RAP FRANÇAIS: Petit frère est vivant

Légende du hip-hop marseillais, celui dont on dit qu’il a importé le rap en France était en tournée à Metz : Akhenaton, membre emblématique du groupe IAM.

Toujours vivants – et vibrants : Shurik’n et Akhenaton.

Aux premiers sons de « Petit frère », la salle est en ébullition. « Life as a shorty shouldn’t be so rough », résonne l’instru – reprise du morceau « C.R.E.A.M. » de la mythique formation de hip-hop américain Wu-Tang Clan -, et le public reprend les premiers couplets : « Petit frère n’a qu’un souhait devenir grand / c’est pourquoi il s’obstine à jouer les sauvages dès l’âge de dix ans ».

Ils sont nombreux à s’être retrouvés à la BAM (Boîte à musiques), salle de concert la plus récente de la ville, située à Metz-Borny, en plein milieu d’une cité. Dans la trentaine pour la majorité d’entre eux, ils sont venus retrouver un son qui a souvent marqué leur jeunesse : celui d’Akhenaton, membre emblématique du groupe IAM, dont d’aucuns diraient qu’il a importé le rap en France. Ils ont, pour certains, sorti leurs Adidas « Stan Smith » et revêtu leur veste de survêtement Sergio Tacchini, ces habits qui ont accompagné les débuts du hip-hop en France.

« C’est lui ? », demande quelqu’un. « C’est lui ! », rétorque un autre.

Ceux qui sont venus assez tôt ont déjà assisté – ou participé – à l’« Open Mic » en début de soirée, puis écouté le rap engagé et militant du trio lorrain « Stratégie de paix » en première partie : « Sans cette musique mon existence n’aurait pas de sens / bien plus qu’une passion c’est tout un art de vivre », ont-ils rappé dans leur lettre d’amour à la culture hip-hop, « Entre rêves et réalité ».

Quand celui qui se fait appeler, au choix, AKH, Sentenza, Chill ou Akhenaton, entre sur scène, certains mettent quelques secondes avant de comprendre. « C’est lui ? », demande quelqu’un. « C’est lui ! », rétorque un autre. C’est que le morceau d’entrée, « Je suis en vie », de l’album du même nom sorti en novembre dernier, ne compte pas parmi les plus emblématiques du rappeur. Vêtu d’un simple t-shirt blanc et d’un jean, tête rasée, le quadragénaire fils d’immigrés italiens à l’accent marseillais prononcé pourrait passer pour n’importe qui dans la rue. Il a besoin de l’affirmer, de se l’affirmer : il est bien vivant. D’ailleurs, sa tournée est intitulée « I am alive ».

S’ensuivent des chansons tirées pour la plupart du dernier album solo du rappeur, comme « Sooo Bad », morceau critique des évolutions plus ou moins récentes du rap français : « Chacun dans son coin, lendemain solitaire / au lieu de bonnes mines, tous préfèrent avoir une mine aurifère ». Il n’a jamais fait dans le hip-hop « gangsta » ou « bling-bling » à la manière d’un Booba ou d’un La Fouine, lui. Son truc, c’est ce qu’on appelle communément le « rap conscient ».

« Reste loin d’eux, leur haine est si grande / car les femmes leur font peur, du coup ils les appellent `bitch‘ », rappe-t-il entre paternalisme et antisexisme dans « Souris encore », track dédié à sa fille âgée de 13 ans. « Tu vas oublier pétard et gin fizz / et passer vite de bad boy à militant de Greenpeace », conseille-t-il d’ailleurs au futur petit copain. Dans « Illuminachill », AKH s’attaque aux théoriciens du complot : « Si dans mes vers tu relèves un chiffre / c’est pas la conspiration trouduc, c’est des mathématiques », lance-t-il en faisant allusion à ces adeptes de la conspiration qui découvrent des signes du diable – ou des « Illuminati » – à peu près partout.

Le public suit, mais rares sont ceux qui connaissent les paroles des morceaux par cœur. Cela change vite quand apparaît sur scène quelqu’un de bien connu du public : Shurik’n, la deuxième figure emblématique d’IAM. Les spectateurs sont ravis : ils étaient venus pour Akhenaton la légende, ils se retrouvent avec IAM le mythe. La salle tremble quand les deux rappeurs entonnent un classique : « Bad boys de Marseille », hymne à la vie de bon à rien et à la ville de Marseille sorti en 1995, en collaboration avec la Fonky Family.

Ils étaient venus pour Akhenaton la légende, ils se retrouvent avec IAM le mythe.

Ils enchaînent classique sur classique. Prochaine étape : « Nés sous la même étoile », morceau dénonçant les conditions de vie dans les quartiers défavorisés et les inégalités. « Pourquoi j’ai vu mon père en cyclo partir travailler / juste avant le sien en trois pièces gris et BMW ? », se demande Shurik’n. « Le berceau lève le voile / multiples sont les routes qu’il dévoile », rappent les deux, et la foule, excitée, répond : « Tant pis, on n’est pas nés sous la même étoile ! »

Vient ensuite un morceau plus léger, extrait de « L’école du micro d’argent » (1997), troisième album d’IAM et probablement le mieux connu du grand public. « Un bon son brut pour les truands » s’appelle la chanson – une allusion à « Le Bon, la Brute et le Truand », western réalisé par Sergio Leone et considéré comme œuvre phare du « western spaghetti ». À la fin du track, les rappeurs disparaissent et laissent la place à DJ Daz et ses « scratches » – il s’en donne à cœur joie, mixant des classiques américains comme « Jump Around » de House of Pain et effectuant, par moments, des scratches sur trois platines à l’aide de ses deux mains et de sa tête.

Le pharaon revient sur scène déguisé en hip-hopeur de la première heure – veste de survêt Sergio Tacchini, chaîne en or et lunettes de soleil sur la tête. La raison ? Le prochain morceau s’appelle « Je danse le Mia ». Entre rap et chanson de danse, ce track de 1993 évoque, non sans une portion de nostalgie mais aussi d’autodérision, les soirées dans les boîtes marseillaises des années 1980.

Quand les rappeurs se retirent de la scène, l’ambiance dans le public est à son comble. Les gens en veulent plus. « Ils ne peuvent quand même pas partir sans avoir joué `Petit frère‘ », dit quelqu’un à son voisin. Il ne sera pas déçu. « Petit frère fume des spliffs et casse des voitures », rapperont Akhenaton et Shurik’n deux minutes plus tard dans le morceau de 1997, devenu une sorte d’hymne de la jeunesse des cités. « À 13 ans, il aime déjà l’argent avide / mais ses poches sont arides, alors on fait le caïd », lancent-ils. « Il voudrait prendre l’autoroute de la fortune / et ne se rend pas compte qu’il pourrait y laisser des plumes ».

Après cela, plus rien ne peut venir. Le concert est fini. Près du bar, des spectateurs s’entretiennent, le sourire aux lèvres. « L’autre jour, j’ai raconté à des jeunes que j’allais voir Akhenaton », raconte une femme. « Ils ne le connaissaient pas. » « Non mais, tu te rends compte ? », répond son interlocuteur. Petit frère est vivant, mais il a pris des rides.


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