Luxleaks : Les cancres

Faire condamner à tout prix Antoine Deltour et Raphaël Halet, c’est l’objectif de l’avocat général comme de la partie civile dans le procès en appel « Luxleaks ». Tandis qu’on élude la question de la légalité des rulings, le statut de lanceur d’alerte est péniblement disséqué.

Les rulings selon l’avocat général John Petry. (©Taxsec)

Lundi et mercredi passé ont eu lieu les deux audiences suivantes du procès en appel Luxleaks. Pendant les deux sessions de ce procès hautement surveillé – selon diverses sources, le service de renseignement (Srel) était présent dans et devant la salle à chaque fois – le statut de lanceur d’alerte était au centre des attentions. Tandis que le jugement – contradictoire – en première instance concédait ce statut à Antoine Deltour et Raphaël Halet, l’avocat général John Petry et l’avocat de PriceWaterhouseCoopers (PWC) Hervé Hansen ont essayé de fragiliser les accusés sur ce point crucial cette fois. Une fois reconnus comme lanceurs d’alerte, tout jugement autre qu’un acquittement pur et dur serait un contre-sens.

Premier point d’orgue lundi passé : le réquisitoire de l’avocat général John Petry, après une dernière audition du journaliste Édouard Perrin qui a, en somme, répété son témoignage de première instance en donnant quelques explications de plus sur le procédé de la « boîte morte ». En effet, la Cour d’appel avait qualifié ce mode de communication de « conspiratif ». Selon Perrin, il s’agirait là d’une méthode reconnue de protection des sources, courante dans le monde du journalisme d’investigation.

Au centre du réquisitoire de l’avocat général se trouvait l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit notamment la liberté d’expression – un article souvent utilisé par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans sa jurisprudence concernant les lanceurs d’alerte. Pour Petry, une chose est claire dès le début : « L’article 10 de la Convention ne donne pas automatiquement droit à une protection et ne permet pas d’échapper à la justice ». Le ton est donné.

Pour s’y attaquer, il a notamment pris appui sur le cas de la lanceuse d’alerte allemande Brigitte Heinisch – qui faisait partie du comité de soutien aux accusés Luxleaks – et d’autres jurisprudences européennes pour en extraire six critères (listés aussi dans la note du parquet que le woxx a pu consulter): le principe de subsidiarité ; l’intérêt public présenté par les informations divulguées ; l’authenticité des informations divulguées ; le préjudice causé par la divulgation ; la bonne foi de l’auteur de la divulgation ainsi que la sévérité de la sanction.

Critères imaginaires ?

En appliquant ces critères au cas présent, Petry est arrivé à la conclusion que ni Antoine Deltour, ni Raphaël Halet ne les remplissaient totalement. Pour Deltour, ce serait notamment la bonne foi qui manquerait, puisqu’il ne se serait pas défini comme un lanceur d’alerte au moment où il a copié les rescrits fiscaux (les rulings ou encore ATA), lors de son dernier jour de travail chez PWC.

Il en a aussi conclu qu’Antoine Deltour aurait eu le choix entre plusieurs options dont certaines auraient fait de lui un « vrai » lanceur d’alerte. Pour Petry, Deltour aurait donc pu : renoncer à publier les rulings ; en donner une description sans mettre en cause son ex-employeur ; donner un échantillon de rulings à un journaliste ou encore les publier soi-même ; remettre tout à un journaliste avec des restrictions sur leur provenance ; ou balancer le tout sur Wikipedia. Uniquement les trois premières options auraient permis au lanceur d’alerte d’échapper à la justice.

Ce qui est soit naïf, soit de mauvaise foi. Pour des raisons évidentes : aucun journaliste n’aurait accepté des restrictions de publication en présence d’une telle quantité et de la qualité du matériel dérobé par Deltour à PWC, une simple description du principe des tax rulings n’aurait intéressé personne. Et puis c’est justement le caractère massif de la fuite, dévoilant la production quasiment industrielle de rulings dans le cadre du « public private partnership » entre PWC et le bureau numéro 6 de l’administration fiscale, qui a déclenché le scandale et toutes ses conséquences tant au niveau national qu’au niveau européen et international.

En ce qui concerne Raphaël Halet, l’avocat général a émis des doutes sur la pertinence des documents qu’il a fait passer à Édouard Perrin, vu qu’il s’agissait de déclarations fiscales qui, de toute façon, étaient publiques. Alors que Perrin venait d’expliquer que les déclarations fiscales, accessibles au registre des entreprises, ne comprenaient pas toutes les informations que lui a transmis Halet et que celles-ci ont bien contribué à faire mieux saisir l’ampleur de l’ « optimisation fiscale made in Luxembourg ».

L’acquittement ou rien

L’argumentation de l’avocat général a été reprise, mercredi, sur un ton plus agressif, par l’avocat de PWC Hervé Hansen. Il s’est surtout acharné sur Raphaël Halet, qu’il a décrit comme un traître qui se serait doté du qualificatif de lanceur d’alerte uniquement pour se protéger. Hansen a notamment réitéré la demande de PWC d’être reconnu comme victime et s’est plaint de l’ « inestimable dommage » qu’aurait subi PWC tout comme ses clients dont les juteux deals ont été révélés.

C’est surtout le dernier point qui a servi à William Bourdon, avocat d’Antoine Deltour (et d’Edward Snowden) pour enfoncer le clou contre PWC – en mettant en avant le fait qu’une entreprise possédant le savoir-faire pour produire des ATA était incapable d’estimer ses dommages subis devant la justice. Pas crédible aux yeux de l’avocat à la voix tonitruante, qui a estimé que PWC se moquait de la justice.

En cette fin d’année le match n’est donc pas encore joué, mais les options qu’a la Cour pour condamner Deltour et Halet se raréfient. Suite le 4 janvier 2017 avec les plaidoiries des avocats de Halet et de Perrin.


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