Arts pluriels : Ce monde ne tourne pas rond

Le Centre Pompidou-Metz offre un second souffle à la Biennale de Taipei, organisée en 2020. Les dernières éditions s’intéressaient aux problèmes environnementaux. En 2022, le sujet est toujours d’actualité.

Photo : Nuno Lucas da Costa

La Biennale de Taipei a été créée en 1992 par le Taipei Museum of Fine Arts. Pour cause de pandémie, l’édition de 2020 a injustement connu un faible retentissement international. Pour y remédier, le Centre Pompidou de Lorraine accueille depuis novembre, pratiquement à l’identique, une grande partie de cette exposition. À l’origine, les commissaires sont partis d’un juste et lucide constat en radiographiant l’état actuel de notre planète : « Toi et moi, on ne vit pas sur la même planète ». L’énoncé qui sert de titre à l’expo retentit à première vue comme une phrase proférée au comptoir d’un bistrot. Elle n’est, néanmoins, aucunement dépourvue de profondeur. Le sociologue et philosophe des sciences Bruno Latour et les commissaires d’exposition Martin Guinard et Eva Lin estiment qu’il existe plusieurs conceptions de la Terre, sur laquelle pèse le danger climatique. Ils et elle en ont décelé quatre et les ont catégorisées en planètes, soit la planète Globalisation, la planète Sécurité, la planète Gaïa et la planète Exit.

Réparties sur plusieurs galeries du deuxième étage, des créations artistiques les plus diverses forment une sorte de planétarium qui inclut les quatre planètes précitées. On s’attardera sur quelques-unes de ces créations qui nous semblent être les plus emblématiques. La planète Globalisation est celle qui est sûrement la plus en résonance avec notre actualité directe et avec laquelle le public pourra plus facilement s’identifier. Un tableau aux larges dimensions de l’artiste taïwanais Huang Hai-Hsin intitulé « River of Little Happiness » en est la parfaite illustration. La peinture condense plusieurs scènes de notre ère, mélangeant oisiveté et déchéance, le tout sur fond de pollution atmosphérique. On pense par moments à la chute de l’Empire romain.

La planète Sécurité est quant à elle conçue pour les déçus de la planète Globalisation qui s’entêtent à se recroqueviller sur eux, érigeant des frontières et des murs. Ici, on prétend dénoncer les mouvements populistes les plus farfelus, qui actuellement forment une sorte d’internationale populiste qui gangrène les sociétés dites démocratiques. Sur la planète Sécurité, dix vidéos de l’artiste néerlandais Jonas Staal décortiquent méticuleusement les affabulations de l’ancien directeur de campagne de Donald Trump, Steve Bannon, dont l’imagination absurde pourrait profiter aux pages quotidiennes consacrées à l’horoscope.

Contre l’indifférence

La planète Gaïa se présente comme une parenthèse existentielle. Ici, on nous présente, entre autres, un laboratoire composé de neuf tubes conçus par l’artiste taïwanais Chang Yung-Ta, censés reproduire les turbulences de la rivière Li-Wu qui a façonné le paysage de calcaire des gorges de Taroko, par un processus d’érosion commun sur terre. Le tout prétend mettre en évidence la zone dite critique de notre planète, c’est-à-dire une fine couche où les éléments essentiels à la vie comme l’eau, les plantes, les roches, toute forme de vie animale ou encore les disparités météorologiques interagissent les uns avec les autres. Cette même fine couche est comparée à l’écorce d’un fruit. Finalement, pour tous les déçus et surtout pour ceux qui en ont les moyens, il existe la planète Exit et la possibilité de s’exiler sur Mars. Ici, on a recréé un bunker postapocalyptique dans lequel on interagit avec des êtres numériques.

Globalement, même si l’approche de l’une ou l’autre création proposée est quelque peu taillée pour un public plus large et hétérogène, on apprécie la déclinaison planétaire atypique proposée par les commissaires. Toutefois, à l’heure actuelle, on aurait préféré que l’enjeu climatique soit plus fortement pointé du doigt. Quoi qu’il en soit, la visite de l’expo est plus que valable, et l’exercice auquel nous devons nous prêter est de grand intérêt. De nos jours encore, la planète regorge de sites paradisiaques et de vrais jardins d’Éden, mais l’empreinte humaine et l’avidité de notre espèce ont également créé de vrais scénarios dystopiques depuis la révolution industrielle. L’expo a le mérite de nous en faire prendre conscience et de faire taire certains climatonégationnistes, qui n’ont toujours pas assimilé qu’il existe un lien évident entre réchauffement climatique et augmentation du C02 liée à l’activité humaine.

Lorsqu’il s’agit de danger climatique, la prophétique affirmation de Jacques Chirac prononcée en 2002 lors du sommet de la Terre de Johannesburg, « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », résonne dans notre mémoire. Certes, aujourd’hui, nous ne regardons plus ailleurs, mais nous ne faisons rien. Un peu comme avec le photographe franco-suisse René Robert, récemment mort dans l’indifférence des passants à Paris après un malaise.

Au Centre Pompidou-Metz 
jusqu’au 4 avril 2022.

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