SOUDAN: Les oubliés de l’indépendance

Le Sud-Soudan déclarera officiellement son indépendance samedi 9 juillet. Une date attendue avec impatience par tous les Sud-Soudanais, mais aussi redoutée pour certains. Des milliers d’entre eux vivent encore à Khartoum, sans savoir quel sera leur avenir.

Au camp de Mayo à Khartoum,
l’un des douze points de départ identifiés par le gouvernement du Sud,
des Sud-Soudanais attendent
de rentrer au Sud.

Aéroport de Wau, Sud-Soudan. Un avion en provenance de Khartoum vient d’atterrir. Ses passagers attendent leurs bagages au bord de la piste. Une femme s’agenouille dans le sable pour prier et remercier Dieu. Sur son visage, on lit le plaisir de retrouver sa terre. Une terre qui deviendra le 9 juillet un pays libre et indépendant. Après plus de 20 années de guerre civile entre le nord, à majorité musulmane, et le sud,  peuplé principalement de chrétiens et d’animistes, le Comprehensive Peace Agreement, l’accord de paix de Nairobi (Kenya) signé en 2005, mettait en place une période de transition de six ans qui devait se conclure par un référendum d’autodétermination pour le Sud-Soudan. Chose faite en janvier dernier. Les Sud-Soudanais ont alors voté à 98,83 pour cent en faveur de l’indépendance de leur région.

Depuis l’annonce de l’organisation de ce référendum, le Soudan a connu un nouveau mouvement de population, celui des « returnees » (« retournés »). Sud-soudanais d’origine, ceux-ci se sont installés entre 1983 et 2005 au Nord, alors épargné par la guerre civile. A l’époque, ils étaient environ deux millions de déplacés. Aujourd’hui, ils veulent « rentrer à la maison ». Mais ce n’est pas aussi facile que cela.

Selon les derniers chiffres du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), 302.724 personnes auraient déjà rejoint le Sud. Il est probable qu’elles soient en réalité plus nombreuses. Le nombre de personnes ayant choisi de rejoindre le Sud par leurs propres moyens n’étant pas connu.

D’autres attendent encore. Le gouvernement du Sud-Soudan leur avait promis d’organiser leur retour par bus ou camions avant l’indépendance du 9 juillet. Une annonce qui n’a pas été tenue. « A l’heure actuelle, je suis incapable de vous dire quand les personnes enregistrées pourront revenir. Ca ne dépend pas que de nous. Khartoum doit assurer la sécurité des transports », annonce Peter Gatwech Kulang, le responsable du service des rapatriements au sein du gouvernement du Sud-Soudan (Goss).

Le Nord et le Sud ont trouvé une nouvelle occasion de s’affronter. Et cette bataille politique ne s’est pas améliorée après les combats armés dans les zones limitrophes d’Abyei (voir woxx 1113) et du Sud-Kordofan. Les autorités de Khartoum ont en effet fermé la plupart des voies terrestres et fluviales entre les régions du Nord et du Sud. Seule solution pour les retournés : franchir la frontière à Kosti. Ils seraient environ 4.500 personnes à attendre dans cette petite ville de l’est du pays, selon l’UNHCR.

L’autre difficulté pour le Goss, c’est le coût de cette opération. Le chargement d’un camion revient à 13.000 livres soudanaises (soit environ 3.250 euros). Une somme importante pour un pays en devenir qui va devoir faire face à de nombreux défis pour se développer.

Au Nord, à Khartoum, douze lieux ont été désignés comme points de départ. C’est de ces espaces que partent les camions ou les bus envoyés par le gouvernement de la région semi-autonome du Sud-Soudan, lorsqu’ils arrivent? Les Sud-Soudanais candidats au départ s’y entassent. Ils seraient au moins 20.000 à avoir déposé une demande officielle auprès du Goss pour retourner au Sud.

« Je ne peux pas évoluer ici, améliorer mon niveau de vie, parce que je suis du Sud. La vie au Nord est compliquée. »

Parmi eux, beaucoup ont vendu tous les biens qu’ils possédaient au Nord. C’était en janvier dernier, dans l’euphorie des résultats du référendum, les retournés se voyaient déjà sur leurs terres entourés de leur famille. Aujourd’hui, ils attendent encore près des lieux de départ.

Dans le quartier d’Al Youssouf, Benjamin Malesh Roujougou Wadana fait parti de ceux-là. Arrivé à Khartoum en 1967 alors qu’il avait 19 ans, il a construit sa vie dans le Nord. En tant qu’ouvrier dans une manufacture de cigarettes, mais aussi en tant que père. Ses neuf enfants sont nés dans la capitale du Soudan. Pourtant, tous repartiront à Bahr el-ghazal d’où il est originaire. « C’est le lieu où j’ai grandi », explique-t-il simplement. Il faut insister pour qu’il liste les raisons qui le poussent à retourner au Sud : « Je ne peux pas évoluer ici, améliorer mon niveau de vie, parce que je suis du Sud. La vie au Nord est compliquée. Avec les policiers notamment. Ils viennent ici, entrent dans les maisons, fouillent pour chercher l’alcool qu’on fabrique (le Nord-Soudan impose la charia, l’alcool y est donc interdit). »

Pourtant, le sexagénaire le sait : la vie au Sud ne risque pas d’être plus facile. « Je ne connais rien de Bahr el-Ghazal. Je n’y ai passé que quelques jours par an depuis que je suis installé à Khartoum. Beaucoup de choses vont me manquer : l’électricité, l’eau courante, la jolie maison que j’ai construite ici. Je vais devoir en construire une nouvelle au Sud et repartir à zéro. » Mais rien ne le fera changer d’avis : « Que ce soit bien ou non, le Sud est mon pays. J’attends juste mon dernier salaire et le camion du gouvernement du Sud pour partir. »

Kamissa Vero Far, elle aussi, est pressée. Mais il est déjà trop tard, elle sera probablement encore à Khartoum après l’indépendance du 9 juillet. A l’intérieur de sa maison faite de boue séchée, la jeune veuve avoue à demi mot que la vie à Khartoum est difficile. « Ici, je dois me voiler, raconte cette catholique pratiquante. Tu peux prier, aller à la messe, mais parfois, la police nous harcèle et nous accuse de tapage sonore. »

Sa petite dernière accrochée à un sein, elle explique qu’elle a peur : « Je ne sais pas ce qu’il va se passer après l’indépendance. »

Le gouvernement soudanais a effectivement multiplié les messages inquiétants concernant le statut des Sud-Soudanais habitant le Nord après le 9 juillet.

« Beaucoup de Sud-Soudanais ne seront pas en capacité d’être au Sud pour l’indépendance. Et ceux-ci ont peur, forcément. »

En septembre dernier, le ministre de l’information, Kamal Obeid, était allé jusqu’à menacer : « Ils (les Sud-Soudanais, ndlr) ne seront pas autorisés à acheter ou à vendre sur les marchés de Khartoum et ils n’auront pas le droit à une seringue dans les hôpitaux. » Des mots qui ont marqué les Sud-Soudanais qui répètent cette histoire de seringue à qui veut l’entendre.

Omar El-Béchir, le président soudanais, s’est voulu plus souple dernièrement. « Il n’y aura pas de double nationalité pour les Sud-Soudanais, mais il y aura une période transitoire qui permettra aux Sud-Soudanais de régulariser leur statut après quoi ils seront expulsés vers le Sud », avait-il déclaré le 24 mai devant une assemblée de professeurs.

« Avant le référendum, certains Sud-Soudanais voulaient rester au Nord, parce que les affaires sont bonnes ici. Mais maintenant, tout le monde veut rentrer », explique Casimir Monday Gabriel avant de répéter les paroles de Kamal Obeid. Lui n’aura pas besoin de se soucier des seringues qu’il pourrait ou non avoir s’il devait être hospitalisé : il a pris la route du Sud fin juin. Il se sait chanceux : « Beaucoup de Sud-Soudanais ne seront pas en capacité d’être au Sud pour l’indépendance. Et ceux-ci ont peur, forcément. »

La peur est à Khartoum, mais qu’est-ce qui attend ces retournés au Sud ?

Dans l’Etat de Warrap, au Sud, des retournés se sont installés dans un camp près de Turalei. Ces familles vivent dans des cabanes faites de bric et de broc, depuis le mois de décembre pour certains. Sous un soleil de plomb, ils errent sans vraiment savoir ce qu’ils attendent. L’arrivée « au pays » ne correspond donc pas à la fin des problèmes.

Le Sud-Soudan est peu développé et pauvre. Les routes goudronnées se comptent sur les doigts d’une seule main. L’électricité – quand il y en a – sort des générateurs. Même à Juba, la future capitale du nouveau pays, les Tukuls, les huttes traditionnelles, sont plus nombreuses que les habitations en briques.

Face à ces conditions, certains retournés envisagent même un retour au Nord. L’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) surveille ce phénomène. Selon l’ONG, il reste encore marginal. Seul 500  familles seraient retournées au Nord.

Une décision que les Sud-Soudanais qui rêvent, à Khartoum, d’un retour au Sud ne comprennent pas. « Khartoum s’est développée très rapidement. Cela a commencé en 1999. Et c’est grâce au pétrole venu des réserves du Sud. Jusqu’à présent, l’argent était au Nord. Mais avec l’indépendance, cela va changer. Avec l’argent du pétrole, nous allons construire des buildings. Je suis très optimiste », explique Casimir Monday Gabriel.

« Il n’y aura certes pas d’eau et d’électricité, mais nous allons l’installer. C’est à nous de construire ce pays ! », affirme avec enthousiasme Fatima Tabash Nimer. Cette mère de cinq enfants s’est installée il y a sept mois à Mayo, une des zones de départ située à l’extrême-sud de Khartoum. Les familles qui patientent n’ont de toute façon plus grand chose à perdre. Dans l’euphorie de l’annonce de l’indépendance, elles ont vendu l’ensemble de leurs biens, pensant que leur départ pour le sud interviendrait dans les semaines suivantes.

Comme ses voisins, Fatima Tabash Nimer vit dans un abris fait de bâches, de tissus et de morceaux de bois. Sans emploi, elle passe ses journées à boire du thé en discutant avec ses amies.

« Je suis là depuis décembre. Je ne sais pas quand je vais rentrer. J’attends les transports, je suis fatiguée d’attendre. »`

Maryline Dumas, journaliste indépendente française, travaille actuellement au Sud-Soudan.


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