Si le football est le sport national le plus populaire, c’est surtout dans le cyclisme que les sportifs luxembourgeois excellent. Mais à côté des Gaul ou des Schleck, l’on oublie trop souvent les performances parfois historiques des femmes.
Pour qui n’a jamais porté une attention particulière au sport cycliste et qui ne connaît que les noms de grands coureurs comme les incontournables frères Schleck, la surprise est d’autant plus grande d’apprendre que la première femme cycliste à remporter un championnat mondial était… luxembourgeoise. Comme quoi, il arrive que le Luxembourg produise lui aussi des pionniers, voire des pionnières, comme Elsy Jacobs. Il faut dire que cette Garnichoise est quasiment née, en 1933, avec un guidon entre les mains. Car lorsqu’elle n’aidait pas ses parents dans l’exploitation agricole familiale – elle battait, paraît-il, sans grande peine les hommes au ramassage de pommes de terre – après ses cours à l’école, elle s’entraînait sur le bitume avec ses quatre frères, aficionados comme elle de la petite reine. C’était l’époque du grand Charlie Gaul, dont le nom exportait comme nul autre la réputation de son petit pays natal si méconnu en-dehors de ses frontières.
Mais en plus d’avoir décroché le premier titre mondial, elle a réussi à garder le record du monde de vitesse pendant 14 ans – de 1958 à 1972. Cet article n’aurait probablement jamais été rédigé si cette semaine deux événements n’avaient pas replacé la défunte Elsy Jacobs sous les projecteurs. Ce mardi, une plaque commémorative à son effigie a enfin trouvé sa place à côté de celles des deux autres cyclistes luxembourgeois Nicolas Frantz et François Faber au parc près de la Villa Vauban dans la capitale. Et ce week-end, la quatrième édition du Trophy Elsy Jacobs sera disputé. Tout cela sans oublier, jeudi passé, une table ronde au sujet du cyclisme féminin avec la personnalité d’Elsy Jacobs comme toile de fonds.
Car de la personnalité, cette femme n’en manquait pas. Comme toutes les pionnières, comme toutes ces défricheuses d’univers machistes, Elsy Jacobs devait aussi en avoir, de la personnalité. On ne peut pas dire qu’elle ait été beaucoup aidée. A commencer par la fédération du cyclisme : comme très souvent, le Luxembourg des années 50 n’était pas à la pointe du progrès et la fédération ne permettait tout simplement pas la participation de femmes à de telles courses. Et si cette dernière lui octroie malgré tout une licence en 1955, c’est pour participer aux courses chez nos voisins belges et français.
Trois ans plus tard, en 1958, c’est le coup de tonnerre : elle participe au premier championnat du monde de cyclisme féminin à Reims. Contrairement à ses rivales soviétiques, la « petite » Luxembourgeoise ne faisait pas partie des favorites, même si elle figurait sur la liste des 25 « coursières à surveiller ». Elle réussira pourtant un détachement exemplaire et terminera première avec une avance de deux minutes 51 secondes sur les suivantes. La « grande-duchesse », comme elle fut appelée, était née. Comme le rapporte Gaston Zangerlé dans la biographie (1) qu’il lui a dédiée, « Les responsables de la fédération nationale, qui si longtemps avaient bloqué la compétition féminine au Luxembourg, et qui s’étaient opposés encore quelques jours plus tôt à la sélection d’Elsy Jacobs, se mordaient les doigts ». Il n’empêche qu’Elsy Jacobs venait de faire sauter une digue : la fédération nationale de cyclisme n’avait plus d’autre choix que de reconnaître les courses féminines. Et à partir de cette année, et jusqu’en 1974, Elsy Jacobs détiendra le titre de championne nationale. Mais voilà, elle se retrouve en conflit avec la fédération qui, prétextant des raisons budgétaires, a refusé de l’inscrire aux championnats du monde. C’en était trop. Elsy quitte définitivement le Luxembourg, adopte la nationalité française et part s’installer en Bretagne et continuera sa carrière jusqu’en 1984.
Elsy Jacobs, la pionnière
Malgré cette épopée exceptionnelle, et alors que les courses cyclistes telles que le Tour de France, le Giro d’Italie ou la Vuelta d’Espagne comptent des dizaines de millions d’adeptes, le cyclisme féminin n’en reste pas moins une discipline méconnue. Pour Roland Beck, coordinateur du Trophy Elsy Jacobs qui se déroulera ce weekend, le cyclisme est perçu comme « une discipline particulièrement peu féminine ». « Mais il faut changer de regard : une femme sur un vélo, cela fait plaisir à l’oeil. Prenez Elsy, c’était une belle femme qui avait de l’allure ! », s’enthousiasme-t-il.
Mais le manque de popularité du cyclisme féminin a d’autres racines. Le système médiatique en fait partie. A l’instar de Roland Beck, qui pointe l’absence de références, donc de noms connus, la jeune coureuse Christine Majerus se désole aussi du manque d’intérêt de la part des médias : « Il suffit de voir : même lorsque des coureuses luxembourgeoises font de belles performances à l’étranger, les médias n’en parlent pas, alors qu’ils parlent d’autres courses masculines auxquelles aucun Luxembourgeois n’a participé ». Pourtant, les femmes ont réussi à obtenir un traitement équivalent aux hommes dans certains sports, notamment le tennis où les noms de grandes joueuses sont mondialement connus depuis les années 80. « C’est aussi dû à l’engagement des syndicats de joueuses qui n’ont pas lâché le morceau jusqu’à ce qu’ils décrochent quelque chose », analyse Majerus. « Malheureusement », continue-t-elle, « les coureuses cyclistes sont encore un peu trop timorées. Il suffit de prendre l’exemple des oreillettes : alors que les hommes ont lutté pour pouvoir les garder, les femmes ont trop rapidement abdiqué ».
Mais d’une certaine manière, un sportif peut plus aisément lutter lorsqu’il représente un poids économique plus conséquent. En effet, le fossé des rémunérations qui sépare les hommes des femmes est béant. Rien que l’argent investi dans une équipe comme Leopard Trek pourrait faire fonctionner cinq équipes féminines. Quant au montant des prix, il suffit de comparer : le premier prix lors d’une coupe de France est de 5.000 euros pour un homme et de 250 euros seulement pour une femme. Les barèmes sont en fait fixés par l’Union cycliste internationale (UCI). Certes, les organisateurs sont libres d’augmenter le montant, mais lorsqu’il s’agit de débourser volontairement, c’est une autre paire de manche. Les courses des femmes seraient-elles moins spectaculaires ? « Certains font valoir que les performances des hommes sont supérieures. Mais c’est totalement faux. Notre engagement et notre `agressivité‘ sont identiques aux hommes. Tout comme le temps, les coûts et les efforts investis », répond sans détours Christine Majerus.
Une question d’argent
De plus, il est bien connu que les sponsors constituent le nerf de la guerre dans le sport, et particulièrement dans le cyclisme. Or, ces derniers dépenseront allègrement bien plus d’argent pour des têtes d’affiches comme un Schleck ou un Contador que pour des coureuses féminines, qui, si elles sont tout aussi méritantes, ne font pas les premières pages des journaux. Et le serpent de se mordre la queue : sans grand nom, pas de sponsor, sans sponsor, peu de moyens, sans grands moyens, peu d’attention médiatique et donc pas de grand nom… « Le problème », explique Christine Majerus, « c’est aussi que les médias ne s’intéressent que de temps en temps au cyclisme féminin, comme par exemple pour ce weekend. Mais il faudrait qu’il y ait une plus grande continuité. A la télévision, les communiqués de presse relatant les bonnes performances ou les victoires de coureuses luxembourgeoises passent souvent à la trappe, ils sont comme ignorés. Le Trophy Elsy Jacobs, c’est un peu comme la Journée internationale de la Femme : on en parle une fois par an et puis, on oublie. »
« Avant les frères Schleck ou Kim Kirchen, l’attention médiatique envers les coureurs luxembourgeois n’était pas beaucoup plus grande », tente de relativiser Bernhard Baldinger, entraîneur national, qui entraîne également les dames depuis une dizaine d’années. Et de continuer : « La situation du cyclisme féminin est en train d’évoluer et lorsqu’une d’entre elles remportera un championnat mondial, l’attention médiatique grandira ». Malgré tout, il déplore également qu’en règle générale, l’intérêt médiatique n’est pas à la hauteur des performances.
Et la Fédération nationale de cyclisme dans tout ça ? En France, un staff entier s’occupe des coureuses, ce qui n’est pas le cas au Luxembourg. Cet argument ne convainc pas vraiment Bernhard Baldinger : « La situation est différente chez nous à cause de la masse critique. Pour 60 licences masculines, nous n’en avons que sept chez les femmes. Mais je peux vous assurer que nous nous en occupons et que nous les entraînons de la même manière que les hommes. » Et en effet, comme le confirme Christine Majerus, au niveau des équipements, il n’y rien à redire, ainsi que l’encadrement.
Il n’en reste pas moins que l’organisation d’un trophée comme celui d’Elsy Jacobs ressemble à un véritable tour de force. Et il faut l’engagement de personnes comme Roland Beck. « Nous organisons une course `1.1′, avec un budget modeste, ce qui correspond à quatre étoiles dans un Guide Michelin. Et tout est bénévole ! Même les Français nous jalousent à ce niveau. Et tout doit bien fonctionner car les critères pour l’organisation d’une telle course sont très stricts. » En France, certaines courses ont d’ailleurs été annulées, faute d’argent et de sponsors. Comme quoi, avec son trophée éponyme, Elsy Jacobs, obtient une belle revanche posthume.
(1) « Elsy Jacobs, grande-duchesse de la petite reine », Gaston Zangerlé, Editions SaF Zéisseng, 2000.
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