En valorisant les oeuvres plus tardives du peintre « métaphysique » Giorgio de Chirico, le Musée d’art moderne à Paris permet de réapprécier son parcours artistique atypique.

L’Enigme d’un jour II (1914)
Comme dans un rêve, je pénètre sur cette grande place déserte, quelque part en Italie du Nord. Le soleil inonde le sol d’un jaune éblouissant, entrecoupé des ombres verdâtres allongées des palais et arcades alentour. Au centre de la place, une statue de femme couchée en albâtre me fixe, en haut d’un palais, une horloge me guette. Au loin, deux palmiers et un train en marche. Seul, perdu dans cet espace à la fois sombre et illuminé, je frissonne.
Ce n’est pas chose aisée que de décrire un tableau comme « La récompense du devin » de Giorgio de Chirico, peintre italien qualifié de « métaphysique », dont le Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAM) expose actuellement plus de 150 oeuvres. La simple énumération des composantes risque de suggérer la banalité plutôt que l’émerveillement ressenti quand on prend le temps de « plonger » dans les tableaux. Les visiteurs qui se contentent de l’exégèse à quatre sous des horloges, sculptures et fruits exotiques, ne s’attardent que devant les oeuvres les plus connues. De surcroît, c’est dans les premières salles que se presse le plus de monde, car c’est là qu’est exposé le « grand » Chirico, celui consacré par les surréalistes. A partir d’environ 1925, André Breton a « brûlé » ce peintre qu’il avait auparavant adoré et le mainstream de la critique d’art lui a emboîté le pas et voué au mépris la production ultérieure de l’artiste.
Or l’intérêt de l’expo au MAM, au-delà de la quantité notable de tableaux exposés, consiste dans le regard nouveau qu’elle pose sur les périodes de maturité de Chirico. Le superbe catalogue contient d’ailleurs de nombreux articles consacrés à une révision du jugement des surréalistes et à l’interprétations des recherches artistiques de Chirico à partir des années 1940. Cela suffira-t-il pour infléchir le regard du grand public ?
C’est que, jusqu’aux années 1920, de Chirico faisait incontestablement partie de l’avant-garde artistique. Bien que son style demeure figuratif en apparence, sa rupture avec la peinture réaliste n’est pas moins radicale que celle des cubistes, avec lesquels il a été en contact. Pourquoi alors s’être tourné vers l’imitation de et la variation sur les grands classiques, de Raphaël jusqu’à Watteau, puis, vers la fin de sa vie, en être venu à ressasser les piazzas italiennes de sa période de jeunesse ? Difficile de prime abord de s’enthousiasmer pour ces tableaux qui referment les horizons plutôt que de les ouvrir.
Difficile mais également éprouvant. Car quel peut être le message véhiculé par ce parcours artistique, sinon celui d’un échec. Echec de l’avant-gardisme en général, puisqu’après avoir exploré des territoires inconnus, Chirico se rabat sur la peinture d’avant-hier, puis fait du sur-place dans son univers « métaphysique ». Et échec de la réponse surréaliste à la modernité, de l’espoir de faire revivre l’humanisme à travers un art puisant dans le subconscient de l’être. Ce subconscient que Chirico adresse dans ses meilleurs tableaux « métaphysiques », mais qui s’exprime de façon mystérieuse et inutile.
Jusqu’au 24 mai – « Giorgio de Chirico – La fabrique des rêves », au Musée d’art moderne de la Ville de Paris http://mam.paris.fr