LIBYE : Les errements de la communauté internationale

L’ancienne Jamahiriya est divisée depuis des mois sans qu’aucune solution n’émerge. La communauté internationale conduit des négociations, qui se révèlent difficiles, depuis janvier.

Des combattants de Fajr Libya à Ben Jawad, ville qui leur sert de base arrière pour obtenir le contrôle du port pétrolier de Sidra.

« Une dernière chance à saisir » : c’est ainsi que l’Union européenne a qualifié les discussions entre Libyens à Genève, sous l’égide de l’ONU. Ces discussions ont débuté le 15 janvier. Après une semaine de pause, elles ont repris le 26 janvier. Si l’ONU a déclaré ces négociations « constructives » et « se déroulant dans une atmosphère positive », le résultat est bien loin d’être acquis.

Les principaux objectifs de ces réunions sont la mise en place d’un cessez-le-feu et la création d’un gouvernement d’union nationale. Si les participants ont évoqué ces deux thèmes, la plus grande avancée de ces négociations n’a aucun rapport avec ceux-ci. Il s’agit cependant d’un grand pas en avant pour une partie de la population : un accord entre Misratis et Tawerghas (voir woxx 1223) aurait été trouvé afin de permettre à ces derniers de rentrer chez eux. Tawergha, située au sud-est du fief révolutionnaire de Misrata, a été vidée de sa population, accusée d’être kadhafiste, à l’été 2011. Les habitants vivent depuis plus de trois ans dans des camps à Benghazi, Tripoli, Syrte…

Pour le reste, « il y a eu un accord sur le principe de convoquer de futures discussions en Libye, à condition que les conditions logistiques et de sécurité soient suffisantes », a indiqué un communiqué de l’Unsmil (mission de soutien des Nations unies en Libye).

Les violences continuent

La chose ne sera pas facile. L’hôtel Corinthia de Tripoli, habitué à recevoir les délégations étrangères, a été attaqué le 27 janvier. Au moins neuf personnes, dont cinq étrangers, ont été tuées dans cet acte revendiqué par l’Etat islamique. Daesh est présent en Libye depuis novembre. Après s’être implantée à Derna (Est libyen), l’organisation terroriste s’est rapidement déployée dans le pays. Le chaos qui y règne l’a aidée.

Depuis mai, la Libye est en proie à de nombreuses violences sous la forme de différents fronts de bataille à l’est, à l’ouest et au sud. Politiquement, le pays est divisé depuis cet automne. La Chambre des représentants (CdR), l’assemblée nationale élue en juin 2014, et son gouvernement – tous deux reconnus par la communauté internationale -, se sont exilés dans l’Est libyen alors que le Congrès général national (CGN), parlement sortant, et son « gouvernement du Salut national » tiennent Tripoli. Ils basent leur légitimité sur le fait que la Cour constitutionnelle, basée à Tripoli – et donc soupçonnée, par le camp adverse, d’avoir reçu des pressions – a invalidé les élections de la CdR le 6 novembre dernier.

Un grand absent des négociations

Les discussions à Genève ont rassemblé différents acteurs tels que les représentants de la Chambre des représentants, actifs et boycotteurs (certains élus de la CdR soutiennent Fajr Libya et refusent de siéger au sein de ce parlement basé à Tobrouk), les membres du CGN qui refusent le retour du Congrès au pouvoir et des chefs de conseils municipaux.

Le Congrès, lui, brille par son absence… et par ses revirements. Après avoir raté le premier tour des discussions commencées le 15 janvier, faute d’avoir pris une décision, le CGN a demandé le 18 janvier à ce que les réunions aient lieu en Libye. Nouveau tournant, le 21 janvier, après la prise du bâtiment de la banque centrale à Benghazi par les forces de son ennemi Khalifa Haftar, le Congrès a indiqué qu’il « suspendait » sa participation au dialogue national, évoquant une « escalade militaire ». Le 29 janvier, le Congrès faisait à nouveau volte-face, annonçant qu’il était prêt à participer aux négociations… mais sous certaines conditions. Refusant de discuter avec les « personnes recherchées » (donc un certain nombre de représentants de l’autre camp) et demandant également le respect de la décision de la Cour suprême, le CGN sait parfaitement que ses exigences ne seront acceptées ni par la CdR  ni par l’ONU. Si le CGN ne montre guère d’empressement, c’est notamment parce qu’il s’est senti écarté par la communauté internationale.

L’erreur de l’ONU

En effet, les tout premiers pourparlers, organisés par l’ONU le 29 septembre à Ghadamès (Sud-Ouest libyen), avaient délibérément mis le CGN à l’écart. Ne reconnaissant que la légitimité de  la CdR, Bernardino León, le représentant spécial de l’ONU en Libye, avait refusé de discuter avec le pouvoir de Tripoli. « Ghadamès I » n’a donc rassemblé que les membres de la CdR, actifs et boycotteurs. « C’est comme s’il avait décidé de faire discuter une personne avec elle-même », regrette Mosadek Hobrara, qui travaille au Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG libyenne. Cette décision de l’ONU n’a eu pour conséquence qu’une radicalisation des supporters de Fajr Libya, la coalition de brigades qui tient la capitale et qui a remis le CGN au pouvoir. A Tripoli, ils se réunissent quasiment chaque vendredi sur la place des Martyrs pour montrer leur soutien. Et, depuis fin septembre, les pancartes montrent le visage du représentant spécial de l’ONU barré d’une croix ou avec des taches de sang. « León, tu n’es pas le bienvenu en Libye », disent les slogans.

Plainte contre l’ONU

Pire, Bernardino León a été attaqué en justice le 18 janvier. Un groupe d’associations pro-Fajr Libya a déposé un dossier contre lui auprès du procureur général de Tripoli. Parmi les plaignants, Abderraouf Al-Manaï n’était pas peu fier de distribuer la copie de ses accusations aux journalistes. Elu membre de la Chambre des représentants en juin dernier, il a refusé de participer aux sessions de ce parlement. Soutenant Fajr Libya, il est l’un de ceux qui avaient déposé le recours sur la validité de la CdR devant la Cour suprême. Considéré comme islamiste, Abderraouf Al-Manaï accuse Bernardino León de ne pas reconnaître la décision de la Cour suprême et d’interférer dans les affaires internes du pays. Il a demandé la levée de l’immunité du chef de l’Unsmil. Abubaker Ouaili, membre du CGN, en rigole : « Je ne pense pas que ce soit très important. Mais ils ont de bons arguments. Si seulement ils réussissaient… » L’ONU refuse de commenter cette plainte.

Le tournant de la Cour suprême

En fin d’année 2014, Bernardino León avait cependant revu sa position. Après l’invalidation des élections de la CdR par la Cour suprême, il n’avait guère le choix. Un diplomate occidental, travaillant en Libye mais réfugié en Tunisie, explique : « La décision de la Cour suprême a donné une raison à l’ONU pour ouvrir le dialogue avec l’autre camp. Il le fallait, il était temps. » Tout en affirmant : « D’un autre côté, on ne peut pas reconnaître ce jugement officiellement, car il a été pris sous la contrainte. De toute façon, on ne peut pas déclarer le Congrès légitime alors qu’il y a eu des élections législatives sans problème en juin. »

Résultat : aujourd’hui, l’ONU souhaite discuter avec toutes les parties, mais n’a toujours pas donné officiellement son opinion sur la décision de la Cour suprême. Elle considère toujours la CdR comme le parlement légitime. Le 11 novembre, Bernardino León a tout de même rencontré, pour la première fois depuis le début du conflit, Nuri Abusahmain, le président du Congrès. Fajr Libya était euphorique. Mais c’était crier victoire trop vite. Le jour même, l’Unsmil indiquait, dans un communiqué, que León avait rencontré Abusahmain en tant que « personnalité politique ». Quelques lignes plus loin, Abdallah Thini, le chef du gouvernement nommé par Tobrouk, était appelé « premier ministre ». Le soufflet n’a pas été digéré. Lors de la rencontre suivante, le 8 décembre, Nuri Abusahmain s’est installé devant une banderole portant l’inscription « Etat libyen, président du Congrès général national ». Un mois plus tard, Nuri Abusahmain ne s’est même pas déplacé pour accueillir Bernardino León à Tripoli. Il a préféré confier cette mission à son vice-président, Salah Al-Makhzoum.

La communauté internationale divisée

Il sera donc très difficile de parvenir à un résultat positif. D’autant que la communauté internationale agit en ordre dispersé. L’Algérie et le Soudan ont fait part de leur volonté d’organiser des négociations sur leur territoire. Des propositions qui font doublon avec le travail de l’ONU et qui n’ont toujours pas été concrétisées. Le G5 du Sahel (Tchad, Mali, Niger, Mauritanie et Burkina Faso), réuni en décembre, a demandé la mise en place d’une « force internationale pour neutraliser les groupes armés ». Mais, le 28 janvier, le groupe de contact international sur la Libye, mis en place par l’Union africaine, demandait un dialogue le plus inclusif possible afin d’éviter la solution militaire. La France, elle, semble hésitante. Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, semble s’activer. Il s’est déplacé en décembre sur la base militaire nigérienne de Madama, près de la frontière libyenne. Il a également déclaré au  Journal du dimanche : « Frapper sans solution de sortie politique est stérile. La Libye est indépendante. » Dans le même temps, il s’est dit convaincu que « le sujet libyen est devant nous. En 2015, l’Union africaine, les Nations unies et les pays voisins devront se saisir de cette question sécuritaire brûlante ». Cependant, le ministère de la Défense est en porte-à-faux avec le Quai d’Orsay, qui privilégie la voie diplomatique. Jusqu’à présent, François Hollande donne raison à son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius.

Le représentant d’une organisation internationale confie, sous couvert d’anonymat : « Nous avons la certitude que la France prend très régulièrement des clichés d’une zone précise au sud de Sebha (capitale du Fezzan, ndlr). Quand les Etats font ça, c’est soit pour constater le réchauffement climatique, soit pour surveiller une activité qu’ils jugent sensible. » La première hypothèse semble superflue étant donné que le Sud libyen sert de base arrière aux groupes terroristes islamistes, tels qu’Ansar Dine et Al-Qaïda.

D’autres pays ont pris parti de façon plus visible. L’Egypte et les Emirats arabes unis soutiennent le pouvoir de Tobrouk. Les Etats-Unis ont d’ailleurs accusé ces derniers d’avoir commis des raids aériens en Libye en août afin d’appuyer Khalifa Haftar. Favorable à une intervention « au plus vite », Abdel Fattah Al-Sissi, le président égyptien qui a lui-même renversé le pouvoir des Frères musulmans dans son pays en 2013, a indiqué à Paris en novembre que « la Libye pourrait devenir un terrain fertile pour le takfirisme (extrémisme islamiste qui dénonce comme apostats tous les musulmans qui ne suivent pas son orientation, ndlr) ».

A l’opposé, le Qatar penche plutôt du côté des troupes de Fajr Libya. Celles-ci reconnaissent à mots couverts avoir reçu de l’aide matérielle venue de l’émirat.

Mais, mi-décembre, celui-ci a approuvé le programme politique de Sissi, donnant implicitement raison à l’ancien général qui a renversé les Frères musulmans. Un geste qui pourrait marquer un nouveau tournant pour la Libye.


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