EXPOSITION COLLECTIVE: Jeux de mémoire

« Keep your Feelings in Memory » – sous ce titre, l’association Borderline vient d’inaugurer une exposition d’art contemporain dans un lieu plutôt insolite : le Musée national de la Résistance.

Travail personnel et re-enactment du passé : l’oeuvre « lehenleiten » de Moussa Kone.

Borderline, ce petit bureau d’artistes organisé par Michèle Walerich et Claudia Passeri a été créé en 2006, mais avait peu à peu disparu ces dernières années. Pour cette fin 2013 pourtant, le projet a été ressuscité pour une exposition vraiment hors du commun. Dans « Keep Your Feelings in Memory », une flopée de jeunes artistes luxembourgeois et internationaux – Laurianne Bixhain, Claire Decet, Moussa Kone, Seulgi Lee, Catherine Lorent, Philippe Nathan, Luis Nobre et Claudia Passeri – ont eu le droit d’investir un musée pas comme les autres – celui de la Résistance. Au coeur des polémiques depuis sa création, il est la preuve vivante de la schizophrénie de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale – vu que les historiens de droite et de gauche s’entre-déchirent depuis toujours sur son contenu et sa fonction. De plus, le « musée rouge » est aussi l’enfant mal-aimé des milieux politiques, comme on peut le voir à l’état pitoyable de ses infrastructures, malgré les promesses des différents gouvernements. A ce qu’il paraît, l’arrivée de Maggy Nagel au ministère de la Culture pourrait changer la donne – en tout cas, le musée est mentionné dans le programme gouvernemental.

Quant aux artistes, une approche de dialogue avec le bâtiment lui-même a été retenue, car avec cette froide architecture de la guerre froide, que certains qualifient même de « nazie », difficile de faire autrement. La première pièce, « La Dimension Cachée » de Philippe Nathan, est tellement grande, que certains l’ont loupée lors du vernissage. Située dans le « hall sacré » où se trouvent les urnes contenant du sol extrait des différents camps de concentration, elle n’est en fait qu’un énorme miroir en polyéthylène métallisé. Ainsi, le « hall sacré » s’agrandit, se dédouble et une certaine dignité lui est rendue. Le « Couloir » de Claudia Passeri est un tapis de fleurs et de copeaux de bois, délimité par des scories industrielles et monté en forme d’ADN. La filiation, les traditions – les couleurs font penser aux chemins de procession – et le passage du temps, qui fait se faner la mémoire, sont ici rassemblés en une installation esthétique au centre du hall du musée. A côté dans une vitrine, Claire Decet a exposé une série de mains en terre cuite, certaines difformes, d’autres plus anatomiquement correctes – elle fait allusion aux vestiges que nous ont laissés les premiers hommes, les impressions de mains dans les cavernes. Aussi dans le hall, mais faisant déjà la connexion avec le premier étage, « BATON » de Seulgi Lee : des banderoles enroulées, assemblées sans ordre précis, qui nous rappellent des luttes anciennes dont la mémoire est toujours en désordre. Au premier étage, on trouve « Sonntagnachmittagstimmung » de Laurianne Bixhain. Un travail sur la mémoire au sens propre, l’affiche reproduite en grande quantité est un motif extrait du « Luxemburger Wort » de l’année 1940, alors que le Luxembourg était déjà sous le joug de l’occupant nazi. La photo qui montre un ciel nuageux illustrait une rubrique appelée « Heimatlicher Sonntag », dans laquelle le lecteur devait être distrait des affres de la guerre. « lehenleiten » de Moussa Kone est un travail plus personnel. Sur une table de travail, dont les pieds représentent l’alpha et l’oméga de l’alphabet grec, l’artiste présente une série de dessins qui racontent la fuite de son grand-père, qui se cachait pour ne pas être enrôlé à quelques jours de la fin de la guerre. Pour ce faire, Kone a revisité les lieux et dessiné certaines impressions qui lui avaient été transmises par voie orale. L’approche de Luis Nobre est tout autre – pour « Secteur V », il a travaillé sur la muséographie même, ce qui donne à son oeuvre un aspect beaucoup plus froid et formel. Pour y parvenir, il a détourné certaines vitrines, en remplaçant les objets par des symboles et en reproduisant en grand le motif des plaques du chauffage du rez-de-chaussée. Si son intervention est bien visible et même esthétique, elle reste cependant le maillon faible de « Keep your Feelings in Memory ». Malheureusement, la performance de Catherine Lorent, qu’elle a présentée lors du vernissage samedi dernier, ne sera plus reprise – son interprétation des « Réminiscences censurées » a laissé une impression durable sur le public présent. En bref, si vous n’avez pas encore visité le Musée national de la Résistance, voilà le moment idéal d’y passer, l’occasion est assez unique.

Au Musée national de la Résistance, jusqu’au 24 avril 2014.


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