Personnage de grande envergure né au Luxembourg, mais aussi un peu fils oublié du grand-duché : Hugo Gernsback continue à fasciner, comme le démontre l’exposition que lui a consacré le Centre National de la Littérature.
Quand on sort du cinéma Utopolis sur Kirchberg et qu’on attend le bus numéro 18 pour rentrer en ville, on peut occuper ces quelques minutes d’attente par une petite spéculation : « Se retournerait-il dans sa tombe ? Ou en rirait-il ? ». Car la petite et bien triste ruelle qui sépare le multiplex des salles d’exposition de la foire porte le nom d’un Luxembourgeois plus connu que les autres dans le monde entier. Peut-être même plus que Jean-Claude Juncker himself. On parle bien sûr de Hugo Gernsback, père de la science-fiction, inventeur un peu fou et surtout né au Luxembourg, même si ses origines sont – comme pour beaucoup d’entre nous – ailleurs.
Il est toujours étonnant de voir à quel point tant de Luxembourgeois ignorent jusqu’à l’existence même l’oeuvre de Hugo Gernsback. Comme si tant de succès et tant d’audace n’étaient pas des atouts du cru. Comme si l’inventeur de la science-fiction n’avait pas sa place parmi les Edward Steichen et autres fils illustres de la partie. L’exposition qui lui est dédiée en ce moment encore au Centre National de la Littérature de Mersch tente, dans sa dernière partie, de donner des débuts d’explication à ce phénomène bizarre. D’après les auteurs, Gernsback a toujours fait l’objet d’un certain scepticisme dans son pays d’origine : trop américanisé, trop rapace et trop éloigné de sa patrie. En tout cas, il aura fallu attendre l’année précédant son décès en 1966 avant que la presse luxembougeoise ne lui consacre enfin un article. Pour quelqu’un qui avait été nommé « Officier de l’Ordre Grand-Ducal de la Couronne de Chêne » en 1953 déjà, c’est assez inhabituel.
Mais avant de parler de l’accueil de Hugo Gernsback par l’opinion publique luxembourgeoise, il faut peut-être évoquer ses liens avec le grand-duché, qui sont bien complexes et illustrent de manière admirable le personnage qu’il va devenir au Etats-Unis. De sa famille, il était le seul à être né au grand-duché. Son frère Sally – surnommé Sidney plus tard – était né à Bühl dans le pays de Bade, d’où venait toute la famille Gernsbacher (le nom fût changé plus tard après son arrivée aux Etats-Unis). Le père Moritz Gernsbacher était un marchand de vin juif et avait choisi le Luxembourg pour nouveau lieu de résidence pour sa famille. Un succès apparemment, puisqu’ils firent même construire une somptueuse demeure familiale sur le plateau Bourbon. Hugo Gernsbacher est donc né le 16 août 1884 dans un environnement bourgeois et aisé de la capitale et va y passer ses vingt premières années. Selon les sources, ces années luxembourgeoises étaient particulièrement importantes pour lui. En tout cas, jamais ne reniera-t-il ses origines. Au contraire, Gernsback a toujours fait un cas de son lieu de naissance, au point où certains observateurs le soupçonnent même d’avoir voulu faire un atout de l’« exotisme » d’un pays si particulièrement petit.
Mais tout pousse à croire que le jeune Gernsback a été un patriote luxembourgeois exemplaire. Bien qu’il fût fasciné par la technologie dès son plus jeune âge, il a composé à l’âge de 18 ans une marche patriotique intitulée « Rôd, Wêis, Blo », qui fait toujours partie du registre de la musique militaire luxembourgeoise.
Par contre, sur les bancs d’école, le futur savant faisait plutôt figure de cancre. On ignore si c’était par paresse ou manque d’intérêt, en tout cas ses bulletins – exposés au Centre National de la Littérature – ne lui attestent pas vraiment de grandes compétences linguistiques. D’ailleurs un document sonore qui fait partie de l’exposition reproduit une interview du vieux Gernsback dans une émission de télévision américaine : il est intéressant non seulement pour son contenu mais aussi pour l’accent luxembourgeois pénétrant qu’il ne semble avoir jamais perdu. En tout cas, ses notes dans les matières scientifiques sont un peu meilleures, mais pas brillantes non plus. Au point où on ignore s’il a jamais obtenu le bac de l’époque, les archives de l’école qu’il fréquentait à Bingen étant incomplètes. Toujours est-il que plusieurs demandes de brevets d’invention de son cru furent refusés tant par les Français que par les Allemands.
Quelques mois après la mort de son père en 1903, vers le début de l’année suivante, le jeune Hugo embarque pour les Etats-Unis, en cabine de première classe. Assez spleenétique pour un jeune homme qui indiquait comme profession « électricien » lors de son passage à Ellis Island.
Arrivé à New York en 1904, le premier pas de Gernsback fût la création de « The Electro Importing Company (Eico) » la première société américaine de vente par correspondance aux particuliers d’articles électroniques servant à la radiotélégraphie. Même si la majorité des articles provenait du vieux continent, sa compagnie se mit vite à produire elle-aussi des équipements techniques pour ouvrir les ondes radio à tout le monde.
Ce doit aussi être à cette époque que Gernsback a vu et compris que pour vendre ses appareils, il fallait d’abord les expliquer. Contrairement à Marconi, qui ne voulait vendre qu’à de grandes firmes ou à des gouvernements, Gernsback avait en tête le particulier. Et pour que ce dernier achète, il faut lui enlever la peur du progrès. D’où la nécessité de se lancer dans l’édition de fascicules et de livres tout autour de cette nouvelle technologie, activité qui allait prendre une énorme importance. Et qui allait faire de lui le « Father of Amateur Wireless », comme il se désignait lui-même à l’époque. Gernsback allait même être à la tête de la première « Radio Amateur League », avant la Première Guerre mondiale.
Mais ce ne sont pas seulement les sons et leur transmission qui intéressent Gernsback. Les images aussi l’intéressent et ce n’est donc pas vraiment étonnant qu’on le retrouve aussi parmi les premiers éditeurs de magazines et de documentations à ce sujet dans les années 20.
Amateur, vulgarisateur et père des ondes
Quant au pas à franchir entre éditeur de science et éditeur de science-fiction, Gernsback en a tissé sa propre légende. Selon lui, un des numéros du magazine « Modern Electrics » qu’il éditait en 1911 présentait quelques pages blanches et il ne savait pas comment les remplir – sauf avec de la fiction. C’est ainsi qu’est né son premier roman de science-fiction « Ralph 124C 41+ : A Romance of the Year 2660 », qui allait paraître en douze épisodes dans le même magazine. Même si les critiques littéraires ont toujours pointé la mauvaise qualité de son récit, Gernsback venait de découvrir quelque chose d’essentiel : la narration comme véhicule de ses principales idées, à savoir la vulgarisation et la propagation des technologies de son époque et de celles à venir. D’ailleurs, lorsqu’il évoquait son roman, Gernsback s’est toujours targué d’avoir prédit certaines inventions qui allaient devenir réalité, comme un système de radars qui ne fût effectivement inventé qu’une vingtaine d’années plus tard.
Cela fait-il de lui le père de la science-fiction ? Les opinions divergent là encore, car pour certains critiques la prose de Gernsback était trop axée sur la technologie et puis le personnage lui-même ne leur inspirait pas forcément de la sympathie. Peut-être que l’explication de Sam Moskowitz, ami de longue date de l’éditeur, peut fournir des éclaircissements sur ce que Gernsback représente vraiment. Selon lui, Gernsback est à la science-fiction ce que Washington est à l’Amérique. Car l’Amérique a bien existé avant Washington, comme la science-fiction avant Hugo Gernsback. Il suffit pour cela de penser à des auteurs comme Jules Verne ou H.G. Wells, qui développaient des récits fantastiques et spéculatifs sur le futur bien avant sa naissance de Gernsback. Mais, dit Moskowitz : « The thirteen colonies were not an independent nation before 1776 and might not have become so without George Washington, and there were no Science Fiction magazines before 1926 and their existence can be completely credited to Hugo Gernsback. »
Si Moskowitz date la naissance des magazines de science-fiction en 1926, ce n’est pas parce que, comme nous l’avons vu, Gernsback ne faisait pas dans la fiction avant cette date. C’est parce qu’en avril 1926, il publie son premier numéro de « Amazing Stories », magazine d’un genre tout à fait nouveau qui ne contenait plus d’articles scientifiques mais uniquement des articles dédiés à ce qu’il appelait « Scientifiction » – le terme de science-fiction n’apparaîtra que dans un de ses éditoriaux en 1929. C’est le début d’une ère qui est loin d’être achevée de nos jours – au contraire, la science-fiction est devenue un genre littéraire à part, sorti de la boue dans laquelle les tenants de littérature sérieuse allaient vouloir la jeter. Cela dit en passant : les magazines de Gernsback ont aussi servi de tremplin à la courte et tragique carrière d’un des meilleures romanciers d’horreur de tous les temps, H.P. Lovecraft.
Mais Gernsback n’allait pas s’arrêter là. Pendant toute sa vie, il continuera de lancer magazine sur magazine, se relevant chaque fois qu’il fonçait droit dans le mur de la faillite. Et ce ne sont pas seulement des revues de science-fiction qui sortaient de sa maison d’édition, comme le prouve le magazine « Sexology », le premier aux Etats-Unis à être dédié à ce sujet. Apparemment, même Ernest Hemingway, auquel Gernsback avait rendu visite en 1940, s’était vivement intéressé à cette publication et avait même sollicité des conseils de Gernsback pour améliorer sa virilité.
On pourrait continuer ainsi et raconter anecdote sur anecdote issues de cette vie pas comme les autres, mais cela enlèverait peut-être à la curiosité pour cette excellente exposition. De toute façon, il est totalement impossible de résumer la vie de Hugo Gernsback. Peut-être tout simplement parce qu’il ne s’est pas limité à une seule, mais qu’il a vécu toutes les vies qui lui étaient possibles?
L’exposition « Hugo Gernsback – An Ama-zing Story », au Centre National de la Littérature encore jusqu’au 18 mars.
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