Arts pluriels : Let’s Go to Mars

Esch 2022 poursuit sa programmation en proposant à la Konschthal une escapade insolite vers la planète rouge, tout en alertant sur les dérives de la conquête spatiale.

Photos : Nuno Lucas da Costa

L’expo « New Minett » constitue le quatrième et dernier chapitre du projet pluridisciplinaire « Esch-Mars. De terres rouges en terres rouges », destiné à aborder la colonisation martienne et les utopies sociétales. Dans l’ascenseur de la Konschthal redécoré pour l’occasion, les visiteurs-euses se verront allégoriquement propulsé-es comme dans une capsule aérospatiale au troisième étage du bâtiment. Il ne manquerait plus que nous faire écouter simultanément le morceau « Space Oddity » de David Bowie. En sortant, le public sera face à une ambiance obscure imprégnée d’éclairages minimalistes. On pensera par moments qu’il s’agit d’une stratégie d’économie d’électricité, par les temps qui courent. On se rendra néanmoins très vite compte qu’il s’agit de vivre l’expérience de mettre pied à terre sur un espace totalement mystérieux, où même le silence est une pure inconnue.

Cela dit, « New Minett » n’est pas pour autant un espace vide de sens. Le prouve la vaste participation de scientifiques, chercheurs-euses, entrepreneurs-euses et artistes qui ont savamment épaulé l’équipe de curation composée de Sandy Flinto, Pierrick Grobéty et Daniel Marinangeli, également à l’origine de la compagnie de spectacles Eddi van Tsui, responsable de la mise en œuvre de l’expo. Celle-ci est parsemée d’objets précieux. Nous pourrons y voir entre autres le fragment d’une météorite martienne découverte dans le désert du Sahara en 2014, plusieurs anciens comic books de science-fiction, dont certains appartenant à l’injustement méconnu Hugo Gernsback, la première photo rapprochée de la planète Mars, datant de 1965, faisant la une de l’ancien quotidien « France-Soir », ou encore une première page historique du journal « Le Monde » du 22 juillet 1969, confirmant les premiers pas de Neil Armstrong et Buzz Aldrin sur la Lune.

Le même mois, 48 ans plus tard, le Luxembourg votait sa première loi sur l’exploitation et l’utilisation des ressources spatiales. L’atteste une version fidèle du Journal officiel du gouvernement de l’époque. Le grand-duché devint ainsi le premier pays européen à légiférer dans ce sens et le deuxième au niveau mondial, juste après les États-Unis. Telle la déclaration de Robert Schuman qui a fondé l’Union européenne, l’expo reprend celle prononcée par le ministre de l’Économie de l’époque, Étienne Schneider, qui porte la signature de cet élan spatial luxembourgeois : « Nous voulons devenir une nation de l’espace. Nous n’en sommes encore qu’aux prémices, mais le Luxembourg compte absolument faire la course en tête. » Le ton est donné, et l’équipe de curation en profite pour faire une analogie avec l’histoire de la ville d’Esch-sur-Alzette, qui à ses débuts a survécu autour d’une rude économie agricole avant de se transformer en un important pôle industriel, grâce à l’exploitation du minerai de fer des terres rouges du bassin minier. Quid de l’exploitation des sols d’autres sphères célestes, notamment de la planète Mars ?

Rêves et dérives

Les visiteurs-euses pourront apprécier tout un éventail de projets pour le moins lunaires. On s’étonnera de voir évoquée l’histoire de Bas Landorp, cet ingénieur néerlandais qui voulut mettre en pratique un projet de colonisation sur Mars pour cette année 2022, avec la particularité de contraindre ses nouveaux résident-es à y vivre le restant de leurs jours. Plus de 200.000 candidat-es de tous les continents se portèrent volontaires. L’entreprise censée mettre à exécution cette épopée spatiale a fait faillite l’an dernier. Dans cette même lignée, l’expo mentionne bien sûr à plusieurs reprises les magnats Elon Musk et Jeff Bezos, qui ont récemment inauguré l’ère du tourisme spatial. Musk ne veut pas s’arrêter là et prévoit de coloniser Mars avec un million de personnes grâce à sa fusée « Starship » d’ici 2050. Entre-temps, comme dans les océans remplis de déchets en plastique, des tonnes de débris de satellites et autres engins spatiaux gravitent autour de la terre.

L’expo a ainsi la lucidité d’analyser certaines dérives inhérentes à la conquête spatiale et de mettre en question les réelles motivations de l’exploitation des ressources extraterrestres. S’agit-il d’un esprit d’aventure ou d’une volonté de défier les limites du progrès scientifique face à l’inconnu ? Une chose est claire comme de l’eau de roche : lorsque les enjeux se situent dans les sphères politiques et économiques d’un État, il est toujours question de quête de richesses et de profits. L’histoire qui s’ensuit est connue ; il suffit de retracer la nôtre sur la Terre. L’expo n’est, toutefois, aucunement défaitiste et se dote plutôt d’une aura visionnaire kubrickienne. Dans le futur, nos descendant-es verront-ils et elles les prémices de cette utopique incursion martienne intégrer l’histoire de l’aventure spatiale du pays ? Dans l’actuel contexte global très particulier, aux lignes imprévisibles, l’épopée semble remise aux calendes grecques. Cela dit, nul besoin de citer les noms d’une poignée de dirigeant-es politiques que le monde verrait bien expédié-es dans l’immédiat en aller simple dans ces contrées stellaires.

À la Konschthal jusqu’au 11 décembre 2022.

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