Groupe atypique, saisi d’une frénésie créatrice étonnante, Heartbeat Parade est un bel exemple de la vitalité de la scène luxembourgeoise. Rencontre par une froide soirée d’hiver.
Qu’il neige ou qu’il vente dehors, le ventre de la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette est toujours bien chaud. Et actif de surcroît. Dans les corridors qui mènent vers les différentes salles de répétition, la vie fourmille : les tapes dans le dos amicales entre musiciens de différentes formations, les dernières nouvelles du marché instrumental ou musical, des petites blagues dont, en tant qu’outsider, on a du mal à saisir la portée. Si on y ajoute les quelques centaines de vieilles et nouvelles affiches – dont certaines annoncent des concerts qui ont eu lieu il y a dix voire quinze ans – on sait que l’on est au coeur de la scène musicale luxembourgeoise.
On trouve de tout dans ce vivarium musical et éclectique. Mais soyons francs, il ne supporterait que très mal une application à la lettre de quotas féminins. Le rock, cela reste encore une affaire d’hommes entre eux – les trois musiciens de Heartbeat Parade sont loin d’être des inconnus. Et pour cause, si leur guitariste Vincent Le-Gac officiait avant dans la formation métalcore Riktus, le bassiste Félix Faber, tout comme le batteur Vincent Orianne, appartenaient à un des groupes qui a forgé la scène et inspiré tant d’autres : Defdump. Ce groupe qui s’est dissous en 2010 fut pendant une bonne douzaine d’années une des formations qui ont impressionné tant par leur longévité, leur créativité, leurs succès à l’extérieur des frontières luxembourgeoises – l’auteur de ces lignes se rappellera toujours son étonnement devant un touriste américain croisé à Paris qui arborait un de leurs t-shirts – que par leur attitude « d.i.y. » (do-it-yourself). Donc, toutes les tournées avec des groupes internationalement connus, comme Soulfly, tous les CD produits et vendus, c’était bien sans l’apport de structures commerciales, voire étatiques. Dans ce sens, Defdump étaient aussi un contre-modèle à la génération de groupes assistés sortant tout droit des forges de la Rockhal.
Une fois Defdump dissous, comme Riktus qui avait fait une carrière similaire en Lorraine, la fièvre musicale n’a pourtant pas quitté une partie des musiciens. Et c’est de cette envie de continuer – ou plutôt de ne pas s’arrêter en marche – qu’est né Heartbeat Parade. Pour être honnête, leur concept un peu atypique faisait sourire aux débuts : un trio instrumental ayant remplacé la place du chanteur par des samples, pour la plupart issus de documentaires politiques, pratiquant un mélange de musique entre hardcore vieux jeu et des tendances plus progressives voire carrément post-rock. Cela rappelle surtout un groupe, peu connu du grand public, mais dont le concert, il y a au moins sept ans, au café Marignan d’Athus, avait marqué les esprits : Monuments for Masses.
A la question de savoir si ce groupe a formellement inspiré Heartbeat Parade, Félix Faber émet avec un sourire : « Pour être honnête, j’étais le seul à connaître Monuments for Masses à l’époque et donc l’inspiration ne vient forcément pas d’eux, même si ça reste un excellent groupe. Non, l’idée de se baser sur des samples est bien plus vieille, et, qu’on le croie ou non, bien ancrée dans la tradition hardcore. Certes pas dans les groupes plus commerciaux, mais dans l’underground, c’était assez commun de le faire. Avec Defdump, on a presque toujours utilisé des samples dans nos chansons, même si tout le monde ne s’en est pas rendu compte, vu qu’on avait aussi un chanteur. D’ailleurs, un des plus vieux groupes de hardcore eschois, Wounded Knee, qui m’a beaucoup inspiré à l’époque, en utilisait aussi ». Selon le guitariste Vincent Le-Gac, c’est aussi un choix pratique : « Sans chanteur, tu as forcément plus de libertés. Déjà, c’est un membre en moins, ce qui, avec nos emplois du temps chargés, est déjà un plus. Et puis, tu n’as pas besoin de faire des concessions à un chanteur qui sera forcément moins spontané que toi, puisque pour chanter tu as en général besoin d’un texte. Et puis, ça change aussi ta façon de composer des morceaux, tu es moins forcé de respecter certaines structures. »
Des propositions politiques, pas des positions idéologiques.
Pour le choix des samples, c’est le batteur Vincent Orianne qui en est, dans la majeure partie des cas, responsable : « Tout simplement, parce que c’est moi qui regarde le plus de documentaires », sourit-il. Mais le choix de ces extraits vocaux n’est pas le fruit du hasard. C’est plutôt la conséquence d’une attitude qui fait de Heartbeat Parade une sorte d’ovni dans le paysage musical luxembourgeois du moment : celui d’un groupe ouvertement politique. « Pour nous, c’est un choix délibéré et conscient. Déjà avec Defdump, la composante politique était essentielle. Donc continuer dans cette veine a été naturel pour nous », explique Félix. « Pourtant, cela ne veut pas dire qu’on est un groupe qui fait la morale à ses spectateurs et qui leur dit comment vivre et où s’engager. Les statements qu’on utilise sont plutôt des propositions que nous faisons. »
D’ailleurs Heartbeat Parade ne compose pas uniquement des morceaux politiques, avec « Et si tu la rappelais ? » sur leur nouveau disque « Hora de los Hornos », qui paraîtra ce samedi à l’occasion d’un grand concert à la Rockhal, ils font même dans le registre sentimental. La force de l’âge peut-être. Mais pourtant, les trois membres du groupe restent aussi très pragmatiques : ainsi, chaque personne dont un sample est utilisé dans un de leurs morceaux est contactée par le groupe : « On a eu pas mal de retours et la grande majorité des auteurs nous ont autorisés à utiliser leurs voix », explique Vincent Orianne.
Quant à adapter une chanson au marché luxembourgeois, en n’utilisant que des samples de politiciens du cru, les trois membres restent sceptiques : « D’abord parce que cela réduirait notre impact. Et puis, vu que nous sommes un Belge, un Français et un Luxembourgeois, une chanson pareille ne représenterait plus notre diversité qui est quand même une composante essentielle de notre identité de groupe », fait comprendre Félix Faber, « De toute façon, cette histoire de samples n’est pas tout, la vraie amante reste la musique ! »
Ainsi, après deux EP parues en 2011 et en 2012, « Hora de los Hornos » sera le premier « vrai » album de Heartbeat Parade dans les bacs. Un album autoproduit, comme le veut la philosophie d.i.y. : « Nous avons loué quelques studios pour faire les prises de la batterie par exemple. Mais une partie a aussi été enregistrée à la maison, comme les lignes de basse de Félix », raconte Vincent Le-Gac. « Pour le mastering, on a fait appel à un pro et la distribution est faite par deux labels différents mais sinon, tout est resté à un niveau très `fait maison‘. »
Pour le futur, le groupe prévoit une petite tournée en France vers la fin mai. Pour le reste, ils attendent toujours les retours des grands festivals de l’été pour lesquels ils ont postulé. Quant à savoir s’ils rêvent toujours de devenir des professionnels de la musique, les réponses sont variées : « Certes, on aimerait toujours bien pouvoir en vivre et ne faire que ça », dit Félix Faber. « Mais d’un autre côté, on est déjà bien contents que ce soit possible pour nous de faire ce que nous faisons pour le moment. Et nous sommes aussi satisfaits du soutien d’institutions comme music :lx, qui nous aident beaucoup à mieux vivre financièrement le fait de jouer à l’étranger. Même si on ne les avait pas attendus pour commencer à le faire, loin de là. »
En somme, à part le nouvel album, qui promet de faire de grosses vagues, y compris au-delà du grand-duché, on peut s’attendre à vivre encore quelques belles années – voire décennies – avec l’univers sonore de Heartbeat Parade.
Heartbeat Parade, Release Concert de « Hora de los Hornos » avec Hal Flavin et No Shangsa, ce samedi 16 janvier à la Rockhal.
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