La députée ukrainienne Nadiya Savchenko était l’invitée de l’association « Pour la paix et contre la guerre ». Cette pilote est connue aussi pour ses années de prison en Russie et ses grèves de la faim, après avoir été capturée dans le Donbass où elle faisait partie de la milice Aidar.
woxx : Comment cette invitation s’est-elle faite ? Et est-ce que des invitations dans des pays de l’Union européenne sont fréquentes ?
Nadiya Savchenko : Je suis l’invitée de l’association « Pour la paix et contre la guerre » ici au Luxembourg. Je suis en effet souvent invitée dans des pays européens, parce que le conflit en Ukraine est un thème tellement clivant. Vu que mon histoire est très connue et que j’ai connu la guerre personnellement, on me demande souvent de venir partager mon expérience. En règle générale, ce sont des représentants parlementaires de pays européens qui m’invitent à dialoguer sur la sécurité en Europe. Mais aussi des associations qui se concentrent sur la paix et la libération de prisonniers politiques.
Quelles perspectives voyez-vous pour une paix en Ukraine ?
Il y a des possibilités que la paix revienne en Ukraine : chaque guerre se terminera un jour. Reste à savoir quand cela arrivera, quelle superficie du pays sera détruite et combien de personnes devront encore mourir. L’histoire montre que le scénario où un pays capitule et l’autre s’enrichit en conséquence n’est pas viable. Les conflits actuels peuvent se terminer si les deux parties trouvent un compromis et s’il y a des troupes de maintien de la paix menées par l’ONU. Je suis persuadée que l’ONU devrait être plus active en Ukraine, parce que cela fait partie des objectifs de cette organisation : empêcher une nouvelle guerre mondiale.
Pourquoi l’ONU n’est-elle pas plus active, selon vous ?
L’ONU en tant qu’organisation supranationale a certainement perdu de son influence. Dans le cas de l’Ukraine, l’agresseur, donc la Russie, a cofondé l’organisation et dispose par conséquent d’un droit de veto. Ce qui veut dire que l’ONU ne peut pas voter contre elle-même.
Dans l’hypothèse d’une intervention onusienne, quelles conditions pour une paix avec la Russie voyez-vous en tant que politicienne ?
Je ne suis pas pour la présence de troupes onusiennes sur le terrain ukrainien. Connaissant les troupes de l’ONU de l’intérieur (Nadiya Savchenko a été une des rares femmes des troupes de maintien de la paix en Irak de 2004 à 2008, ndlr), je ne pense pas qu’elles seront efficaces. D’ailleurs, ces troupes sont généralement envoyées quand il y a un conflit dans un pays – or ce n’est pas le cas ici, où deux pays s’affrontent sur le champ de bataille. Ce n’est donc pas utile de les voir comme une option. Par contre, je vois la solution dans des traités internationaux avec la Russie, où les frontières et les zones d’influence sont clairement tracées.
Cela voudrait dire que la Crimée devrait retourner à l’Ukraine et que les troupes russes, même non officielles, devraient quitter le pays, particulièrement le Donbass ?
Oui, j’aimerais bien voir un contrôle international garantissant que les troupes russes quittent tout le territoire ukrainien, la Crimée comprise. Dans ces traités, il doit être statué que l’Ukraine est libre de mener sa politique intérieure et d’appliquer sa doctrine militaire comme elle l’entend, sans dépendance de la volonté russe.
Vous croyez donc à une solution diplomatique plutôt que militaire ? Existe-t-il une solution militaire pour l’Ukraine ?
Je ne vois pas de solution qui soit purement diplomatique ou purement militaire. Il faut combiner les deux. Il faudrait s’inspirer de l’exemple croate : les Croates ont réussi à récupérer leurs territoires par la ruse. Nous avons besoin d’une telle ruse nous aussi, et d’un appui international pour contraindre les troupes russes de quitter notre territoire, le Donbass d’abord. Et puis nous devons voir comment récupérer la Crimée.
« L’ONU ne peut pas voter contre elle-même. »
De quoi une telle ruse pourrait-elle avoir l’air ?
La ruse des Croates était de surpeupler volontairement les territoires sous influence russe et en même temps d’y augmenter la présence militaire. Ainsi, ils ont réussi à se réemparer de leurs territoires. Les conflits actuels sont de nature hybride, parce qu’à côté des actions militaires et diplomatiques, les médias jouent un très grand rôle. Les Ukrainiens qui, pour une raison ou une autre, vivent toujours dans les territoires occupés par la Russie, ont toujours résisté au lavage de cerveau russe, et ils vont s’associer dans des mouvements partisans qui aideront plus tard l’armée régulière.
Vous aussi faisiez partie d’un bataillon avant de devenir prisonnière en Russie ?
Notre bataillon n’était pas un mouvement partisan, il était composé de volontaires. Nous avions aussi un certain nombre de partisans, des personnes qui vivaient dans les terres occupées et qui voulaient se battre pour que le Donbass revienne à l’Ukraine. Ces bataillons, comme le bataillon Aidar dont je faisais partie, se sont constitués à un moment où l’Ukraine n’était pas encore en état de se défendre militairement, mais les hommes et les femmes qui vivent dans la région se sont organisés.
« Je ne vois pas de solution qui soit purement diplomatique ou purement militaire. »
Dans les médias occidentaux, votre bataillon a souvent été rapproché de mouvances d’extrême droite, voire néonazies. Qu’en dites-vous ?
Je peux vous dire que c’est l’influence de la propagande russe sur les médias occidentaux. Vu que les Russes disposent de beaucoup plus de moyens financiers que l’Ukraine, ils peuvent peindre une image négative de ces bataillons et dire que le nationalisme est une très mauvaise chose. J’ai vu des Russes qui voulaient tuer des Ukrainiens juste parce qu’ils étaient ukrainiens.
Tout de même, on a un peu de mal à croire que l’audiovisuel public allemand, la ZDF en l’occurrence, soit sous influence russe.
Je ne peux que dire que dans le temps, les Allemands ont persécuté les Juifs seulement parce qu’ils étaient juifs. Les Russes font de même avec les Ukrainiens.
Au cours de votre emprisonnement en Russie vous avez commencé une carrière politique et vous êtes devenue députée. Comment voyez-vous votre avenir au parlement de Kiev ?
Ce n’est pas mon travail préféré, mais je le ressens comme un devoir envers mon peuple qui m’a élue députée. C’est pourquoi je resterai et je m’efforcerai d’œuvrer pour que le système politique ukrainien change. Le système ukrainien provoque beaucoup de corruption – qui est l’ennemi intérieur numéro un du pays. Et c’est difficile de se battre sur deux fronts.
Vous avez quitté votre parti initial et fondé un nouveau parti.
J’ai quitté mon ancien parti pour des raisons idéologiques. Je suis persuadée que la vieille garde politique, au pouvoir depuis des décennies, va s’opposer à tout vrai changement. Les hommes et femmes politiques de mon ancien parti n’ont pas partagé mes opinions sur ces points, ce qui m’a forcée à le quitter. Je crois que mon nouveau mouvement peut apporter les changements nécessaires.
Comment votre nouveau parti voit-il un rapprochement avec l’Union européenne ?
Notre mouvement promeut le principe d’un recentrage sur l’Ukraine. Ce qui veut dire qu’au centre de toute prise de décision, la priorité doit être donnée aux intérêts du pays. Je ne pense pas que nous devrions devenir un poids pour l’Union européenne en faisant de l’adhésion une priorité. Nous devrions essayer de devenir un partenaire respectable, mais pour y arriver il faudra mettre en œuvre un grand agenda de réformes. Après, nous pourrions voir ou revoir les traités avec les pays de l’Union, des traités qui devront être gagnant-gagnant.
Pensez-vous qu’une réconciliation durable entre l’Ukraine et la Russie est possible ?
La réconciliation entre pays est une chose impossible, elle doit se faire entre les gens. Et puis beaucoup de familles ont été séparées par ce conflit. Ce sera donc difficile de se retrouver un jour. En ce qui concerne les relations entre États, on ne peut pas utiliser le terme de réconciliation, mais plutôt parler de pragmatisme et de fiabilité, chaque État défendant ses propres intérêts. Après la guerre, je propose de faire revivre les relations économiques avec la Russie. Des relations économiques qui aideront aussi à créer de meilleures relations à d’autres niveaux.
(lc) – Commenter une interview est une chose rare, et le woxx ne le fait que s’il pense qu’il est absolument nécessaire de le faire. Dans ce cas, ce sont les réponses aux questions ayant trait à la nature politique du bataillon Aidar, dans lequel a brièvement officié Nadiya Savchenko. Si nous comprenons les souffrances que l’interviewée a endurées dans les geôles russes et les horreurs de la guerre dans son propre pays sous attaque, il reste difficile de croire que les médias publics allemands, en l’occurrence la ZDF, puissent vraiment être à la solde de la propagande prorusse. Là où Nadiya Savchenko a définitivement raison, c’est quand elle parle du rôle des médias dans cette guerre, devenue une vraie guerre de l’information. Il est regrettable, quoique humainement compréhensible, qu’elle en soit devenue une victime collatérale. Mais il est clair qu’en tant que média, le woxx ne peut pas cautionner les deux réponses données par l’intéressée sur ce thème.