Né au début du 20e siècle, le pan- africanisme a vécu un tournant majeur de son histoire avec la crise congolaise de 1960 et l’assassinat de Patrice Lumumba. Doctorante à la Sorbonne, la chercheuse angolaise Elisabeth Dikizeko consacre une thèse à cet épisode de l’histoire africaine et retrace, pour le woxx, l’évolution du panafricanisme.

Patrice Lumumba à Bruxelles, en janvier 1960, au moment des négociations sur l’indépendance du Congo, qui deviendra effective le 30 juin de la même année. (Photo : Wiki Commons)
Spécialiste de l’histoire intellectuelle et diplomatique du panafricanisme et d’origine angolaise, Elisabeth Dikizeko est doctorante à l’université de la Sorbonne, à Paris. Elle écrit actuellement une thèse sur la relation intellectuelle entre le président ghanéen Kwame Nkrumah et le leader congolais Patrice Lumumba lors de la crise du Congo en 1960. Elle a notamment co-dirigé le sixième numéro de la Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique. Elisabeth Dikizeko était au Luxembourg pour le Black History Month, en octobre, où elle participait au panel du film « A fire within ».
woxx : Quel est l’origine du panafricanisme ?
Elisabeth Dikizeko : Le panafricanisme est un mouvement politique né de l’expérience de l’esclavage et du racisme par les noirs. Cette idée est née aux Amériques suite à l’expérience de la déportation et de l’esclavage. Pour comprendre la naissance de ce mouvement, nous devons revenir à l’évolution sémantique qui a assigné les populations du continent africain à cette identité. En effet, jusqu’au 15e siècle, les habitants du continent africain ne se considèrent pas « Africains ». Cette identité leur est assignée à la suite de la traite des esclaves. Le terme « Africain » devient une équivalence entre noir et esclave.
Quel rôle l’esclavage a-t-il eu sur l’identité noire ?
L’esclavage a toujours existé dans le monde. Avant le 15e siècle, les Européens obtenaient des esclaves en Europe de l’Est. L’expansion de l’Empire ottoman coupe l’accès à cette source d’esclaves. Désormais l’Europe ira chercher des esclaves en Afrique. Cette population à exploiter et le système de plantation coloniale permettent une accumulation de richesse qui est inédite dans l’histoire de l’humanité. Sur le continent américain, l’expérience déshumanisante pour les noirs de l’esclavage voit la création de l’idée panafricaniste.
Quelle période précise de l’idée panafricaniste est le sujet de votre thèse ?
Ma thèse s’intéresse aux relations entre le président ghanéen Kwame Nkrumah et le premier ministre congolais Patrice Lumumba lors de la crise congolaise de 1960. Le panafricanisme doit beaucoup à Nkrumah. Ce dernier amène les idées panafricanistes sur le continent africain. En 1935, Nkrumah part étudier à Philadelphie, aux États-Unis. Il participe aux mobilisations à Harlem, le quartier noir de New York. Ils se familiarise avec les idées des premiers penseurs panafricanistes comme l’universitaire afro-américain W.E.B Du Bois et l’activiste jamaïcain Marcus Garvey. De retour au Ghana, Nkrumah s’engage dans le combat pour l’indépendance de la colonie britannique. Devenu président du Ghana indépendant, il n’oublie pas ses idéaux panafricanistes. Il reste actif pour les droits des noirs des États-Unis. Lors des cérémonies de l’indépendance ghanéenne en 1957, Nkrumah invite Martin Luther King à participer aux festivités. Le vice-président américain Richard Nixon est également présent comme représentant des États-Unis. Ce dernier rencontre le leader afro-américain Martin Luther King et le prend pour un Ghanéen. Il lui demande : « Heureux d’être libre ? » King lui répond : « Seulement quand nous serons libres aux États-Unis. » Le Ghana sera également un point d’attraction pour l’activiste afro-américain Malcolm X. Lors de son voyage au Ghana en 1964, il demande aux pays africains d’apporter leurs soutiens aux Noirs des États-Unis. Il n’y a pas de rupture entre l’Afrique et ses diasporas. Aujourd’hui, sa proposition subsiste encore au sein de l’organisation internationale de l’Union africaine. La diaspora noire représente un sixième continent pour les diplomates de l’Union africaine. C’est dans ce cadre que Haïti, un pays caribéen, est membre observateur de cette organisation. Grâce à Nkrumah, le Ghana devient une terre d’accueil pour les Noirs de la diaspora. W.E.B Du Bois y décédera en 1963. Le Trinidadien George Padmore devient le conseiller de Nkrumah sur les affaires africaines. La presse afro-américaine des États-Unis exprime également son soutien au Ghana nouvellement indépendant.
« En 1935, Nkrumah part étudier aux États-Unis. Il participe aux mobilisations à Harlem, le quartier noir de New York et se familiarise avec les idées des premiers penseurs panafricanistes. »

La chercheuse angolaise Elisabeth Dizineko lors de son passage au Luxembourg, à l’occasion du Black History Month, en octobre. (Photo : Alejandro Marx)
Quel impact a la crise congolaise sur le panafricanisme ?
La crise du Congo n’a pas d’équivalence dans le processus de décolonisation des pays africains. À partir de juillet 1960, le pays vit une mutinerie suivie d’une intervention de l’armée belge et deux déclarations de sécession au Katanga et au Sud-Kasaï. Ces dernières sont soutenues par les puissances néo-colonialistes. À la demande de Lumumba, l’ONU intervient au Congo dans sa première mission de maintien de la paix sur le continent africain. L’assassinat de Lumumba par des soldats belges le transformera en symbole global. De Harlem à Moscou, en passant par Pékin et le Caire, on manifeste en soutien à Lumumba.
Après cet échec, quel chemin suit le panafricanisme ?
En Mai 1963, les leaders africains se réunissent pour créer une Afrique supranationale avec une défense commune et un marché commun. Cependant, on voit un panafricanisme de différentes intensités. Nkrumah est en faveur d’une avancée rapide vers cette union. Le président sénégalais Léopold Sédar Senghor, en revanche, préfère temporiser. L’empereur d’Éthiopie Haïlé Sélassié facilite un consensus. L’Organisation de l’unité africaine est créé. Elle deviendra l’Union africaine en 2002. Auparavant, des tentatives de créer des fédérations africaines ont échoué. Le 22 Septembre 1960, le Sénégal et le Mali abandonnent leur fédération après quatre mois de gouvernance commune. De son vivant, le Cap-Verdien Amilcar Cabral suivait la ligne politique de Nkrumah. Il souhaitait qu’à l’issue de la décolonisation portugaise, le Cap-Vert et la Guinée-Bissau forment une fédération. Il est assassiné en 1973. Deux ans plus tard, aux moments des indépendances, cette fédération ne voit pas le jour.
Le mouvement panafricaniste stagne-t-il à ce moment ?
Une succession de coups d’État militaires en Afrique et les programmes d’ajustement structurel imposés par les banques de développement cassent la dynamique du panafricanisme. On verra une réémergence de ce mouvement dans les années 1980 avec le leader burkinabé Thomas Sankara. Sous l’influence de l’historien du Guyana Walter Rodney, il amène une nouvelle critique du néo-colonialisme. Sankara s’oppose à l’endettement et à l’aide au développement accusés d’emprisonner les pays africains. Il est assassiné lors d’un coup d’État en 1987.
« La principale préoccupation du panafricanisme est de faire cesser l’exploitation d’un groupe par un autre. Le mouvement s’oppose au capitalisme qui est issu de la traite des noirs et de l’exploitation coloniale des ressources. »
Cependant, en 1991, la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud est une grande victoire du panafricanisme. Déjà du temps de Nkrumah, ses publications les plus importantes portaient sur la critique du régime raciste en Afrique du Sud. La fin du régime signifie la fin de l’exploitation des populations du pays. Les détracteurs du panafricanisme accusent le mouvement d’être un nationalisme noir, masculiniste et antiblanc. Au contraire, la principale préoccupation du panafricanisme est de faire cesser l’exploitation d’un groupe par un autre. Le mouvement s’oppose au capitalisme qui est issu de la traite des noirs et de l’exploitation coloniale des ressources. D’où l’intérêt que les panafricanistes ont eu pour le socialisme et le communisme. Avec des réserves toutefois. L’activiste trinidadien Georges Padmore était critique du modèle soviétique, un système qu’il avait étudié en tant que membre de l’Internationale communiste.
Que reste-il du panafricanisme aujourd’hui ?
Dans le cas du Ghana, après sa destitution en 1966, Nkrumah était considéré comme un dictateur. On vit un début de réhabilitation dans les années 70. C’est en 2009 que l’on célèbre les 100 ans de la naissance de Nkrumah. En 2019, on commémorait les 100 ans du premier bateau rapatriant des Noirs de la diaspora au Ghana. Cependant, ces célébrations sont surtout une instrumentalisation par le pouvoir pour se légitimer auprès de la population.
Et quelle est la situation de la recherche sur l’histoire du panafricanisme ?
En France, l’étude du panafricanisme commence à entrer dans les programmes scolaires et de recherche. En 2014, le livre « Africa Unite ! » de Amzat Boukari-Yabara a popularisé ce sujet d’étude. Personnellement, l’universitaire congolais Elikia M’Bokolo m’a permis d’avoir une vision non-condescendante que beaucoup d’historiens européens ont tendance à avoir sur le panafricanisme. Il a pris comme sujet de recherche l’histoire globale de l’Afrique.
Y a-t-il des oppositions à ces recherches ?
C’est difficile de parler de race en France car ce concept rentre en conflit avec une conception française de l’identité. Dans les États-Unis du président Donald Trump, nous avons encore accès aux archives sur le panafricanisme. L’université d’Harvard, où étudia W.E.B. Du Bois, continue à enseigner ce sujet. De même, les « Black Colleges », des institutions universitaires créées par les Afro-Américains au temps de la ségrégation, ont suffisamment de ressources propres pour continuer la recherche sur le panafricanisme sans financement public. Cependant je m’inquiète sur l’histoire de la communauté noire aux États-Unis. La politique de Trump va limiter la recherche historique et la transmission de celle-ci.
Quels autres pans de l’histoire du panafricanisme doivent encore être étudiés ?
Le rôle des femmes comme figures du panafricanisme. Dans le cadre de mes recherches, je m’intéresse aux femmes qui ont soutenu Patrice Lumumba.

