INSTALLATIONS: De la liberté de représenter

L’exposition « Edopolis » d’Edgar Honetschläger au Casino démontre que la création d’un nouveau langage artistique est possible.

Comment représenter le monde actuel et sa diversité de façon honnête, claire et précise et surtout esthétique ? Pour répondre à la diversité et à la complexité de notre planète, les artistes contemporain-e-s mobilisent toute la panoplie de médiums qu’ils ont à leur disposition, du sage dessin au crayon jusqu’à l’usage radical de leur propre corps. Et pourtant, on aura rarement vu des représentations plus justes, plus subtiles et plus raffinées que celles que nous fait découvrir
Edgar Honetschläger.

D’emblée l’on voit que la question du comment représenter la réalité est primordiale pour Honetschläger. Toutes ses pièces sont construites jusqu’au détail le plus infime, tournant ainsi le dos au fameux « instinct artistique » qui est revendiqué par beaucoup trop de ses collègues pour cacher leur manque d’inspiration. Une installation avec vidéo comme « Enduring Freedom » ramène la réalité à un processus simpliste, sans pour autant délaisser dans les détails la question de la réalité et de notre rapport à ce que nous voyons. De la référence politique du titre – c’est le nom de l’opération américaine lancée en Afghanistan en 2001 – nous tombons dans un scénario a priori absurde : un homme dans un lit chasse des mouches et finit par en claquer une contre le mur, l’homme étant l’Amérique et les insectes? des adeptes d’Al-Qaida. Pourtant, si le lit est bien réel, l’interrupteur, la fenêtre et la lumière sont peints sur le mur. Cela constitue un premier téléscopage de la réalité… que le spectateur peut doubler en regardant autour de lui : il se trouve dans exactement la même pièce que l’acteur qu’il voit sur la vidéo, le même lit, les mêmes articles en papier peint, même la mouche. Ainsi, le spectateur se retrouve comme élément d’une représentation, qui n’est elle-même qu’une représentation. Une belle réflexion sur l’emprise des médias et la position du consommateur d’informations.

D’autres pièces montrent surtout la part politique dans l’art de Honetschläger. En témoigne tout particulièrement l’installation « Beijing Holiday », qui – tout comme l’oeuvre précédante – est composée d’un film et de divers artéfacts extraits de ce dernier. Ici, c’est Madame Chang Kai-Chek qui accueille le spectateur dans la salle, ou plutôt sa mannequin. Elle est assise devant l’écran et nous invite à regarder sa petite romance avec l’artiste inventée par Edgar Honetschläger en personne qui trimballe la statue à travers les rues de Pékin. Cette exposition de la femme du grand adversaire de Mao a valu à l’artiste le statut de « persona non grata » en Chine continentale, mais surtout elle valait le coup : car en fin de compte, il ne cherchait pas seulement à provoquer, mais plutôt à remettre en question le rapport à l’histoire qui, en Chine comme chez nous, est tellement plus complexe que les bouquins d’histoire aimeraient nous le faire croire. Que diraient les Françaises et les Français si un artiste viennois se baladait à Paris en embrassant une statue de Madame Pétain ?

La troisième composante de « l’Art selon Honetschläger » est constituée par l’approche personnelle. Dans « Scent of Snow », il reconstruit sa rencontre avec une jeune Japonaise dans le fameux Chelsea Hotel de New York au beau milieu des années 90. Dix ans après cette rencontre, Honetschläger a demandé à trois artistes de refaire le même dialogue sur vidéo, qu’il a enregistré à New York, avec reconstitution du même décor en papier peint. Pour couronner le tout, l’installation comprend une borne vidéo supplémentaire qui montre une scène de cul – ce qui a déjà amené la pudibonde critique du Wort à réclamer une censure. Mais la qualité poétique de l’installation n’est que rehaussée par cette intervention de l’érotisme – puisque l’amour ne va jamais sans le désir, pourquoi le cacher derrière les bons sentiments ? La réecriture et la répétition ont une valeur particulière dans l’oeuvre de Honetschläger. Elles décrivent en même temps les conséquences de la modernité – la répétition à outrance, comme l’a pratiquée un certain Andy Warhol – mais Honetschläger démontre aussi que nous nous sommes accoutumés à la sérialisation de nos vies – qu’on est enfin entrés sciemment dans le postmoderne.

En bref : « Edopolis » est rafraîchissant, politique, drôle, humain et surtout à ne pas rater.

Edopolis, jusqu’au 6 septembre au Casino-Forum d’art contemporain.


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