Tribune libre : Merci pour les dégâts… durables !

Le colloque interdisciplinaire sur le droit de vote des étrangers organisé à grands frais par la Chambre des députés en ses locaux les 20 et 21 mars derniers, avec l’université, avait un air prémonitoire dans la mesure où il préfigurait le résultat du référendum : l’assistance au colloque des promoteurs du oui s’élevait pour deux députés à un total de quatre heures, les champions du non totalisaient 16 heures, dont une douzaine pour le seul député Kartheiser : le score était donc de 20 à 80 en pourcentage. Comme je présume que l’initiative venait de la coalition gouvernementale, on ne peut pas en déduire que c’était une preuve de sa conviction. Pour la petite histoire : les députés ont reçu leur invitation par mail le mercredi précédant le colloque des vendredi et samedi. Il faut s’attendre à une publication sur ce colloque… de sorte que les députés « empêchés » pourront s’y référer pour un remake dans 30 ans.

Selon ses instigateurs, le référendum devait être l’occasion d’un grand débat. Pour commencer, ils en sont restés à l’écart jusqu’aux dernières semaines et ont laissé pourrir les choses au point où il faut se demander s’ils voulaient vraiment du droit de vote des étrangers ou simplement isoler le CSV. L’isolation leur a réussi, même s’ils en sont eux-mêmes les victimes. Les faux pas du ministre de l’Économie, les atermoiements autour de l’Ugda, membre de la plate-forme Migration & intégration mais non signataire pour le droit de vote… pareilles polémiques n’ont pas contribué au sérieux de la campagne du oui.

Laissons de côté le discours sur les élites ; toujours est-il que la vaste coalition des promoteurs du oui a fait long feu. Patronat, OGBL, LCGB, Méco, société civile, Église et presse doivent se poser la question de leur pouvoir de motivation, de la force de leurs arguments, bref, de leur « influence ». À moins de se satisfaire de la signature d’un appel par UN éminent responsable, sans débat interne, sans efforts de mobilisation. Même les dirigeants de l’Asti ont refusé de mobiliser leurs membres. La Zeitung était le seul organe de presse à ne pas « prôner » le oui ! Mention spéciale pour le patronat qui ne donne pas vraiment l’exemple, puisque dans les structures patronales on ne rencontre pour ainsi dire aucun non-Luxembourgeois. L’évêque s’était certes prononcé pour le oui, mais les structures d’Église secouées par l’accord concernant la « séparation de l’Église et de l’État » étaient plutôt enclines à sanctionner le gouvernement en votant non.

Qu’en est-il dans ce contexte de plates-formes comme celle contre le TTIP : que valent les signatures apportées par les organisations concernées, combien de leurs membres sont au courant, en partagent la position ? Autre question : quels ont été les effets de la campagne « Making Luxembourg », soutenue grosso modo par les mêmes organisations que celles qui osaient le oui ? Et le non de Nommern et Fischbach au référendum de novembre 2014 pour fusionner avec Larochette, commune avec un fort pourcentage d’étrangers, n’était- ce pas un signe annonciateur et avertisseur ?

Le non très massif ne peut cependant pas gommer certains faits : les deux tiers des actifs, la moitié des résidents, notamment les travailleurs manuels dépourvus d’un réseau d’influence restent sans relais vers les décideurs politiques, à moins que les partis politiques s’ouvrent délibérément et massivement aux étrangers. Les « O » trouveront-ils une place au POSL ou ailleurs ? Et quid de la prise en charge politique des frontaliers ? Continuer ou renverser une politique de discrimination positive des Luxembourgeois par l’école ? Une politique du logement qui bénéficie aux propriétaires fonciers luxembourgeois ?

Une naturalisation facilitée sera sans doute mise en route. Pour diminuer le déficit démocratique, on devra dépasser massivement les 4.000 naturalisations annuelles actuelles, sachant que le solde migratoire annuel est de 10.000 personnes !

Le non aura un effet durable : la perspective d’un droit de vote des étrangers reste bouchée pour des décennies. Nous devons ce blocage à nos politiques, Gambia et CSV réunis, qui ont cassé le consensus qui existait au sein de la Chambre des députés parmi 5 partis sur 6. En 2013, ils étaient d’accord pour inscrire dans l’article 64 de la nouvelle Constitution le paragraphe suivant : « Une loi adoptée à la majorité qualifiée peut, dans les conditions qu’elle détermine, accorder le droit de vote à des non-Luxembourgeois [1]. » Cette disposition aurait permis, le moment venu d’une majorité des deux tiers, d’agir sans changer la Constitution.

Merci pour les dégâts… durables !

[1] Procès verbal du 13 mars 2013 de la commission des Institutions et de la Révision constitutionnelle.

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