MÉDIAS: Democratic media machines

« Chamber TV » fait peau neuve : les débats ennuyeux seront remis en forme par des journalistes. Reste à savoir à qui sert la représentation médiatique de la démocratie.

Un président et son émission.

Politique et médias, politique médiatisée ou médias politiques… ce n’est pas seulement depuis que la France dispose d’un président issu d’un feuilleton – qu’on ne peut malheureusement pas zapper – que la problématique de la bonne représentation médiatique est prise en compte. La problématique est multiple : si les régimes totalitaires inondaient leurs sujets de propagande jusqu’à ce que ceux-ci y croient vraiment, la soi-disant ouverture que pratiquent nos régimes démocratiques n’est pas plus à l’abri du mensonge. Il n’y a qu’à voir les tergiversations de l’administration américaine qui devaient justifier l’invasion de l’Irak – celle-ci s’est embourbée dans ses propres mensonges et demi-vérités jusqu’au point où elle y a cru elle-même. Un mécanisme d’ailleurs décrit à merveille par la philosophe allemande Hannah Arendt dans son analyse des « Pentagon Papers », à l’époque de la débandade américaine au Vietnam. Une chose est sûre : la gestion et la bonne appréciation des informations émanant de n’importe quel appareil gouvernemental est une chose délicate.

Le Luxembourg n’a bien sûr pas besoin de mentir pour justifier une invasion militaire à l’autre bout du monde – de toute façon, personne n’y croirait. Pourtant la question de la communication du gouvernement et des institutions démocratiques se pose aussi au grand-duché. Certains ministères semblent plus préoccupés à organiser des conférences de presse tous les deux jours que de vraiment fonctionner. Et même le parlement ne semble plus vouloir s’exclure du cirque médiatique et veut disposer d’une machine à communiquer propre à lui. L’idée de proposer en condensé le travail des députés n’est pas mal à première vue, tant il est vrai que les débats filmés à la chambre des députés et montrés tels quels étaient ennuyants à mort et n’intéressaient pas grand monde excepté les professionnels, comme les journalistes ou les associations.

Eduquer le peuple ?

Mais cette machine à communiquer pose aussi des problèmes d’ordre déontologique. Celui de la neutralité, d’abord. Comment présenter le travail d’un parlement en respectant toutes les sensibilités ? Comme toujours au Luxembourg, il ne semble pas y avoir de plan fixe : « D’expérience, je sais que ces choses-là, ça s’équilibre naturellement avec le temps », commentait Maurice Molitor, le présentateur de l’émission, lors de la conférence de presse de présentation dans les décors de la future émission. Donc, pas de quotas de représentativité. Ce seront celles et ceux qui gueuleront le plus fort, qui auront le plus d’images cathodiques. Reste à savoir en quoi cela va changer le comportement de certain-e-s député-e-s. Mais là aussi ce sera au temps de donner la réponse.

Une autre question qui reste ouverte est celle des partis qui ne sont pas représentés à la chambre des députés. N’est-ce pas mentir et tricher de ne pas parler d’eux ? Ou autrement dit : Est-ce que ne pas disposer de siège revient à être exclu du débat politique ? En tout cas, rien n’est prévu pour les formations à gauche du LSAP. Même si une partie de la faute revient sûrement à l’incapacité de certains d’allier leurs forces pour retrouver une voix dans l’assemblée parlementaire, ignorer le PCL et Déi Lénk revient à donner une fausse image au spectateur. Car, même dépourvus de représentation, ils restent des forces politiques qui ont leur influence sur la démocratie et cette dernière se déroule à la chambre des députés.

Un autre versant du projet qui reste pour le moins délicat : l’aspect pédagogique de « Chamber TV ». « De notre expérience des visites guidées dans la chambre des députés, nous savons que beaucoup de gens n’ont pas d’idée claire quant au fonctionnement de notre démocratie », dit Molitor, « Ce que nous voulons faire, c’est montrer à un maximum de personnes comment se déroule le travail de la chambre. Leur expliquer les processus souvent longs et tortueux que prennent certains projets de loi et témoigner des avances que ceux-ci prennent ». Une bonne idée à la base, mais n’est-ce pas le travail des médias traditionnels ? N’ya-t-il pas des spécialistes de la chambre qui en connaissent tous les recoins et trucages ? « Nous voulons que cette émission soit complémentaire aux autres médias », rassure Lucien Weiler, le président de la chambre. En ne se concentrant pas uniquement sur les décisions en fin de procédure, mais en commentant un projet de loi au moment de son dépôt jusqu’au dernier vote, « Chamber TV » se veut surtout une institution pédagogique. Mais peut-être aussi que certain-e-s député-e-s se réjouissent de ce média qui leur appartient dans un certain sens – ainsi ils n’auront plus à avoir peur des médias traditionnels. En ce sens, cette nouveauté témoigne aussi un peu de la méfiance de notre chère démocratie envers les médias traditionnels. En se créant un canal médiatique dans et dépendant de sa propre maison, la chambre se préserve aussi un droit d’interprétation des informations. Le problème est seulement que l’émission n’est pas produite par une institution publique mais par le Broadcasting Center Europe qui appartient à RTL, qui lui appartient au géant médiatique international Bertelsmann. Outre le fait que ce conglomérat gagnera encore des sous avec une émission non-commerciale qui se doit d’être neutre – le budget oscillerait entre 200.000 et 250.000 euros, selon Lucien Weiler – le problème se situe aussi au niveau déontologique de l’affaire. Même si le contenu de « Chamber TV » et de l’émission hebdomadaire « Chamber Aktuell » est en un sens sous contrôle parlementaire, le fait qu’elle soit produite par Bertelsmann in fine reste problématique. Ce n’est pas le cas par exemple chez nos voisins français où la chaîne parlementaire est produite par les services publics. Mais peut-être que cette constellation fera enfin comprendre à nos député-e-s que la création d’un secteur audiovisuel à cent pour cent public est aussi une nécessité au Luxembourg.

En somme, cette innovation n’est pas vraiment dangereuse et si le projet fonctionne bien, il pourrait du moins produire un peu plus d’intérêt pour la politique surtout pour la jeune génération, apparemment désintéressée. Un autre avantage est que nos chers/chères représentant-e-s du peuple se sentiront peut-être un peu plus surveillés. Mais bon, pas de panique mesdames et messieurs : il restera toujours les séances non publiques pour dire ce que l’on pense vraiment ou simplement roupiller un peu tant que les caméras sont éteintes.


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