STATUT DU FOETUS: « Un énorme flou juridique »

Le gynécologue Claude Sureau s’exprime sur le projet de loi « relative à la bioéthique » français, l’avortement et le clonage thérapeutique. 

Claude Sureau est né en 1927 à Paris. Sa thèse sur l’activité électrique de l’utérus gravide le conduit à observer et à enregistrer, pour la première fois au monde, un électrocardiogramme foetal complet in utero. Il poursuit ses recherches sur ce thème et contribue à la mise au point, au perfectionnement et à la diffusion de la surveillance électronique du fœtus in utero. Parallèlement il exerce une activité clinique complète de gynécologue obstétricien, dirige successivement différentes maternités et des unités de recherche. Ancien président de l’Académie de médecine de France, il s’intéresse aux problèmes bioéthiques posés par la procréation humaine. Depuis 2005 il est membre du Comité consultatif national d’éthique français.

woxx : C’est vous qui, en 1953, avez observé et enregistré pour la première fois un électrocardiogramme foetal complet in utero. Dans quelle mésure cela a-t-il changé votre travail de gynécologue et votre perception de la vie de l’embryon ?

Claude Sureau : Si je peux me permettre un retour en arrière : Au cours du 19e siècle, la découverte de l’auscultation des bruits de coeur foetaux est due à un médecin breton Jacques Alexandre Le Jumeau de Kergaradec, qui en avait déduit que l’on pouvait apprécier la vitalité de l’enfant. C’était vraiment une découverte fondamentale, qui a mis très longtemps avant de s’installer dans les mentalités médicales. Un siècle plus tard, on se retouve avec l’enregistrement non plus des bruits du coeur mais de l’électrocardiogramme foetal – c’est le sujet sur lequel j’ai travaillé dans les années 50. A partir de ce temps là on a une possibilité de prévoir les anomalies éventuelles, parce que l’enregistrement s’effectue sur papier, on voit donc exactement les variations du rythme cardiaque foetal. Il faut bien reconnaître que cet enrégistrement de l’électrocardiogramme foetal a conduit à ce que la mortalité des foetus a considérablement diminué. L’objectif d’améliorer la sauvegarde foetale a eu un contrepoint défavorable, car cela a provoqué une inquiétude plus grande de la part des accoucheurs et a entraîné une augmentation du nombre des césariennes, qui était à l’époque de deux ou trois pour cent.

Ces découvertes n’ont rien changé au statut juridique du foetus ?

C’est un problème capital et c’est le cas en France et dans beaucoup de pays au monde où on ne reconnaît que deux entités juridiques : les personnes – plus précisément les personnes nées – et les biens. Cela soulève la question de l’existence d’une autre entité, qui jusqu’ici n’est pas reconnue et qui est celle de l’enfant pas encore né. On le voit par exemple dans quatre arrêts de la cour de cassation française suite à des accidents médicaux ou de la circulation. Ces accidents avaient mené à des situations où le foetus est mort in utero avant la naissance. Et dans ces quatres circonstances, la jurisprudence française a considéré que la mort de ce foetus était un non-événement. Ça veut dire, que si une femme perd son enfant à la suite d’un accident de voiture ou d’un accident médical, le droit répond : Il ne s’est rien passé. Il y a ici quelque chose de choquant – pour la mère et pour l’accoucheur qui a constaté cette mort.

Quand est-ce que le statut de personne du foetus commence selon vous ?

Le problème est qu’il y a un énorme flou juridique sur le moment de la grossesse, sur le poids du foetus à partir duquel sa mort peut être reconnue comme un événement important. Il y a là un flou dans le droit français, qui fait qu’un foetus de 500 grammes et de 6 mois de grossesse est reconnu comme un être vivant. Et si l’expulsion du foetus intervient plus tôt – c’est la femme qui peut oui ou non déclarer la naissance de cet enfant. Autrement dit un foetus de 500 grammes existe, un foetus de 200 grammes est lié à la volonté de la femme. À partir du moment ou l’être est conçu, il est de fait, qu’il a une existence et cette existence n’est pas reconnue. Là il y a un défaut juridique du droit français. Et c’est pour cela que ma position personnelle est de dire qu’il devrait exister une troisième catégorie du droit, qui est différente des choses, différente des personnes nées – et qui est celle des êtres vivants non nés.

Reconnaître des droits au foetus – est-ce que ça ne risque pas de remettre en cause le droit à l’avortement ?

On peut utiliser cet argument là, mais il est fallacieux, parce que depuis la loi de 1975 – dite la loi Veil – le problème de l’avortement volontaire est parfaitement réglé par le droit français. La position sur la viabilité du foetus ne veut pas remettre en question la loi Veil, parce que celle-ci est respectée.

Comment est-ce que vous vous positionnez par rapport à l’avortement ? Surtout dans le milieu des gynécologues, on constate souvent une certaine hypocrysie ?

C’est un problème extrêmement délicat. Moi-même je suis catholique et pour des raisons philosophiques je n’ai jamais pratiqué d’avortement volontaire par convenance au cours de ma carrière sauf en deux circonstances. J’ai fait de nombreux avortements thérapeutiques dans des cas de maladie foetale. Je suis opposé à l’interruption volontaire de grossesse, mais conscient du fait qu’une telle position me met en position délicate par rapport à mes confrères, parce qu’au fond je me décharge sur eux de la responsabilité de réaliser cette interruption de grossesse.

En France la discussion tourne beaucoup autour du projet de loi « relative à la bioéthique ». De quoi s’agit-il ?

Au moins six rapports ont été publiés au cours de l’année dernière sur ce projet de loi. Vous avez plein d’éléments qui méritent une réflexion. Par exemple celui de l’anonymat. La loi française a interdit dans le cadre du don de sperme la révélation de la filiation. Le projet de loi aboutira éventuellement à la levée de l’anonymat. Je pense qu’à terme la levée de l’anonymat sera inéductable pour la simple raison, que la connaissance des caractéristiques génétiques des individus rendra inévitable la révélation de leur origine. Un autre aspect de cette loi auquel je suis très sensible, c’est le problème de l’insemination post mortem. Actuellement le droit français interdit qu’une femme peut demander le transfert in utero d’un embryon dont le père vient de mourir. Un autre problème, dont on discute au comité d’éthique national français, c’est celui de la recherche sur l’embryon. En France, il y a eu un moratoire qui finit en janvier – faut-il maintenir ou non l’interdiction de ce type de recherche. Et il y a aussi la résistance à la procréation des célibataires. Actuellement, la position française dit non à la mise en route d’une grossessse in vitro d’une célibataire. Moi je suis pour qu’une célibataire ait le droit d’avoir un enfant, je suis assez libéral sur ce point.

C’est une loi, donc c’est très complexe.

J’aurais tendance à faire confiance aux individus et aux médecins. Personnellement, je pense qu’on a plus à craindre de la brutalité de la loi que de dérives éventuelles. Il y a le diabète, la maladie de Parkinson – toutes ces pathologies pourraient un jour bénéficier des progrès de la thérapie cellulaire.

Comment concilier l’éthique et la liberté de recherche ?

La question qui se pose est de savoir si c’est pour innover, pour traiter et pour prévenir. La recherche sur l’embryon est actuellement interdite. Personnellement j’aurais tendance à m’orienter dans le sens de la recherche sur l’embryon – mais cela se rattache à la question de la nature de l’embryon : Est-ce qu’il est une personne, une chose ou est-ce qu’il est une entité à part entière ? Je le situe comme une entité à part entière.

Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?

Si la recherche sur l’embryon est destinée à éviter des pathologies, l’un ne va pas sans l’autre.

Etes-vous pour le clonage thérapeutique ?

Oui. Mais je ne suis pas pour le clonage reproductif. C’est une ambiguïté énorme. La France n’a pas ratifié la convention d’Oviedo – je pense, que c’est à cause de la possibilité de modifier les caractéristiques des gamètes. Dans le droit français, il y a une phrase tout à fait remarquable, qui veut dire qu’on ne peut pas modifier des caractéristiques génétiques de la cellule – sauf s’il s’agit de faire des recherches aboutissant à la prévention des maladies génétiques. Mais est-ce qu’on a le droit de toucher au patrimoine génétique de l’individu ? Et là je reviens sur votre question d’avant : Il y a une contradiction entre le droit français et la convention d’Oviedo.

On remarque une généralisation progressive du dépistage des maladies avant la naissance. Cela engendre aussi des questions éthiques, qui n’existaient pas avant.

On peut intervenir au moment de la conception sur les gamètes de manière à prévenir des maladies – si on y parvient. Ou on peut aussi intervenir après la fécondation, si on constate une anomalie génétique et qu’on fait une interruption de grossesse. Et là aussi il y a des différences : Une anomalie comme un bec de lièvre peut être traitée chirurgicalement après la naissance. Mais qui doit prendre les décisions dans ces cas ? Je plaide pour que ce soit le responsable médical qui prenne cette décision, parce qu’il est à même de discuter avec la femme et sa famille. Il n’y a pas de règle générale. La position juridique actuelle a été de trancher – moi je plaide pour une réflexion au cas par cas.

Claude Sureau sera présent lors du colloque intitulé « Aspects éthiques de la médicalisation de la conception humaine » organisé par la Commission consultative nationale d’éthique. Ce colloque aura lieu vendredi 3 et samedi 4 décembre à partir de 9h au Centre Neumünster à Luxembourg.

Pour plus d’info : www.cne.lu


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