L’emblématique Centre Pompidou de Paris présente l’exposition « Surréalisme », alors que l’on célèbre le centenaire de la naissance de ce mouvement. Le public est invité à s’engouffrer dans un labyrinthe de créations artistiques, les unes plus surréalistes que les autres.

L’entrée de l’expo « Surréaliste » se fait par une bouche géante qui rappelle les fêtes foraines, dont les surréalistes étaient féru·es. (Photo : Nuno Lucas da Costa)
Pour beaucoup, le surréalisme ne va pas au-delà de l’excentrique Salvador Dalí et de ses tableaux teintés d’onirisme débridé. Or, il n’en est rien et l’exposition « Surréalisme » est le parfait antidote pour se défaire de cette idée erronée et quelque peu infantile. Cela dit, l’enfance n’est pas bien loin, le choix de l’entrée de l’exposition rappelant l’ambiance des fêtes foraines, puisque le public est convié à s’engouffrer dans la bouche d’un monstre imaginaire, à l’air menaçant. Dès les premiers pas, l’on découvre ainsi que les surréalistes étaient friands de fêtes foraines et de parcs d’attractions. Cette entrée fait référence aux jardins de Bomarzo, en Italie, et à son Parc des monstres. S’ensuit un interminable parcours labyrinthique.
L’expo présente le dédale comme le symbole du surréalisme, depuis ses débuts jusqu’à la fin des années 1960. Ce mouvement est parvenu à réconcilier les contraires tels que « la vie et la mort, le réel et l’imaginaire ou encore le communicable et l’incommunicable », selon les propos d’André Breton, auteur du « Manifeste », dont la parution, en 1924, a marqué le début de ce mouvement phare de l’histoire de l’art moderne. Pour sa part, André Masson, autre surréaliste éminent, affirmait avoir une prédilection pour « le labyrinthe mental plein d’embûches aux voies droites et sûres ». Sa peinture « Le labyrinthe » mérite l’attention, car elle dégage une force quasi-ténébreuse dans sa réinterprétation du « Labyrinthe du Minotaure » de la mythologie grecque.
Quant au parcours enchevêtré par les salles du Centre, il commence par un couloir orné d’anciens autoportraits photographiques de toute une constellation d’artistes qui ont intégré et répandu le mouvement surréaliste, tels que René Magritte, Luis Buñuel, Paul Éluard, Salvador Dalí, Louis Aragon et bien sûr André Breton. Il y a aussi Max Ernst, dont la peinture « L’ange du foyer (Le Triomphe du surréalisme) » a été retenu pour l’affiche officielle de l’expo. L’événement a également le mérite de faire honneur au travail d’artistes féminines renommées, telles que Dora Maar, Dorothea Tanning ou Lee Miller, mais aussi moins connues, comme María Isquierdo, Remedios Vario ou encore Leonora Carrington. Cela illustre la façon dont ce mouvement était à l’avant-garde des mœurs de son temps. Le surréalisme était avant tout une pensée, comme le montre la salle circulaire qui est située au bout du couloir et qui est entièrement dédiée au manuscrit d’André Breton. Le propos de son « Manifeste » est d’une intemporalité déconcertante, notamment à travers l’universalisme qu’il prônait, au détriment des nationalismes qui montaient dangereusement pendant l’entre-deux-guerres, ce qui n’est pas sans rappeler notre actualité. L’importance de la nature, annonçant les prémices de l’écologie, ou encore le rôle de la femme dans la société, figuraient également dans ses lignes programmatiques.
Quelque chose en nous de surréaliste

(Photo : © Adagp – Max Ernst : « L’ange du foyer (le triomphe su surréalisme »)
Le noyau central que constitue la salle du « Manifeste » offre un accès circulaire et labyrinthique à treize autres salles qui présentent des thématiques aussi diverses que la nuit, le rêve, les forêts, les mères, les chimères, la politique ou encore l’érotisme. Au long du parcours, l’on comprend vite que le surréalisme est un paroxysme de la libre expression et de la réinterprétation artistique. Et l’on ne peut que conclure que le surréalisme nous touche tous·tes personnellement. Ne serait-ce que par nos rêves « surréels », qui prennent le dessus, quand nous sommes plongé·es dans les bras de Morphée, ou même quand nous sommes éveillé·es, mais absent·es. Par moments, des fantaisies et certaines pensées font irruption dans notre esprit sans prévenir. Nous sommes les premiers·ères à en être surpris·es et nous sommes parfois réticent·es à en parler. Les surréalistes, au contraire, l’exprimaient dans toutes les formes artistiques, en mettant simultanément en exergue l’humain et la bestialité ensevelie en nous.
Les différentes salles nous montrent que des noms tels que Freud, Lautréamont, Rimbaud et même Marx étaient des références pour les surréalistes. Une salle porte le nom d’« Alice », en référence à Lewis Caroll et aux « Aventures d’Alice aux pays des merveilles ». Un fond musical avec Jefferson Airplane jouant « White Rabbit » ne serait ici aucunement dissonant.
Le parcours de l’expo prend par moment des allures de marathon par le nombre considérable d’œuvres exposées. Tous les grands noms et surtout leurs chefs d’œuvres défilent les uns après les autres, juste à quelques centimètres de nos yeux émerveillés. Dès le début du parcours, un tableau concentre plus de visiteur·ses que d’autres. Il s’agit de la célébrissime peinture de Dali « Rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade une seconde avant l’éveil ». On pourrait affirmer qu’il s’agit de la « Mona Lisa » de l’expo. Pourtant, juste à côté, « Dans la tour du sommeil », d’André Masson, mérite la même considération. Dans les deux cas, l’on est confronté à un authentique point d’orgue de l’onirisme surréaliste, tandis que le spectacle visuel est au rendez-vous.
Les curateurs et l’institution parisienne ont pu compter sur la collaboration et le prêt venant de musées aussi prestigieux que le MoMa de New York et de San Francisco, le Museo Nacional Thyssen-Bornemisza de Madrid, le Moderna Museet de Stockholm et le Kunstmuseum de Bâle, mais aussi de collections privées comme celle de Peggy Guggenheim, à Venise et la Fondation Beyeler, à Bâle. La réunion de plus de 300 œuvres relève d’une prouesse olympique. Peintures, films, dessins, photos, collages, gravures, sculptures, brouillons, lettres, affiches, revues et livres exigeront une certaine endurance du public, s’il aspire à les contempler dans leur intégralité.
Joyau de l’architecture moderne, le Centre Pompidou parisien se prépare à une hibernation prolongée pour travaux. Construit en 1977, l’œuvre de Renzo Piano et Richard Rogers fermera ses portes l’été prochain jusqu’en 2030. Des travaux de modernisation et surtout de désamiantage seront effectués. Le Grand Palais accueillera ses expositions pendant toute cette période. Beaubourg est l’un des plus importants centres d’art contemporain au monde et l’expo « Surréalisme » en fait la démonstration. Cela fait deux bonnes raisons de monter une dernière fois jusqu’à son sixième étage, avant rénovation.