A l’instar de ses homologues de gauche du continent, le président de l’Equateur a été réélu haut la main. Malgré les difficultés, la gauche latino amplifie son soutien populaire.
Rafael Correa est redevenu président de l’Equateur. Redevenu, en effet, car il avait demandé à l’Assemblée qu’elle le libère de ses fonctions à partir du 15 janvier afin d’éviter qu’il y ait confusion entre son mandat de chef d’Etat et son statut de candidat à sa propre réélection. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais il illustre bien l’originalité de ces mouvements de gauche qui ont été portés au pouvoir dans un grand nombre de pays d’Amérique latine depuis la fin des années 1990. La liste est longue : le Venezuela, la Bolivie, l’Argentine, l’Uruguay, le Nicaragua, l’Equateur, le Brésil, le Pérou. Il y eut aussi le Honduras et le Paraguay. Les oligarchies locales appuyées par Washington ayant compris qu’elles ne pourraient se débarrasser de ces gouvernements populaires par des voies démocratiques et par les méthodes de déstabilisation et de provocation, elles y ont fomenté des coups d’Etat. Rappelons au passage que le coup au Honduras et l’installation frauduleuse du nouveau président furent aussi honteusement avalisés par notre gouvernement.
« Les Latinos ont déclenché des dynamiques dont nous ne pouvons que rêver. »
Ces gouvernements ne peuvent évidemment pas tous être rangés dans le même tiroir. Les processus de transformation qui s’opèrent en Amérique latine sont complexes, font face à toutes les contradictions inhérentes aux changements fondamentaux. Certains, comme au Brésil, sont moins audacieux, ce qui leur vaut d’ailleurs le soutien du mainstream politique européen. Au Nicaragua, le sandiniste Daniel Ortega a forgé une alliance avec des secteurs réactionnaires de l’église catholique. Un comble pour le mouvement sandiniste qui s’appuyait sur l’émancipatrice théologie de la libération.
De ce côté-ci de l’Atlantique, le citoyen moyennement informé ne retient de ces gouvernements que les griefs inventés, simplifiés ou amplifiés. Nous autres Européens adorons donner des leçons au reste du monde et, même à gauche, certains ont du mal à se départir d’un regard condescendant envers des expériences originales dans les régions de la « périphérie ». Ces gouvernements, qui sont surtout des émanations de mouvements populaires, féministes, indigènes et paysans, sont évidemment imparfaits. Mais ils ont déclenché des dynamiques sociales et démocratiques dont nous Européens ne pouvons pour l’instant que rêver. Et les clichés ont la dent dure, surtout en ce qui concerne les Latinos. Forcément, ils sont machistes et homophobes. Ces tendances y existent, bien évidemment, comme en Europe, comme l’on pouvait encore s’en rendre compte récemment. Pourtant, Cuba légifère sur le « mariage pour tous » et la reconnaissance des personnes transgenres. Tout comme le Venezuela. Et l’Argentine, patrie du tango, est déjà passée à l’acte.
Les Latinos sont forcément autoritaires : puisqu’ils se réfèrent à Simon Bolivar et qu’Hugo Chávez est un militaire. Pourtant, de nouvelles formes de démocratie de base, des conseils de quartier et d’entreprise ont été créés. Et tous les mandataires sont révocables. Chávez lui-même a dû se soumettre à cette procédure qu’il avait introduite. Les Latinos sont forcément hostiles à la liberté de la presse. Le président réélu de l’Equateur (ce fut le cas aussi en Argentine et au Venezuela) fut accusé des pires crimes en la matière. Par les journalistes ? Plutôt par les propriétaires des grands groupes médiatiques qui voyaient d’un mauvais oeil une législation brisant leurs monopoles.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés, les contradictions ou les erreurs que ces gouvernements peuvent commettre. Mais il serait encore plus absurde de nier les progrès sociaux, démocratiques ou environnementaux qu’ils ont engendrés. Car ce n’est pas pour rien que, à l’instar de Rafael Correa, ils remportent haut la main élection sur élection depuis 15 ans.