Annoncé à grands coups de communication, l’exercice Vigilnat à la Rockhal samedi dernier a pu être couvert par la presse, à l’invitation de l’exécutif. Pourtant, la transparence a été limitée à une opération photo.
Photos : woxx, sauf indication contraire
Ce n’est pas l’utilité d’un tel exercice qui est contestée ici. Car il est absolument nécessaire d’être prêt au cas où l’impensable arriverait et où une attaque terroriste, similaire à celle qui a frappé le cœur de Paris le 13 novembre 2015, se produirait à la grande salle de la Rockhal. Et ce ne sont pas non plus les effectifs mis en place qui doivent être critiqués. En effet, organiser et coordonner à peu près 2.000 personnes, dont 1.500 figurant-e-s de victimes (issu-e-s de la police, du CGDIS, de la douane, de l’armée et du lycée technique pour professions de santé), et 500 membres des forces de l’ordre et des secours (dont des renforts venus de France et de Belgique) peut être qualifié de prouesse.
Le problème est le traitement des médias. Invités à couvrir l’événement, ceux-ci n’ont été convoqués que vers la fin de l’exercice. Donc quand les faux terroristes, joués par des policiers, avaient été « neutralisés » et la centaine de mort-e-s et les 200 blessé-e-s étaient en train d’être évacué-e-s. Même si au moment du briefing la fausse prise d’otages était encore en cours, les médias n’ont pas été autorisés d’approcher la Rockhal pour voir comment les forces de l’ordre s’y prenaient. Ce qui est aussi compréhensible : certaines tactiques ne devraient pas être divulguées. Il semble que sur ce point, la leçon de la prise d’otages bien réelle dans une crèche de Wasserbillig en 2000 ait été retenue. Des détails avaient en effet fuité sur la façon dont le preneur d’otages avait été tué par les forces de l’ordre, donnant une piètre image du professionnalisme des autorités luxembourgeoises.
Pas de contacts entre
médias et figurant-e-s
Mais il semble qu’un autre événement ait lui aussi eu une influence sur le traitement de la presse. En 2007, une simulation similaire avait été jouée au même endroit. À l’époque, la presse avait pu parler aux participant-e-s et avait en partie recueilli les critiques des figurant-e-s sur la lenteur des services de secours, et autres doléances. Il semble qu’en 2019, les autorités aient voulu à tout prix éviter que de tels témoignages prennent le chemin des médias. C’est pourquoi tout contact entre les représentant-e-s de la presse et les participant-e-s à l’exercice a été coupé d’avance – réduisant ainsi le programme média à un point photo pour les ministres présent-e-s, qui n’étaient d’ailleurs pas prévu-e-s dans le programme média envoyé à l’avance aux rédactions. Et le fait que la police grand-ducale fournisse une vidéo aux faux airs de films d’action et d’un goût douteux n’arrange pas les choses.
Mais il y a pire : les collègues français-es du « Républicain lorrain » n’ont pas été autorisé-e-s à couvrir la simulation de l’attaque terroriste, et ils et elles s’en sont plaint-e-s dans un billet assez épicé. Ce qui est compréhensible, la presse luxembourgeoise étant par contre toujours invitée quand des exercices de sécurité se déroulent à Cattenom, par exemple. Cette interdiction n’est pas qu’un couac, mais une grave erreur des organisateurs-trices – d’autant plus que des secouristes français-e-s participaient à l’exercice.
C’est pour ces raisons que le woxx a décidé de ne pas consacrer un reportage à cet événement – comme cela avait été planifié –, mais de s’amuser à concocter un petit roman-photo, donnant à voir la stratégie médiatique qui a fait perdre beaucoup de temps aux journalistes qui voulaient couvrir quelque chose de concret et qui sont reparti-e-s bredouilles et frustré-e-s.
« Exercice antiterroriste », « Exercice Vigilnat » et « On refait le Bataclan ! » – tout cela attise la curiosité journalistique. Et ça commence plutôt bien : dans une ambiance un tant soit peu conspirationniste, on remet des gilets verts à la presse dans une salle de conférence du lycée Belval.
Bien sûr que les attentes étaient élevées : le programme média concocté pour la presse sous-entendait que nous allions pouvoir assister au déploiement des forces spéciales, aux fusillades et aux premiers secours. Des scènes dramatiques, quoi… (Photo : police grand-ducale)
Pourtant, l’atmosphère au lycée Belval était plutôt détendue. Un soldat par-ci, quelques personnes s’attardant dans la cantine par-là. Pas étonnant : quand la presse est arrivée vers 12h45, le faux attentat « commis » vers 11h était déjà passé – après plus d’une heure d’attente, la presse est escortée (dans un bus de l’armée) vers le site.
À l’arrivée sur place, c’est un peu l’errance : les différents services gouvernementaux ne sont pas d’accord sur le chemin que le troupeau doit emprunter dans les allées désertes et froides de Belval. Alors on photographie les bâches délimitant la zone de l’exercice – « Prends ça vite en photo, c’est le seul truc que tu verras aujourd’hui », ironise un collègue.
Finalement, les gilets verts tombent sur le poste de secours avancé – mais visiblement, il n’y a pas grand monde…
… à part quelques policiers armés de fusils mitrailleurs et des secours qui font des va-et-vient, mais en toute tranquillité. Les journalistes, photographes et preneurs-euses de vues se mettent à capturer tout ce qui bouge.
Tandis que quelques-un-e-s des victimes maquillé-e-s transitent sans hâte par les tentes de secours, les flashs crépitent. En même temps, des journalistes commencent à contacter leurs rédactions pour leur dire de réduire la couverture de l’événement – visiblement, il n’y aura pas grand-chose à voir.
Alors que l’ennui et la perspective de se geler les miches pendant une heure encore sous le crachin glacial et morose commence à infester les esprits médiatiques, soudain l’émoi saisit la foule – d’une des tentes jaunes installées à bonne distance de la Rockhal émergent les quatre « B » : les ministres Bettel, Bofferding, Bausch et Braz.
D’abord réticent-e-s à l’approche des micros, ils et elle consentent tout de même à répondre à quelques questions bien polies sur le déroulement de l’exercice Vigilnat – même si d’emblée le premier ministre lâche : « Je n’ai rien à dire ! »
Tout comme le haut-commissaire à la protection nationale Luc Feller, qui, les cheveux dans le vent, ne cesse de répéter dans toutes les langues et à toutes les caméras et tous les micros qu’il est encore trop tôt pour tirer un bilan de l’exercice – dévoilant ainsi la vraie raison de la présence des médias : une opération de com.
Et puis vient le grand finale : les journalistes peuvent se promener sur le parvis de la Rockhal pour inspecter et immortaliser les poupées de faux cadavres étalées çà et là dans un cadre aussi grotesque que morbide.
Après ça, la visite au CHEM d’Esch-sur-Alzette, retardée encore à cause de la visite ministérielle, avait un sacré goût de moutarde après dîner pour le troupeau de journaleux-euses – normal : les fausses et faux blessé-e-s étaient toutes et tous déjà reparties !
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