En automne 2013 n’auront pas seulement lieu les élections parlementaires anticipées, mais aussi les élections sociales. Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle le travail syndical reste d’actualité, trouve Jean-Claude Bernardini.

A l’OGBL. Jean-Claude Bernardini est à la fois un des vice-présidents et sécrétaire central du syndicat sidérurgie et mines. (Photo: OGBL)
woxx : Vous venez ce matin d’une nouvelle réunion avec les responsables d’Arcelormittal, avant de vous revoir devant le conciliateur le 17 septembre. Avez-vous obtenu quelques avancées ?
Jean-Claude Bernardini : Oui et non. Sans aller dans les détails, nous avons fait une contreproposition à leur position. Une position qui consistait en une dégradation – qu’ils appellent ?modernisation` – du contrat collectif encore en vigueur. Nous avons fait savoir que ce ne serait pas possible avec nous. Certes, la firme, depuis qu’elle existe en tant qu’Arcelormittal, est en train de se restructurer. Nous le comprenons, tout comme le fait que la situation économique mondiale n’est pas rose et qu’Arcelormittal veut assainir ses finances. Mais nous ne sommes pas d’avis que ces choses devraient se faire sur le dos de nos travailleurs. Nous sommes prêts à discuter de l’évolution salariale, mais uniquement dans le cadre d’un nouvel accord tripartite, qui nous mènerait vers un accord LUX2020.
Qui n’existe pas encore.
Exact, en ce moment c’est encore l’accord LUX2016, qui a été accepté en 2012, qui prévaut. Mais nous voulons des garanties au-delà de cette date. Puisque Arcelormittal dit toujours vouloir ?moderniser` les conventions collectives pour assurer une certaine pérennité à leurs sites, nous les prenons au mot en leur faisant comprendre que s’ils veulent la pérennité, nous voulons aussi des garanties à l’horizon 2020. Et cela doit impliquer la formation, des investissements et la garantie des CDR (cellules de reclassement) et des préretraites. Si cela est possible, nous sommes prêts à aller à leur encontre.
Mais les CDR et les préretraites, ne sont-elles pas de toute façon financées par l’Etat ?
C’est vrai en grande partie. La partie à payer par les firmes est entre zéro et 50 pour cent et l’Etat peut dire à tout moment qu’il arrête de payer sa part. Ça fait d’ailleurs partie des accords LUX2016 – le ministre de l’Economie ou le ministre du Travail peut à chaque instant réviser la partie payée par l’Etat.
En quelle mesure Arcelormittal a-t-il tenu les promesses de LUX2016 ? Il y a eu quelques investissements à Belval, mais sinon, pas grand-chose?
C’est un peu plus compliqué que cela. Sans vouloir défendre Arcelormittal, le paquet global ne comprend pas de date butoir – donc ils ont le temps jusqu’à la fin 2015 pour tenir leurs promesses. Et pour le moment, les investissements promis ont été tenus. Et cela comprend de nouvelles infrastructures, mais aussi des investissements à certains postes dont ils ont besoin pour assurer la production.
« Et en ce qui concerne la phrase d’Etienne Schneider : si c’était vrai, cela voudrait dire que l’économie est une science exacte. »
Début 2013, le ministre de l’Economie Etienne Schneider a dit la phrase suivante dans une interview au woxx : « Economiquement parlant, tous les actes de Mittal sont compréhensibles. » Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Oui, on peut comprendre tout sous un angle économique, mais cela ne veut pas dire qu’on doive être d’accord sur tout. C’est aussi un des problèmes que nous rencontrons au niveau européen – comme nos collègues de l’étranger – avec Arcelormittal : que nous ne sommes pas d’accord avec les décisions prises par le groupe. Que ce soit en matière économique, que ce soit en matière de rationalisation et de fermetures de sites.
Vous sentez-vous encouragé et assez soutenu par la classe politique luxembourgeoise ?
Est-ce que je dois commencer à parler comme un politicien ? (Rires.) Non, la politique a tout de même aidé à préserver un certain modèle social, comme la préretraite et les CDR. Mais là où elle nous a déçus c’est qu’elle n’est pas allée assez loin en ce qui concerne les lois sur les licenciements et les restructurations. Car il est toujours très difficile d’accepter que des firmes, et pas uniquement Arcelormittal, licencient alors qu’elles font des bénéfices. Une autre déception provient du ministère du Travail qui n’a pas réussi à faire passer la loi sur les délégations, qui aurait mieux organisé la représentation syndicale dans les firmes. Mais bon, je ne veux pas m’attaquer uniquement aux ministres du Travail et de l’Economie – c’est le tout le gouvernement qui est responsable de la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui. Le CSV a aussi poussé dans cette direction. Et en ce qui concerne la phrase d’Etienne Schneider : si c’était vrai, cela voudrait dire que l’économie est une science exacte et qu’on peut fonder peut-être beaucoup de choses sur elle, mais que cela n’oblige personne à être d’accord.
Surtout que les perspectives d’Arcelormittal sont tout sauf roses. L’année dernière les dettes de la firme étaient plus hautes que sa capitalisation en bourse.
Mais là on peut se poser la question si une telle situation n’est pas voulue. Est-ce qu’Arcelormittal – et surtout l’actionnaire principal, la famille Mittal – a un intérêt à ce que ces actions décollent ? De toute façon, l’entreprise continue à payer des dividendes. Mais le problème principal reste la dette. Celle-ci est assainie en partie par une recapitalisation, mais aussi en fermant des sites. Il reste à savoir si ça fonctionne vraiment. Par exemple pour Schifflange : Arcelormittal prétend faire des économies car le site faisait des pertes, pourtant il reste la question des coûts d’assainissement du site qui requièrent des millions. Cela dit, je désapprouve toujours la fermeture de Schifflange, car en outre elle viole un accord européen de 2006 avec la fédération européenne sur les anticipations des restructurations, et où les licenciements et les fermetures avaient été exclus. Arcelormittal a clairement brisé cet accord.
Et puis il y a encore cette histoire de l’audit sur Schifflange. Il n’a pas pesé non plus dans la décision d’Arcelormittal ?
Nous avons fait faire cet audit et la conclusion nous a clairement donné raison : le site de Schifflange restait viable. Le problème est pourtant que des audits semblables avec des résultats semblables aussi ont été effectués par des syndicats belges et français de leur côté. La suite a toujours été la même : Arcelormittal n’en avait cure et a fait à sa guise.
« Cela veut dire qu’on a au Luxembourg un certain know-how humain difficile à outsourcer d’un coup de baguette magique. »
Mais est-ce que Schifflange par exemple, même si rendu rentable par des investissements, aurait produit les produits qu’Arcelormittal désirait ?
La vraie question est quand même de savoir : quels sont les profits nécessaires ? C’est le problème quand on parle d’Arcelormittal : quelle marge est-ce que je veux ? Le reproche que nous faisons au groupe au niveau international, c’est que malgré la crise manifeste – qui ne peut pourtant pas être si grave dans le secteur de la sidérurgie puisque en somme on n’a jamais produit autant d’acier qu’aujourd’hui – ils ne veulent pas vendre en dessous d’un certain prix. Ce qui leur a fait perdre des parts de marché en conséquence.
D’autres rumeurs disent que Mittal n’attendrait que l’année 2017, date à laquelle il pourrait sortir du Luxembourg certains brevets de produits phares, pour stopper net la production ici. Que savez-vous là-dessus ?
J’ai entendu ces rumeurs. Mais je n’en sais pas plus. Toutefois, si c’était vrai, ce ne serait pas de bon augure. Même si on a déjà vu à l’exemple de Rodange, où ils voulaient baisser la production de certains produits comme les poutres Grey pour les faire produire en Pologne, qu’ils ne réussissaient pas à produire la même qualité. Cela veut dire qu’on a au Luxembourg un certain know-how humain difficile à outsourcer d’un coup de baguette magique.
Pour en venir aux élections sociales : le but de l’OGBL est donc toujours d’obtenir un syndicat unique ?
Dans l’idéal oui. Mais notre premier but est de garder nos sièges à la Chambre des salariés et dans les entreprises, voire d’améliorer notre score. Et en ce qui concerne le syndicat unique, je renvoie à nos statuts qui stipulent sa création depuis que le LAV (Lëtzebuerger Arbechter Verbond) est devenu l’OGBL.
Mais est-ce que votre récente rupture des rapports avec le LCGB ne vous éloigne pas davantage de ce but ?
D’abord, la rupture ne vient pas de nous, mais d’eux. Nous leur disons depuis toujours de nous rejoindre pour mieux travailler ensemble. Mais nous entendons toujours la même réponse : nous avons le droit d’exister en tant que syndicat chrétien, voire catholique. Alors que le travail syndical dans une entreprise n’a pas grand-chose à voir avec la croyance – qui est une chose privée. Il s’agit de donner la meilleure défense possible à l’ensemble du salariat. Un syndicat unique n’exclut pas la possibilité de discuter.
Votre travail n’est pas devenu plus difficile suite à la rupture ?
Non, pas vraiment. Nous collaborons avec eux tant qu’ils jouent selon les règles. Certes, il y a eu des problèmes, notamment pendant les négociations avec Arcelormittal, où le LCGB a cru devoir prendre des positions plutôt démagogiques. Mais cela n’a pas endommagé notre position.
« Ce serait intéressant de voir gagner en octobre un parti qui se dit contre le maintien de l’indexation des salaires et trois semaines plus tard voir gagner un syndicat qui revendique le contraire. »
Cette année a aussi été celle où on a vu les syndicats sous un mauvais jour, à cause des scandales dans les initiatives pour l’emploi. Même si, structurellement, l’OGBL et OPE sont deux choses différentes, les syndicats ont-ils perdu en crédibilité à cause de ces scandales ?
Question difficile. Personnellement je ne le pense pas. En tout cas, je n’ai pas ressenti de grandes différences avant ou après ces problèmes. Je pense qu’on a fait aussi un amalgame entre OGBL et OPE. Mais directement l’OGBL n’a été impliqué dans OPE que par la personnalité de John Castegnaro, qui l’a cofondé. Après, nous sommes allés dans des directions très différentes. Même si bien sûr il y a eu des membres de l’OGBL dans ces structures. Mais nous avons des membres dans beaucoup d’organisations, voire des partis politiques, les socialistes, les Verts et déi Lénk aussi. Au fond, ces initiatives ont tout de même témoigné d’un manque d’intérêt et de savoir-faire de l’Etat pour contrôler le chômage. Si tout avait été parfait, aucune de ces initiatives pour l’emploi n’aurait vu le jour. Il ne faut pas oublier cela non plus.
Restons dans le monde politique et posons la question à un million : quel parti est le plus proche de vos buts en tant que syndicat ?
C’est une bonne question. Par rapport à ce que nous allons dire dans notre résolution, qu’on a arrêtée ce lundi, dans laquelle nous listons nos revendications, les gens peuvent choisir le parti qui les représente le mieux.
Votre président Jean-Claude Reding s’est tout de même rapproché publiquement de déi Lénk cet hiver lors d’une manifestation contre l’austérité.
Oui, en effet, cette déclaration a été faite. Mais c’était bien avant les élections anticipées. Pourtant, nous n’allons pas dire à nos adhérents pour qui ils doivent voter. C’est à eux de choisir parmi les candidats – et comme j’ai déjà dit vous pouvez trouver des militants et même des gens qui travaillent pour nous dans toutes les formations politiques qui se disent de gauche. De même que pour les élections sociales, vous trouvez des candidats OGBL affiliés à des partis différents.
Est-ce que vous voyez le risque que le résultat des élections parlementaires pourrait influer sur celui des élections sociales, qui se tiennent trois semaines plus tard ?
Je ne pense pas, même si on peut avoir des opinions différentes là-dessus. Premièrement parce que ce ne sont pas les mêmes électeurs. Les 150.000 frontaliers et les résidents non-luxembourgeois ne se sentent sûrement pas du tout concernés par les élections nationales, ou beaucoup moins en tout cas. Et puis, à la grande différence de ces dernières, lors des élections sociales on peut élire des candidats qui travaillent dans la même entreprise que les électeurs – donc qui sont beaucoup plus proches. Mais ce serait intéressant de voir gagner en octobre un parti qui se dit contre le maintien de l’indexation des salaires et trois semaines plus tard voir gagner un syndicat qui revendique le contraire.
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