Art vidéo
 : Dickens 2.0


Pourvues d’une grande conscience sociale et d’une esthétique troublante, les vidéos de Rachel Maclean confrontent le monde du divertissement à une misère bien réelle.

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Déjanté mais profond : le travail de Rachel Maclean met en relation tous nos systèmes de compréhension. (Photo : © Rachel Maclean)

Rachel Maclean est une découverte. Cette jeune artiste écossaise, née en 1987, dont « Ok, You’ve Had Your Fun » est la première exposition institutionnelle hors du Royaume-Uni, a la capacité de créer un monde artistique captivant et original dès la première seconde de la rencontre. Elle est aussi une artiste radicale qui ne semble pas faire de compromis quant à sa vision des choses.

Ainsi, le premier travail situé dans le hall du Casino, « Let It Go », est une combinaison de six écrans vidéo où six personnages différents – tous joués par l’artiste elle-même, comme dans toutes ses vidéos – chantent la chanson du même nom, extraite du film de Disney « La Reine des Neiges ». Mais, entre les chants, les personnages se livrent à une présentation de leur intérieur morbide : fillettes cherchant un peu d’attention auprès de vieux pervers sur l’internet, drogués sans domicile fixe ou encore jeunes avec des problèmes d’agression… tout y est. Et c’est le contraste entre les costumes fantaisistes et leur physique disgracieux – les dents noircies surtout, un thème récurrent – qui provoque ce glissement entre « freak show » et critique sociale.

Peut-être la meilleure pièce de l’exposition est-elle « Please Sir… », une installation vidéo sur deux écrans dans la grande salle du rez-de-chaussée. Ici, Rachel Maclean rejoue « Le prince et le pauvre » de Mark Twain en version trash, en y ajoutant des éléments d’« Oliver Twist » de Charles Dickens et en y glissant des références à « Britain’s Got Talent » – une émission télévisée. Le contraste entre la consommation de drogues, les différences entre classes sociales et les jeux de pouvoir forcent en quelque sorte le spectateur à décider quel écran et quelle fiction il veut suivre. Et cela même si un dialogue entre les deux vidéos s’installe de temps en temps. Ce qui fait de « Please Sir… » une œuvre qui ne peut laisser indifférent.

Dans le même registre, « Over the Rainbow », la plus longue installation avec ses 42 minutes, reprend des thèmes de l’enfance. Pour l’artiste, l’idée était « d’explorer la place de l’enfant dans le monde des adultes ». Pour ce faire, elle a utilisé de vieux décors en Technicolor – importés de films pour enfants des années 1950 et 1960 – et a mis en scène une farce grotesque impliquant des personnages tirés aussi bien du monde pop de la télévision commerciale que du domaine littéraire. Le plus intéressant est que – comme pour d’autres installations – Rachel Maclean utilise le procédé du cut-up pour le son et la construction narrative de son travail. C’est-à-dire que toutes les voix qu’on entend proviennent de sources différentes, qu’elles soient cinématographiques ou télévisuelles.

Finalement, « Germs » est un travail plus accessible. D’un format plus court, il décrit d’un ton persifleur une femme glamour qui, par le biais de fausses publicités, tombe de plus en plus profondément dans l’angoisse d’une attaque de bactéries malfaisantes. Si elle est plus drôle à voir, cette installation manque tout de même un peu de la profondeur et de la subversion de celles qu’on vient de décrire.

Tout ça fait de « Ok, You’ve Had Your Fun » une exposition extraordinaire à découvrir, ne serait-ce que parce qu’on peut être sûr que Rachel Maclean n’a pas fini de faire parler d’elle.

Au Casino – Forum d’art contemporain, jusqu’au 3 janvier 2016.


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