Art visuel : « OK Computer »

Un objet identifié en tant que « Machine Hallucinations. Rêves de nature » a atterri dans l’espace de la grande nef du Centre Pompidou de Metz. Une expérience psychosensorielle aux effets anxiolytiques nous y attend.

Photo : Nuno Lucas da Costa

À première vue, on pourrait spéculer sur une probable visualisation expérimentale des perceptions d’un des cobayes humains du chimiste Albert Hofmann (inventeur du LSD). Pourtant, ici, nulle question de prestidigitation ou de délires psychédéliques, mais plutôt d’une toile numérique de 10 mètres sur 10 mètres projetant des vidéos en 3D durant 20 minutes, élaborée par Refik Anadol. Issu de la génération Y, Anadol (né en 1985 en Turquie) vit et travaille actuellement à Los Angeles, où il est conférencier au département design et art numérique de la prestigieuse université de Californie à Los Angeles. Pour achever cette toile numérique, l’artiste a couplé pas moins de 90 millions d’images trouvées sur l’internet. Ces images se composent de photos affichant des éléments naturels, notamment des paysages, des nuages, des fleurs, des arbres ou encore des champignons. La directrice du Centre Pompidou-Metz, Chiara Parisi, explique que cet ensemble de données est traité par un logiciel mis au point par le Refik Anadol Studio en collaboration avec l’équipe de recherche quantique de Google AI.

Face à cette toile vivante, nous suivons un perpétuel mouvement de formes colorées, exhalant de mystérieuses espèces aux apparences botaniques. Par moments, nous aurons l’impression d’assister à une version revisitée des peintures de Dalí, une sorte de surréalisme 3.0. Nous assistons à plusieurs séquences narratives qui n’obéissent à aucune logique linéaire, desquelles émane une force créatrice transcendante de la prétendue « intelligence artificielle ». La toile est aussi accompagnée d’une musique aux sonorités analogiques basées sur des données extrapolées de bruits quantiques, qui apaiseraient une tornade en devenir et passeraient comme lettre à la poste dans une séance de psychothérapie. Il est facile de comprendre que Refik Anadol fait des données son outil de prédilection, et de l’intelligence artificielle sa principale acolyte. Dans une note introductive, l’artiste dit tout bonnement vouloir inviter « à rêver un univers alternatif où les machines collaborent avec les humains pour imaginer notre existence dans le temps et créer des environnements alternatifs et multisensoriels ».

La visualisation de cette œuvre de Refik Anadol nous mène à mettre en question l’avenir de l’art en soi, notamment celui des pinceaux, celui de la peinture séculaire. Celle-ci cessera-t-elle d’exister ou se raréfiera-t-elle pour céder la place à ce nouveau type de manifestation numérique ? Espérons que les deux coexisteront, tout simplement. Nous pouvons aussi nous poser la question de savoir si cette création artistique n’aurait pas échappé à la volonté maîtrisée de l’artiste : elle serait alors une œuvre qui, en tant que produit de l’intelligence artificielle, voudrait nous délivrer par elle-même un message. Chacun et chacune sera libre de son interprétation. Cela dit, l’installation se visite aussi parfaitement en famille. Elle interpellera ainsi les adultes et émerveillera les plus jeunes avides de couleurs animées… ou l’inverse. Finalement, on se demandera si l’intelligence artificielle, fruit de l’imagination humaine, parviendra un jour à supplanter sa conceptrice. Or, quand il est question de tout ce qui touche à l’humain, l’histoire nous a maintes fois démontré que notre espèce est capable du meilleur comme du pire. Le monde nous a livré Nelson Mandela, mais aussi Vladimir Poutine. Quid de l’intelligence artificielle ?

Refik Anadol se veut quant à lui optimiste. Grâce aux méthodes les plus innovantes à la disposition de l’être humain, il croit à « un avenir plein d’espoir où une relation symbiotique avec les machines nous donnerait de nouvelles idées, la connaissance et le pouvoir, non seulement de rêver, mais aussi de créer un monde meilleur ». Avec Refik Anadol, nous sommes aussi pleinement dans l’air du temps, celui des NFT (jetons non fongibles), de la blockchain, des illusoires cryptomonnaies et surtout de l’intelligence artificielle. D’ailleurs, création virtuelle unique, « Machines Hallucinations. Rêves de nature » peut être achetée sur l’internet avec de la monnaie numérique. Nous sommes aussi dans l’avènement du métavers, et nous reverrons « Ready Player One » de Steven Spielberg avec un autre regard.

Cette monumentale fresque numérique nous aide à concevoir une nouvelle délimitation des frontières de l’art pictural et de l’intelligence artificielle. Si cette dernière se veut un outil informatique capable d’imiter les comportements humains et de prendre des décisions de la même manière que le cerveau, dans un futur proche ou lointain, le défi de l’âme humaine sera-t-il de ne pas perdre son identité ? Éloigné de ce débat, Charles Bukowski affirmait que « quand tout le monde est pareil, tout le monde est personne ».

Jusqu’au 29 août au Centre Pompidou-Metz.

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