JEAN-CLAUDE JUNCKER: Ceinture noire

Fatigué, Juncker ? Usé ? Peut-être. Mais tant que ses principaux contradicteurs – qui n’ont jamais été en forme – continueront à se prendre les jambes dans leurs incohérences social-libérales, il les maintiendra au tapis.

Comme tant de choses qui viennent d’extrême-orient, les arts martiaux répondent à des logiques simples, mais redoutablement efficaces. Le judo en est un parfait exemple : ce sport de combat repose sur le principe de l’agilité, mais également de la souplesse, qui permet de retourner la force ou la brutalité de l’adversaire à son profit. S’il n’a pas la réputation d’être un athlète de haut niveau, le premier ministre Jean-Claude Juncker n’en détient pas moins une ceinture noire de judo politique. Ce premier janvier, à l’occasion de son entretien de plus d’une heure sur RTL avec Caroline Mart, Juncker a pu donner un nouvel exemple de son art du sophisme.

On aura d’ailleurs noté l’aveu du premier ministre de préférer les entretiens aux « talkshows où tout le monde se tire dans les pattes ». Normal : Juncker préfère la confrontation avec un seul contradicteur ramené au rang de simple poseur de questions. Car dans ce domaine, il détient un avantage : en tant que membre du gouvernement depuis 30 et chef de ce dernier depuis 17 ans, il dispose d’un surplus d’informations difficile à égaler. Ne l’a-t-il pas dit lui-même ? « Le plus important en politique, c’est d’être bien informé et de bien connaître ses dossiers », a-t-il confié à Mart. Un indice que nombre de ceux qui veulent lui porter la contradiction devraient méditer.

Mais cela n’est pas son unique fort. Revenons au judo : si tant d’opposants politiques ont du mal à lui tenir tête, c’est qu’ils s’empêtrent eux-mêmes dans leurs contradictions politiques. Juncker aussi, et très souvent d’ailleurs, mais son incroyable insolence lui permet de passer outre. Toutefois, face à un adversaire cohérent avec lui-même et qui plus est « bien informé », Juncker vacille. Heureusement pour lui, cela lui arrive rarement.

Ainsi lui était-il aisé de balayer d’un revers de main un certain nombre de critiques. La tiédeur de son parti concernant le tram ? Il aurait toujours été pour (il ne s’est en tout cas jamais prononcé contre), contrairement à d’autres partis qui auraient tout fait pour saborder le projet, ce qui, concernant le DP, est plus que vrai. Plus intéressant encore : la discussion autour de la reprise finalement avortée de la Cargolux par le Qatar. Qu’y aurait-il de mal à ouvrir les marchés ? N’est-il pas normal que des sociétés luxembourgeoises, à l’instar d’autres entreprises européennes, se mettent en quête d’investisseurs de puissances émergentes, qui, par la force des choses, se situent dorénavant en Asie et Orient ? Cette réponse, en forme d’interrogation, est comme toujours lapidaire et cet « angle de défense » prête peu de flanc aux autres grands partis : ces derniers ne remettent pas en cause le principe même de l’ouverture des marchés et se font au même titre que le CSV les chantres de « partenariats » globaux. Qu’ont-ils à redire ? La législation sociale qatari ne serait pas en adéquation avec les « traditions » luxembourgeoises ? Celles d’Allemagne, de France, de Belgique et des Pays-Bas non plus rappelle-t-il. Pour celles et ceux qui n’auraient pas bien compris l’allusion à la marge : la petite pique mouillée d’acide s’adresse notamment aux socialistes dont les homologues des pays précités ont quasiment presque tous « flexibilisé » la législation sur le travail.

A l’aide de cet exemple qatari, Juncker fait une bouchée double des deux principaux partis concurrents : économiquement libéral dans ses actes, il se montre plus cohérent dans ce domaine que ne l’est le DP. Juncker est assez cynique pour ne se faire aucune illusion sur ce modèle, contrairement aux libéraux qui y croient benoîtement. Social-démocrate dans son analyse, il se montre aussi plus lucide que le LSAP sur les conséquences des libéralisations que nombre de leaders du centre-gauche justifient avec l’absurdité du déboussolé. Juncker est fort face à des contradicteurs moins expérimentés. Il fait preuve avec succès de mauvaise foi et de raccourcis. Mais il sait surtout tirer avantage des faiblesses et inconséquences des « sociaux-libéraux » de tous poils et continuera à les battre avec les armes qu’ils lui fournissent.


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