PACTE BUDGÉTAIRE: « Economiquement dommageable »

Henri Sterdyniak était l’invité de la Chambre des Salariés ce mercredi soir. Le directeur du département « Économie de la Mondialisation » de l’Observatoire français des Conjonctures économiques donnait une conférence sur la crise da la zone euro et les risques du pacte budgétaire.

woxx : Notre Chambre des Député-e-s va bientôt adopter, à l’instar des autres parlements en Europe, le pacte budgétaire. Pourquoi êtes- vous opposé à ce pacte ?

Henri Sterdyniak : Le pacte budgétaire est dangereux parce qu’il va paralyser les politiques budgétaires. Il va imposer aux pays des politiques automatiques. D’une part, il faudra atteindre un objectif arbitraire d’équilibre budgétaire alors que la vraie règle d’or des finances publiques permet d’avoir un déficit budgétaire correspondant à l’investissement public. D’autre part, il ne va pas permettre aux pays de prendre les mesures nécessaires de soutien à l’activité économique alors que les perspectives de croissance sont très mauvaises. Ainsi la France s’est donné comme objectif d’atteindre pour l’année prochaine un déficit qui ne dépasse pas les trois pour cent du produit intérieur brut afin de respecter la trajectoire d’ajustement vers l’équilibre budgétaire. C’est un effort budgétaire de l’ordre de deux pour cent du PIB. En période de récession, on va réduire les dépenses publiques et augmenter les impôts, ce qui est économiquement dommageable.

Pourquoi les mesures drastiques imposées aux pays du Sud depuis des années ne permettent-elles pas de les sauver ?

Le problème, ce sont les institutions européennes mises en place. La BCE est indépendante et ne garantit pas les dettes publiques des Etats membres. Ce qui fait que les marchés financiers spéculent sur les pays comme actuellement sur l’Espagne ou l’Italie. Par ailleurs, on n’a pas mis en place une stratégie coordonnée dans la zone euro, ce qui fait que les pays de l’Europe du Nord se sont lancés dans des stratégies de recherche de compétitivité et les pays du Sud ont suivi des stratégies de laisser filer les bulles immobilières et leur déficits extérieurs pour soutenir la croissance. Tout cela a conduit à des déséquilibres insoutenables.

Pourquoi s’éloigne-t-on de plus en plus de cet équilibre qu’on veut par force atteindre ?

Ce qui s’est passé depuis 2009-2010, c’est que l’Europe n’a pas choisi la bonne stratégie. Si effectivement on demande à tous les pays de mettre en oeuvre une politique restrictive, cela se traduit par une chute de l’activité qui provoque une baisse des recettes fiscales. L’amélioration des soldes publics est en fin de compte extrêmement faible, tandis que la croissance chute lourdement, ce qui ne rassure pas les milieux financiers, qui continuent à spéculer contre les pays. L’entrée en récession n’encourage pas les entreprises à investir. Finalement, la Bourse s’effondre, ce qui rend impossible toute politique de privatisation, tant voulue par les instances européennes. Le résultat est une destruction complète du tissu économique de pays comme la Grèce, avec une grande partie de la population qui tombe dans la misère. La bonne stratégie eût été de reconnaître que la zone euro est en récession et de développer une politique expansionniste dans les pays qui le peuvent, les pays du Nord en particulier. Puis la BCE aurait dû briser la spéculation en décrétant que les dettes publiques sont garanties, ce qui aurait permis aux pays de se financer à des taux raisonnables de 1,5 à deux pour cent et la croissance aurait pu prendre un nouveau départ. Si effectivement les pays pouvaient s’endetter à hauteur de deux pour cent avec une inflation de deux pour cent et une croissance de deux pour cent, il n’y aurait pas de problème de soutenabilité de la dette. Si l’Italie s’endette à cinq pour cent alors que sa croissance est égale à zéro, cela crée naturellement un problème. Au lieu de s’en sortir par le haut, les instances européennes, obsédées par cette idée de réduction des dépenses publiques, ont pris cette mauvaise voie.

Mais d’où vient cette obsession ?

Il y a un choix de certaines classes dirigeantes et de la technocratie européenne qui pensent qu’il faut absolument imposer des réformes structurelles, en particulier la déréglementation des marchés. On demande à tous les pays de baisser les impôts qui frappent les franges les plus riches et les entreprises. Ils ne sont pas disposés à soutenir un projet qui tienne compte de la crise et qui demande plus de dépenses publiques afin de préparer la vraie transition écologique.

Pourquoi les taux auxquels empruntent des pays comme l’Italie sont si élevés ?

Cela tient à l’erreur de départ. On a écrit dans la Constitution européenne que la banque centrale ne garantit pas les dettes publiques. Alors que dans tous les pays développés, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon etc. la banque centrale le fait. Les marchés savent que la Banque d’Angleterre va intervenir pour aider l’Etat britannique à rembourser ses emprunts, si nécessaire. Cela permet des taux bas à long terme, même si la dette publique dépasse 200 pour cent du PIB comme au Japon. Dans la zone euro, depuis 2009-2010 et surtout depuis que l’Allemagne a déclaré publiquement qu’elle n’entendait pas garantir les dettes des pays du Sud, les milieux privés sont alarmés. Un fonds de pension californien ne va tout simplement pas courir le risque d’investir en Espagne ou en Italie.

« Il faut un autre type de rupture qui donne à la zone euro une stratégie de croissance et qui résout les déséquilibres dans un sens positif. »

Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) apportera-t-il des solutions ?

Le MES a deux défauts. D’une part, les pays devront avoir des clauses d’actions collectives, c’est-à-dire qu’on dit à l’avance aux banques et aux milieux privés que les titres publics ne sont pas sans risque et que les bailleurs peuvent être appelés à contribution. D’autre part, les pays aidés doivent se soumettre à des réformes structurelles et des politiques budgétaires encore plus sévères. Les marchés voient bien que ces mesures ne permettent pas aux pays de sortir de la crise.

Vous préconisez une solution européenne, mais vous parlez aussi des situations nationales très variées qui demandent des politiques spécifiques. N’est-ce pas un peu paradoxal ?

C’est en effet une contradiction. Mais les pays européens restent différents. On ne peut pas imposer partout la même politique. Cependant, les choses seraient plus faciles, si la Commission avait adopté une stratégie de croissance et de plein emploi, avec des plans de relance des investissements. Dans ce cadre-là, il faudrait une vraie coordination des politiques économiques basée sur une stratégie de croissance et d’harmonisations sociale et fiscale. Par l’émission d’euro-obligations, l’Europe devrait se doter des moyens pour réussir la transition écologique et énergétique. Evidemment, il faut surveiller les cas particuliers d’endettement excessif. Dans le cas de la Grèce, on aurait dû s’en préoccuper dès 2001. Mais la Grèce ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. La grande question reste la coordination globale de la zone euro. On ne peut pas accepter que certains pays se lancent dans des politiques d’accumulation massives d’excédents extérieurs et demander en même temps à tous les pays d’adopter des plans d’austérité en pleine période de récession.

Pour vous, la solution se situe donc bien dans la zone euro. L’éclatement, que certains sollicitent, n’est donc pas une voie à suivre ?

Si on affirmait s’être trompé d’avoir créé l’euro entre des pays trop différents et si chaque pays reprenait sa propre monnaie, cela se solderait par une catastrophe financière et économique. Il faut un autre type de rupture qui donne à la zone euro une stratégie de croissance et qui résout les déséquilibres dans un sens positif. Par exemple, si l’Allemagne veut avoir des excédents, elle doit réaliser des investissements physiques dans les zones du Sud. Elle ne peut pas avoir des excédents et ne pas vouloir prêter à ces régions. La stratégie doit être coordonnée et cohérente.


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