espère rassurer cette population. Mais elle n`est pas dupe. En 2018, les subventions européennes pour l`extraction du charbon seront supprimées, de nombreux emplois risquent de disparaître. Certains syndicats préfèrent prévoir l`après-charbon faute de pouvoir préserver cette industrie. Le Syndicat des mineurs polonais notamment travaille aux côtés d`organisations écologistes pour préparer une transition énergétique porteuse d`emplois.

Pour Andrzej Kassenberg, au-delà de l`influence des syndicats sur la décision du gouvernement, c`est le travail de lobby de PGE, la plus grande entreprise énergétique et deuxième entreprise du pays, qui a surtout porté ses fruits. PGE produit 86 % de l`énergie du pays. Elle possède deux mines de charbon et une quarantaine de centrales énergétiques dont celle de Be?chatów. PGE est aussi propriétaire de huit réseaux de diffusion d`énergie. Si le pays s`engage à consommer moins, à accroître son efficacité énergétique, c`est autant d`argent en moins pour ce géant de l`énergie.

« Entre le gouvernement et PGE, difficile de dire qui décide en matière d`énergie », estime Kassenberg. Naturellement, la décision de Korolec au Conseil européen l`attriste. Une bonne chose pour le pays aurait été un « oui, mais » du ministre de l`environnement. « Il aurait dû négocier un opt-out, une dérogation partielle. Le Royaume-Uni l`a bien eu sur le budget de l`UE, la France aussi dans le cadre de la PAC. » Mais les Européens auraient dû courber l`échine, ce qu`ils ne semblent pas prêts à faire. Kassenberg déplore un certain manque de compréhension de la spécificité et de la difficulté de la situation énergétique polonaise.

Deal franco-polonais ?

Pourtant, cette situation n`est pas une fatalité. La Fondation pour le développement durable est membre de la Coalition climatique, qui cherche à porter les questions liées au réchauffement climatique sur le devant de la scène. La Coalition climatique a participé avec l`université de Budapest à la réalisation d`un programme pour une transition énergétique en Pologne. L`idée est de dépasser le système actuel basé sur de grands producteurs gourmands en carbone et se reposant sur un réseau de distribution très centralisé, pour atteindre un modèle de production « diffuse », issue d`un réseau de producteurs indépendants. « Alors que le gouvernement prétend que respecter la feuille de route 2050 serait néfaste pour l`économie, ce programme prouve qu`il est possible de la respecter en ne causant qu`une baisse ponctuelle du PIB et en créant à terme 300.000 emplois nets dans les industries ?vertes`. Ce serait une décision stratégique », précise Kassenberg.

Si le gouvernement Tusk prépare bien une loi pour promouvoir les énergies renouvelables, qui sera discutée cet été, il est loin d`en soutenir activement leur développement, bien au contraire. A l`ordre du jour se trouvent l`exploitation commerciale des gisements de gaz de schiste dès 2014 (voir le woxx n° 1131) et la construction de deux centrales nucléaires, la première devant être opérationnelle en 2020.

Bien qu`il fut présenté l`année dernière par Tusk comme une solution miracle à la dépendance polonaise au gaz russe, le gaz de schiste fait moins rêver. Alors qu`une étude de l`agence américaine EIA tablait sur des réserves permettant à la Pologne de couvrir ses besoins actuels en gaz pendant trois siècles, la première étude officielle estime que cette période ne dépasserait pas les 60 ans. Cela reste remarquable et pousse le gouvernement et l`opposition à encore éluder les risques humains et environnementaux liés à son extraction. Seul le parti des Verts polonais, Zieloni 2004, non représentés au Parlement, tente de mobiliser la société civile sur le sujet, accompagné ponctuellement par le Mouvement de Palikot, un nouveau parti ayant fait une entrée surprenante au parlement en octobre dernier avec 10 % des suffrages, devenant ainsi la troisième force politique du pays, et qui soutient quelques idées des Verts.

Si le gaz de schiste ne fait pas débat, l`énergie nucléaire, elle, est loin de faire l`unanimité chez les Polonais, 48 % se disant contre. Pour Agnieszka Grzybek, présidente de Zieloni 2004, si le gouvernement insiste malgré tout, « c`est parce qu`il a conclu un accord tacite avec Nicolas Sarkozy en 2008. La France a défendu la Pologne sur certaines questions énergétiques, en échange, la Pologne s`est engagée à ?faire gagner` le marché public au géant du nucléaire français Areva. » A vérifier dans quelques semaines, après conclusion de l`appel d`offre public. En attendant, le ministère de l`Economie a lancé une campagne médiatique pour faire augmenter l`acceptation du nucléaire : « Oui au nucléaire en Pologne ». PGE prépare elle aussi sa propre campagne.

Les prochaines élections législatives se tiendront en 2014. Agnieszka Grzybek espère que d`ici là, les questions d`écologie et de transition énergétique seront partagées par les électeurs. Mais avant que les grands partis les adoptent dans leur programme, il faudra probablement attendre encore une élection. Pour ce qui est de la feuille de route européenne 2050, le prochain rendez-vous officiel pour la poursuite des négociations est fixé au mois de juin. L`attention sera, de nouveau, rivée sur Korolec.


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