En cette année électorale, il semble que le gouvernement n’aime plus remettre en question le « master narrative » de la Seconde Guerre mondiale. Pour des raisons politiques, le progrès scientifique est nié.
« Titre racoleur », « pas une étude historique » sont les termes dans lesquels le premier ministre Xavier Bettel a décrit un article de Mil Lorang paru dans le Tageblatt du 1er décembre 2017, dans sa réponse à une question parlementaire de Franz Fayot qui demandait si « la recherche sur les Luxembourgeois enrôlés de force » ne devrait pas être approfondie. L’article en question, « Als die Luxemburger Armee das Land verließ – Wie Luxemburger in Osteuropa zu Teilnehmern am Judenmord wurden », ne comporte en effet, comme Bettel le souligne, aucun élément nouveau sur les 15 Luxembourgeois membres du « Polizei-Reserve-Bataillon 101 », impliqué dans l’exécution de Juifs polonais dans la région de Lublin et plus tard dans la déportation de ces derniers vers les camps d’extermination. Le fait que des anciens de la « Freiwëllegekompanie » ont assisté, voire participé à des crimes contre l’humanité ne fait aucun doute depuis la controverse entre Christopher Browning et Daniel Goldhagen au début des années 1990.
L’article de Lorang ne fait que remettre ce pan infâme de notre histoire au centre du débat. Et la réaction agressive du premier ministre résonne comme un lointain écho aux tempêtes médiatiques que dut traverser un Paul Cerf quand il osa publier les premiers livres sur le sort des Juifs au grand-duché, dans les années 1980 et 1990. Aux yeux des historiens de cette époque, Cerf n’était qu’un journaliste dépourvu de tout sérieux. On pensait que le temps où parler des épisodes pas glorieux de l’occupation vous exposait à la vindicte populaire était révolu – Xavier Bettel vient de prouver le contraire.
Autre indice : la brochure « À propos » récemment éditée sur l’histoire du grand-duché par le Service information et presse du gouvernement. Dans le – très succinct – chapitre dédié à la guerre, la collaboration a droit à une seule phrase : « Si le phénomène de la collaboration pendant l’occupation a existé, la majorité de la population fait cependant preuve d’une remarquable cohésion nationale. » Le sort des Juifs est lui aussi rapidement évacué.
La recherche sur la collaboration n’essaie aucunement de mettre en place un contre-récit au mythe du Luxembourg résistant.
Certes, avec un CSV surexcité aux fesses, lequel fait feu de tout bois en ce moment, il est clair que le gouvernement marche sur des œufs. Pourtant, nier les avancées historiques récentes est une claque au visage de toutes celles et de tous ceux qui, souvent en rencontrant de grandes résistances tant formelles qu’informelles, ont osé se pencher sur les volets noirs de l’histoire du grand-duché. Car comme vient de le démontrer encore une fois l’historien Henri Wehenkel, dans son livre « Entre chien et loup » paru récemment, la recherche sur la collaboration n’essaie aucunement de mettre en place un contre-récit au mythe du Luxembourg résistant pendant toute la période 1940 à 1944. Au contraire, elle expose la complexité de la situation dans laquelle les citoyen-ne-s du pays se sont trouvé-e-s lors de l’arrivée de l’occupant allemand. Elle explique comment il se peut très bien qu’untel se soit précipité vers la « Volksdeutsche Bewegung » (VdB) au début de la guerre puis ait aidé des proches ou caché des jeunes quelques années plus tard. Collaboration et résistance sont inextricablement liées dans tous les régimes d’occupation ; le Luxembourg n’est pas une exception sur ce point. La recherche n’est pas là pour donner une appréciation morale, mais pour démontrer qu’en cette matière, il n’y a pas de noir ni de blanc et qu’il est nécessaire d’explorer la zone grise. Alors pourquoi éviter avec un tel zèle que ces chapitres noirs soient discutés sur la place publique, si ce n’est par opportunisme politique ?