Art et internet : Même les mèmes ne restent pas les mêmes

Alors que la ruée vers les expositions et visites en ligne est normale en temps de fermeture des musées, force est de constater que les liens entre le monde virtuel et le monde de l’art sont aussi féconds que bien rodés.

Il y a onze ans, le woxx présentait un catalogue d’art un peu hors du commun : « Media Hacking vs Conceptual Art », du collectif ubermorgen.com – qui existe toujours d’ailleurs. Les artistes du collectif tentaient à travers divers projets de relier les deux mondes, réel et virtuel, et de dynamiser ces liens à travers l’art et l’activisme. Une des idées qui tourne encore est le site « Google Will Eat Itself », qui génère de l’argent avec des bots cliquant sur des publicités Google : chaque centime est automatiquement investi dans des actions Google. Pour l’instant, 405.413 dollars ont été transformés en certificats de valeur, et il faudra donc encore quelque 202 millions d’années jusqu’au rachat complet de l’entreprise…

Entre-temps, le monde a évolué et l’internet avec. Les réseaux sociaux n’ont pas uniquement changé nos vies, mais aussi le trafic de données. Et avec ce dernier, notre façon de percevoir le monde. Le flot d’images qui se déverse sur nos rétines dès que nous ouvrons Facebook, Instagram ou autres applications altère notre relation à l’image. De l’abondance et la répétition est né un nouveau type d’image : le mème. Si chaque image peut devenir un mème, cela ne tient pas à la qualité intrinsèque de celle-ci, mais à sa communication et sa répétition. C’est comme si des couches sémantiques s’accumulaient à chaque fois qu’une certaine image est repostée. Le contexte d’un mème est aussi propre à son média : vu que la distanciation induit des problèmes de communication – les finesses et les détails d’une affirmation peuvent être mal compris entre gens de différentes cultures connectés dans un réseau –, le mème se situe souvent dans l’ironie et le sarcasme. Pas étonnant qu’il soit un des moyens de communication favoris de la génération désabusée des millenials.

Deux expositions virtuelles visibles en ce moment se sont emparées de ce phénomène. La première a été réalisée par le collectif Clusterduck – lui-même collectif nomade en ligne et dans le monde réel – à la greencube Gallery, et s’intitule « #Memepropaganda ». Les différent-e-s artistes analysent la dimension politique du mème pour le meilleur et pour le pire. Six artistes ont été choisi-e-s pour créer des séries de posters qui tous se nourrissent du monde des mèmes. On y retrouve bien sûr l’infâme « Pepe the Frog », un mème utilisé par l’extrême droite (et par Donald Trump soit dit en passant), une image qui a été volée à son créateur qui n’y avait pas insufflé une once de politique. Aussi des symboles de Mai 68 détournés – comme ça plairait à Guy Debord et aux situationnistes ! – et actualisés, des Bisounours activistes ainsi que des créations uniques, qui ont été disposées dans diverses galeries dans le monde et collées sur les voies publiques. Le parcours de ces images a été retracé dans un catalogue téléchargeable en ligne, dans lequel les biographies des divers artistes sont présentées et leurs démarches sont expliquées et illustrées.

Une autre expo qui s’est intéressée de plus près au monde merveilleux des mèmes s’intitule « The Darknet – From Memes to Onionland ». Elle a eu lieu entre 2014 et 2015 à la Kunsthalle Sankt Gallen en Suisse. Comme le titre l’indique, les artistes réuni-e-s à cette occasion se sont concentré-e-s sur les liens entre le net tel que nous le connaissons et le darknet, cet espace virtuel que les navigateurs lambda ne peuvent pas montrer et où se déroulent des cybercrimes, mais aussi des révélations comme celles d’Edward Snowden – bref, un espace de projection formidable. À travers des mises en espace, des installations et des actions sur le net, les divers artistes ont visualisé les liens entre le monde des mèmes et des « oignons » – les sites se terminant en .onion se trouvant du côté obscur du web.

En résumé, ces deux expositions feront peut-être que, derrière votre écran, vous ne vous retrouverez plus en situation de consommer un ersatz, mais une réelle création faite pour le net et par le net.


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