BELGIQUE: Drapeau rouge sur Pays noir

En Belgique comme dans les pays voisins, la social-démocratie a renoncé depuis belle lurette à s’opposer réellement au rouleau compresseur néo-libéral. Mais un appel émanant des syndicats pour une alternative à gauche pourrait changer la donne.

Poings levés, chant de l’Internationale… La gauche radicale belge va-t-elle enfin mettre fin à des décennies de division ?

Privatisations, chasse aux chômeurs, coupes budgétaires, cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus fortunés? Le Parti socialiste a tout accepté sans broncher, en expliquant au bon peuple que c’étaient des bons compromis, dans une situation économique très difficile, et qu’heureusement ils avaient pu éviter le pire. On peut effectivement leur reconnaître d’avoir sauvé l’index, au prix toutefois d’une petite manipulation.

Mais globalement, les travailleurs et leurs syndicats sont de plus en plus déçus de leur « relais politique ». Depuis de nombreuses années, l’irritation se fait sentir à la FGTB, syndicat socialiste historiquement et structurellement lié au parti. Les avertissements au « parti frère » se faisaient de plus en plus insistants ces dernières années, mais jusqu’à présent la FGTB n’avait pas franchi le Rubicon d’une défiance clairement exprimée lors des rendez-vous électoraux. L’argument « sans nous, ce serait pire » continuait à fonctionner, malgré une certaine lassitude parmi les militants de base.

Cela, c’était vrai jusqu’en 2012. Cette année-là, Daniel Piron, secrétaire général de la FGTB à Charleroi, a créé la surprise en dénonçant clairement la politique du Parti socialiste lors du 1er Mai. Charleroi est la capitale du « Pays noir », une région qui fut, avec le bassin liégeois, le berceau de l’industrie wallonne (elle doit son nom à la couleur du charbon) et qui souffre aujourd’hui particulièrement de la crise et de la désindustrialisation

Daniel Piron, relayé dans différents médias, avait déclaré la veille du 1er Mai que le PS ne défendait plus les intérêts des travailleurs et qu’une nouvelle formation politique de gauche était nécessaire.

« Coup de gueule » à durée indéterminée

Selon lui, l’argument selon lequel les choses seraient pires sans le PS est de moins en moins pertinent : « La politique du moindre mal, cela ne passe plus chez nous. Les militants ne peuvent plus entendre que `sans le PS, ce serait pire?. Même des militants de la vieille garde montent à la tribune pour dire qu’ils se sentent trahis par le PS. » A l`occasion du défilé du 1er Mai à Charleroi, il n`a pas hésité à s`en prendre aux dirigeants du PS, y compris le ministre Magnette et la pointure locale du Parti socialiste, Jean-Claude Van Cauwenberghe.

Ceux qui ont cru que ces déclarations n’étaient qu’un coup de gueule éphémère se sont trompés. Un an plus tard, la FGTB de Charleroi, rejointe par le syndicat chrétien, organisait un congrès réunissant plus de 300 militants issus notamment des partis de la gauche radicale et d’associations dans le but de dessiner les contours d’une alternative à gauche. C’était le 27 avril à Charleroi. Il faut prendre la juste mesure de l’événement : ce n’était pas la totalité des syndicats belges qui rompaient avec « leurs » partis respectifs, mais il s’agissait tout de même de fédérations regroupant quelque 280.000 membres. Pour la première fois aussi, la gauche radicale n’essayait pas simplement de former des cartels électoraux, mais se réunissait à l’initiative de syndicats.

A l’issue du congrès, Daniel Piron a promis d’« élargir cette initiative en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre ». « La mission la plus importante que vous nous avez confiée, c’est d’exister » d’ici les élections de mai 2014, a-t-il dit aux militants, précisant qu’il ne s’agissait toutefois pas de créer un parti unique.

« Regarde-nous, la vraie gauche est en marche», a lancé Daniel Piron, le secrétaire régional de la FGTB, à l’adresse de Paul Magnette, le président du PS. Le 1er Mai, le PS enfilait son costume de combat et bombait le torse en se faisant passer pour la seule gauche responsable et utile. Bref, le grand écart entre le discours et l’action gouvernementale.

« L’autisme du Parti socialiste m’inquiète », nous a confié Daniel Piron en dressant le bilan de l’assemblée du 27 avril. « Mais je suis satisfait car nous avons réellement ouvert un espace de discussion et d’échange à gauche, avec des organisations politiques qui n’avaient pas l’habitude de se parler », note-t-il, citant notamment le PTB (Parti du travail de Belgique), la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), le Mouvement de gauche, le Parti communiste et le PSL (Parti socialiste de lutte). « J’ai senti que ces organisations mesuraient l’importance et la nécessité de construire quelque chose », ajoute Daniel Piron.

L’échéance électorale de 2014 est déjà à l’horizon et certains se sentent pousser des ailes. Mais Daniel Piron ne veut pas précipiter les choses : « Il faut absolument éviter de se mettre la pression. Nous ne voulons pas créer un nouveau parti car chacun souhaite garder son identité. Il faut avancer progressivement », plaide-t-il.

Des priorités de terrain

A l’issue de cette réunion de lancement, le comité de soutien à l’appel de la FGTB Charleroi a dégagé 2 priorités : élargir l’appel aux autres régions, y compris en Flandre, et être présent sur le terrain de l’action et des luttes.

De cette manière, l’initiative pourra se tester sur le terrain et se faire connaître. Cela laissera également le temps aux différentes forces politiques de s’apprivoiser et d’essayer de s’accorder sur quelques principes fondamentaux, voire fondateurs.

Fort de ses récents succès électoraux (51 élus au total dans les conseils communaux du royaume), le PTB n’est pas pressé de risquer son nom et de se diluer dans une initiative unitaire dont les perspectives sont encore fragiles. Le Mouvement de gauche, par contre, a appellé à un rassemblement des formations sous une bannière commune, ce qui permettrait « de récolter dix pour cent des voix aux élections de 2014 », selon son dirigeant Bernard Westphaël. Le modèle français donne de l’inspiration au « Mélenchon belge » qui oublie peut-être un peu vite que les situations sont très différentes. De fait, le Parti communiste belge n’a plus du tout l’implantation populaire de son grand frère français et il n’y a aucune scission de gauche à l’horizon au Parti socialiste.

Par ailleurs, plusieurs associations ont participé au congrès, notamment Attac et le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde. « Le CADTM considère qu’il faut se poser la question d’une nouvelle force politique qui représenterait réellement la population et les mouvements qui luttent pour l’émancipation », estime son président, Eric Toussaint.

Et maintenant ? Quelles seront les suites politiques de cette poussée à gauche ? La gauche radicale belge se caractérise à la fois par sa diversité et par la difficulté qu’elle éprouve à réunir toutes ses composantes pour peser sur le plan électoral. Les précédentes initiatives pour créer un rassemblement à gauche du PS et d’Ecolo n’ont pas réellement fonctionné. Le fait que l’appel vienne des syndicats change la donne. Mais n’ouvre pas pour autant une voie royale vers le succès. De son côté, le PS donne un coup de barre à gauche dans son discours. Un « virage » assez classique un an avant les élections, mais dont personne n’est vraiment dupe.

En Belgique, la situation économique et la politique d’austérité créent de plus en plus de mécontentement parmi les couches populaires. Le développement d’une force de gauche anticapitaliste sera donc d’une manière ou d’une autre à l’ordre du jour. Prendra-t-elle une forme assez consistante pour se présenter en ordre de bataille aux élections de 2014 ? Il est encore trop tôt pour le dire mais l’appel de la FGTB de Charleroi constitue un pas inédit dans cette direction. Reste aux organisations qui se sont rassemblées le 27 avril dernier à dépasser leurs divisions et leurs craintes. L’attitude du PTB sera déterminante, car il s’agit du parti qui dépasse de loin les autres organisations en termes de base électorale et de forces militantes. C’est aussi celui qui craint le plus « l’aventure » unitaire. Certains, comme le PSL, tenteront de lui faire abandonner sa frilosité pour lancer par exemple un projet pilote à Charleroi. Sans abandonner pour autant les perspectives d’élargissement? et avec en ligne de mire la ferme volonté de bousculer les partis traditionnels qui s’opposent notamment sur le terrain communautaire mais qui partagent plus ou moins le même programme d’austérité.

Jean Larock est correspondant pour le woxx et anciennement journaliste en Belgique.


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