Peinture : Me, myself and…

L’Institut Camões poursuit sa programmation automnale en invitant Nicoleta Sandulescu, qui vient présenter « Dans la maison du corps » : des « selfies » dessinés de l’artiste et de son « moi », lequel se démultiplie à travers les différents espaces d’une maison.

Nicoleta Sandulescu se met en scène et se réinvente dans une ribambelle de vignettes dessinées. (Photo : Nuno Lucas da Costa)

L’approche artistique de Nicoleta Sandulescu n’est aucunement narcissique, mais plutôt empreinte de sincérité dans une quête quasi ludique du « moi », frôlant par moments le sinistre. Ce qui n’est pas sans rappeler certains travaux de la peintre portugaise Paula Rego. D’ailleurs, Sandulescu s’est vu attribuer en 2017 le premier prix de la deuxième édition du prix Paula-Rego. La courte mais prolifique carrière de l’artiste comporte déjà d’autres récompenses et plusieurs collaborations, notamment avec la revue brésilienne « Piseagrama », ou encore des illustrations pour l’un des grands écrivains portugais contemporains, António Lobo Antunes. Née en Moldavie en 1994, Sandulescu vit désormais au Portugal, où dans un passé récent elle a terminé un master en peinture à l’université des beaux-arts de Lisbonne. Pour l’expo « Dans la maison du corps », ce sont 36 dessins à l’encre de Chine et à l’acrylique de l’artiste moldave qui viennent interrompre l’habituel minimalisme conceptuel du centre culturel portugais. On nous confie, cependant, que Sandulescu aurait apporté pas moins de 94 de ses créations, quantité malheureusement impossible à exposer dans sa totalité.

Nicoleta Sandulescu s’affiche avec un style très particulier, fait de répétitions, dans cette approche de la démultiplication du « moi ». Celui-ci n’est pas sans rappeler l’éminent photographe portugais Jorge Molder, qui a exposé sur ces mêmes murs une série de photos expérimentales en noir et blanc, oscillant entre l’autoportrait et l’autoreprésentation et ressemblant, à travers sa disposition alignée, à une pellicule de film. Le jargon cinématographique est également applicable chez Sandulescu, puisque le public pourra contempler les dessins de l’artiste moldave comme des « story-boards » de grande taille. Dans ces croquis, il s’agira tout simplement de visualiser la panoplie d’hétéronymes qui découle des créations de l’artiste, lui permettant en même temps de se comprendre. L’artiste semble par moments se surprendre elle-même par le résultat et n’hésite pas à utiliser une approche pathétique et infantile pour représenter son corps, non sans lui conférer une touche d’humour.

Un des murs du centre culturel portugais regroupe à lui seul 28 dessins. Chacun retrace une expérience différente dans des espaces d’habitation clos. Ces mêmes espaces finissent par formater le logiciel de la démultiplication du « moi » et des états d’âme de l’artiste. Certains d’entre eux affichent une certaine claustrophobie dans les diverses parties d’une maison : soit une banale chambre, soit des cages d’escalier, soit toutes sortes de lieux exigus. Le malaise n’est nullement contagieux pour le public. Ce dernier sera au contraire pris de compassion devant cet enfermement de la jeune artiste, avide d’élans et en quête des différentes facettes de son « moi ». Sans s’adonner à un copier-coller au sens littéral du terme, elle parvient ainsi à donner une identité et une histoire propres à chacun de ses dessins, dans lesquels chaque décor la soumet à différents états d’âme. Dans une approche sincère et sans détours, Sandulescu ne fait rien d’autre que dévoiler et explorer les différentes composantes de l’architecture de sa personnalité. Nous ne sommes bien sûr pas indifférents à son jeune âge, même si certains dessins dénotent une certaine maturité parsemée d’autodérision. Dans la totalité des créations exposées, le regard des alter ego de l’artiste est saisissant et pourtant sans grands artefacts techniques. On est loin de cette ribambelle de livres autobiographiques et pleurnichards dont les auteurs et autrices sont en quête de leur voie existentielle.

Artistiquement parlant, Nicoleta Sandulescu semble avoir trouvé une formule très particulière, qui lui permet d’atteindre une certaine vitesse de croisière et une signature reconnaissable. Sans amoindrir le talent de l’artiste (les ambassadeurs de la Roumanie et du Japon, notamment, ont tenu à être présents lors du vernissage de l’expo), sa thèse est simple et efficace, et pivote autour de cette relation indissociable qui s’opère entre l’humain et la maison. On pourrait résumer celle-ci à : « Dis-moi dans quel espace tu es, je te dirai dans quel état tu es. » Le nobélisé Pablo Neruda confiait à ce propos : « J’ai construit ma maison comme un jouet et j’y joue du matin au soir. »

Jusqu’au 14 janvier au Centre culturel portugais – Institut Camões.

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