Syrte
 : Vers la fin de l’EI ?


Ces dernières semaines ont vu l’organisation État Islamique (EI) reculer face aux forces unies de l’Ouest libyen. Le 9 juin dernier, les Libyens sont entrés dans Syrte, réduisant de façon considérable le territoire sur lequel flottait depuis un an le drapeau noir.

Les forces libyennes se reposent autour du rond-point Zaafran, 
à l’arrière du front. (Photo : Maryline Dumas)

Les forces libyennes se reposent autour du rond-point Zaafran, 
à l’arrière du front. (Photo : Maryline Dumas)

C’est le 12 mai que l’offensive a débuté. Quelques jours plus tôt, le 6 mai, l’EI avait pris le contrôle d’Abu Grein, un checkpoint situé à 137 kilomètres de Syrte et à 100 kilomètres de Misrata, la ville voisine. La goutte d’eau de trop pour les brigades misraties qui craignent que leur ville ne soit la prochaine étape. Arrivé fin 2014 en Libye, le groupe État islamique s’était d’abord basé à Derna, dans l’Est libyen. Il a été chassé du centre-ville par les brigades locales en juin 2015, puis des environs au début de cette année.

Parallèlement, l’EI s’est peu à peu implanté à Syrte. En février 2015, l’organisation au drapeau noir a d’abord annoncé la prise de différents bâtiments publics, comme la radio ou le centre de conférence Ouagadougou. Quatre mois plus tard, en juin, la ville d’origine de Mouammar Kadhafi tombait entièrement entre les mains des djihadistes, qui ont fini par contrôler plus de 250 kilomètres de côtes autour de cette cité, avec notamment une compagnie d’électricité, l’aéroport et le port.

Quelques jours avant l’attaque, le 5 mai, le gouvernement d’union nationale, né des accords de Skhirat (au Maroc) signés en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU, avait annoncé la création d’une chambre des opérations appelée « Al-Bunyan Al-Marsous » (structure solide). C’est donc celle-ci qui se charge de répliquer face à l’EI à Syrte. La stratégie est décidée par la poignée de commandants – des anciens gradés de l’armée libyenne en décomposition depuis 2011 – qui forment cette chambre. Sous leurs ordres se trouvent des forces totalement hétérogènes.

Des forces hétérogènes

Généralement âgés de 18 à 30 ans, les combattants sont membres de brigades ou ont tout simplement pris les armes pour défendre leur pays. Sur le terrain, ils répondent avant toute chose au chef de leur groupe. « C’est moi qui décide les tours de garde. C’est également moi qui leur donne l’autorisation de prendre quelques jours de vacances pour rentrer chez eux », explique Rami Ragou, chef de la brigade de Nalout, dans les monts Nefoussa, près de la Tunisie.

Les quelque 4.000 combattants libyens sont originaires de tout l’Ouest libyen, même si la majorité vient de Misrata. « Il y a des gens qui viennent de Kohms, Zlitten, Tripoli… », énumère Ayman Mohamed, un des hommes de Rami Ragou. « Nous espérons que cette guerre va nous unir. » Faez Serraj, le premier ministre, le souhaite également : « Nous sommes convaincus qu’il ne peut y avoir de solution pour venir à bout de cette organisation qu’à travers un commandement militaire unifié qui rassemble les Libyens de toutes les régions du pays », a-t-il déclaré à l’AFP. Ce vœu ne ressemble pourtant qu’à un rêve lointain. Si l’ensemble des forces soutiennent le gouvernement d’union nationale, Khalifa Haftar, le commandant des troupes de l’Est libyen, reste la ligne rouge pour les Misratis. Et même au sein des troupes de l’Ouest, les brigades restent très indépendantes du gouvernement.

« Nous envoyons des rapports quotidiens, avec des cartes et des commentaires, au gouvernement à Tripoli », insiste un responsable sécuritaire tout en précisant que les décisions sont prises sur le terrain. De fait, le gouvernement d’union nationale reste faible et peine à s’imposer. Arrivé fin mars à Tripoli, le premier ministre Faez Serraj est encore en train de récupérer les bâtiments des ministères.

Un gouvernement effacé

Le gouvernement de salut national, qui était en place à Tripoli depuis l’automne 2014 et s’opposait au gouvernement de Beida (Est), se désagrège peu à peu. Mais il ne facilite pas la tâche aux nouvelles autorités reconnues par la communauté internationale. Ainsi, il a envoyé à Misrata, il y a deux semaines, un cargo chargé de produits médicaux, alors que Faez Serraj est de plus en plus critiqué par les combattants pour le manque de soutien qu’il leur accorde. « Le gouvernement ne nous donne rien, regrette Rami Ragou. Les seuls qui nous aident, ce sont les municipalités et les hommes d’affaires, notamment pour l’approvisionnement en nourriture. Pour les munitions, je ne sais pas comment on va faire. Peut-être qu’on ira les chercher chez nous à Nalout ou dans les hangars qui les stockent à Tripoli. » Depuis leur arrivée mi-mai, Rami Ragou et ses hommes combattent avec les voitures, les armes et les munitions de leur brigade.

Peu d’équipement

À l’entrée ouest de Syrte, sur le rond-point Zaafran – où l’EI avait pris pour habitude d’exposer les corps crucifiés de ses victimes -, les combattants semblent presque insouciants ou inconscients du danger. Certains portent des tongs, d’autres des baskets. Casques et gilets pare-balles se font particulièrement rares. « Dieu nous protège », répond simplement Ahmed Zeidan, un des soldats. A 13 kilomètres plus à l’ouest, à l’hôpital de campagne, le docteur Moustapha Schkorfo se lamente : « Les mortiers et les snipers sont les principales causes de blessures. Et nous sauvons très peu de victimes de snipers. De toute façon, le moindre éclat peut tuer un homme. Alors, comme nos combattants ne portent pas de gilets pare-balles, beaucoup meurent. » Le bilan a atteint 210 morts et plus de 800 blessés parmi les combattants anti-EI.

Face à cet afflux, les services de santé font face à de nombreux défis. Un des hôpitaux de campagne, à 50 kilomètres de Syrte, a été détruit le 12 juin par une attaque suicide de Daech. Un pharmacien est mort et un véhicule aménagé en salle de chirurgie est parti en fumée. « C’est une perte extrêmement coûteuse ! », se désole le docteur Mohamed al-Chérif, qui a quitté le lieu juste avant l’attaque. Nous manquons déjà de médicaments, d’antidouleur… » À l’hôpital de Misrata, c’est le personnel qui fait défaut. « 60 pour cent de nos infirmiers sont partis », indique le porte-parole Aziz Issa. Majoritairement asiatique, ce personnel a quitté le pays à cause de la dégradation de la situation sécuritaire et économique. Infirmières indiennes et philippines avaient de plus en plus de mal à envoyer de l’argent à leur famille au pays tout en redoutant attentats, kidnappings et affrontements.

Des étudiants en médecine ont été formés pour prendre le relais, mais c’est encore loin d’être suffisant. Quelque 250 blessés ont été envoyés à l’étranger (principalement en Tunisie, en Turquie et en Algérie). Les Libyens estiment que ce n’est pas assez et que l’Europe pourrait agir. « Nous avons besoin d’un soutien logistique, notamment pour soigner nos blessés », explique Jibrill Raed, un entrepreneur réputé de Misrata qui participe à l’effort de guerre en faisant des dons. « Nos hommes se battent aussi pour vous défendre. Souvenez-vous que la Libye est juste de l’autre côté de la Méditerranée. »

Les Occidentaux à la manœuvre

Si les Occidentaux ne sont pas présents pour soigner les blessés, ils prennent tout de même part à l’offensive. « Il y a 15 à 20 Britanniques et Américains qui nous aident », reconnaît sans hésitation Mohamed al-Gasri, porte-parole de la chambre des opérations. « Ils font de la surveillance, déterminent les cibles… » Chef du conseil militaire de Misrata, Ibrahim Baïthimal donne plus de précisions : « Les Britanniques sont les plus efficaces. Ils ont procédé à trois tirs réussis depuis le sol. Avec les Américains, ils ont également effectué quelques bombardements aériens à l’intérieur de Syrte. »

Face à ces forces, l’État islamique a choisi différentes méthodes : snipers, mines placées dans les bâtiments et attaques suicides avec des voitures piégées font énormément de mal aux Libyens. Encerclés dans un territoire de quelque 20 kilomètres carrés dans le centre-ville de Syrte, les terroristes semblent avoir choisi le chemin de la guérilla urbaine. Les Libyens, eux, semblent encore hésiter sur la méthode à suivre : attaquer, c’est risquer de grosses pertes humaines et détruire la ville ; laisser une porte de sortie à l’EI, c’est lui donner une chance de trouver un nouveau fief dans cette Libye chaotique ; assiéger, c’est laisser du temps à l’EI de miner la ville et faire traîner cette situation pendant des semaines. « Nous pensons qu’ils ont beaucoup de nourriture, parce que les familles de Syrte ont tout abandonné en fuyant », explique Abdullah el-Ayeb, un combattant. « Ils peuvent aussi se servir dans les magasins. Pour les munitions, ils ont fait des provisions avant le début des combats. »

Les civils dans Syrte

Ibrahim Baïthimal estime qu’il y avait 2.500 terroristes avant le début des combats et qu’il n’en reste que 500. La grande interrogation qui perdure concerne les quelques centaines d’habitants de Syrte qui n’ont pas quitté la ville. Mohamed al-Gasri considère que ces familles ont des liens avec l’EI, mais souhaite éviter au maximum des pertes civiles. Pourtant, Ibrahim Mouftar Milad, qui a fui Syrte en février, indique : « À l’époque où je suis parti, c’était facile. Mais une semaine après mon départ, ils ont décidé qu’il fallait une autorisation pour quitter la ville. Beaucoup n’ont pas pu sortir. » Comme lui, environ 15.000 familles ont fui depuis l’arrivée de l’État islamique. Elles ont trouvé refuge dans différentes villes libyennes. Le risque que les civils qui demeurent à Syrte soient pris comme bouclier libyen reste une possibilité.


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