L’exposition « Dimanche sans fin » célèbre les 15 ans du Centre Pompidou-Metz. Elle présente une exceptionnelle symbiose entre l’artiste Maurizio Cattelan et une vaste collection de la maison mère de Paris.

« L.O.V.E. », sculpture iconique de Maurizio Cattelan, accueille le public dans le forum du musée. (Photo : Nuno Luca da Costa)
C’était il y a quinze ans, en mai 2010, le public se pressait pour admirer un pur joyau architectural de Shigeru Ban et Jean de Gastines. Son exposition inaugurale « Chefs d’œuvres » exposait pas moins de 780 œuvres émanant des plus grands noms du monde de l’art comme les inévitables Picasso et Matisse, auxquels s’ajoutaient d’autres mastodontes. La volonté de décentraliser l’offre culturelle était en cours pour devenir aujourd’hui un fait accompli pour toute une région qui va bien au-delà de la Lorraine.
Plus de cinq millions de visiteurs plus tard, la bâtisse arborant un chapiteau aux allures d’un chapeau chinois accueille pas moins de 400 créations du Centre Pompidou de Paris Beaubourg, en travaux de rénovation jusqu’en 2030. Un quinzième anniversaire se fêtant comme il se doit, les œuvres exposées ont l’originalité d’être parrainées par l’improbable Maurizio Cattelan, artiste italien réputé provocateur et en même temps engagé. Une quarantaine de créations de Cattelan entrent ainsi en dialogue avec les 400 préciosités importées de Paris.
Abécédaire de l’imaginaire
L’expo commence aux portes du musée dans le monumental forum, qui, au fil des années, s’est transformé en un espace d’exposition à part entière. Ce dernier accueille le public avec tous les honneurs, puisqu’un énorme doigt majeur se déploie devant eux, posé majestueusement sur un piédestal. Le public le prend, bien sûr, avec humour, d’autant plus qu’en se rapprochant de la sculpture, il se rend compte, qu’à l’origine, il s’agit d’une main dont quatre doigts ont été amputés, ne restant que celui du milieu, créant ainsi ce trompe-l’œil. S’agit-il finalement d’un doigt d’honneur ? Non pas envers ce qui l’entoure, mais au fascisme italien, puisque la main avec les doigts au complet, pourrait parfaitement représenter un salut fasciste ? La marque de fabrique de Maurizio Cattelan est d’emblée affichée.
En pensant à l’intitulé de l’expo « Dimanche sans fin », on pourrait l’associer au titre du film qui a bercé la petite enfance de certain·es, « L’Histoire sans fin », qui nous embarquait dans une expérience affabulatrice. Au Centre Pompidou lorrain, la visite se veut plutôt proche d’une expérience dominicale apaisée, à l’image de certains tableaux d’Auguste Renoir comme « Le Bal du Moulin de la Galette » ou encore « Le Déjeuner des canotiers », sans pour autant faire totale abstraction des maux de notre monde. Cette quête d’insouciance est pleinement assumée lorsque l’artiste se lamente : « Si seulement le dimanche ne ressemblait pas autant à la veille du lundi ! » On cherche ainsi à dévier de la frénésie quotidienne des sociétés de consommation ou alors à les pointer du doigt. Et plus qu’un dimanche sans fin, au vu du nombre exponentiel de créations à voir, on aspire plutôt à un long dimanche tranquille. Pour ce faire, Maurizio Cattelan et Chiari Parisi, directrice de l’institution et également commissaire de l’exposition, ont orchestré un narratif à travers un abécédaire où chaque lettre développe une pensée, une interrogation, une expérience vécue ou, entre autres, une dénonciation.
Dans la Grande Nef, l’effet trompe-l’œil de Cattelan opère de nouveau. Devant un énorme squelette animal intitulé « Felix », le public se croira par moments dans le fameux Musée d’histoire naturelle de Londres. Pourtant, il n’en est rien et ce qui semble être un dinosaure, n’est autre qu’un chat, visiblement effrayé. Les visiteur·euses associeront ainsi facilement le nom « Felix » au dessin animé « Felix the Cat ». L’oscillation entre le ludique et le sérieux sont une constante tout au long de l’expo.
Une affaire de banane
Né en 1960, Maurizio Cattelan est un enfant de Padoue, dans le nord de l’Italie. Sans être passé par aucune école d’art, ses œuvres sont une référence dans le monde artistique contemporain. Et pourtant pour beaucoup, son nom n’est qu’injustement associé à une banane. Après l’emblématique banane d’Andy Warhol, qui orna le premier disque des Velvet Underground, ou encore la glorification à laquelle l’inclassable Phillipe Katerine a soumis ce fruit tropical il y a quelques années, Maurizio Catellan a lui aussi réussi un coup de maître avec une banane bien à lui, notamment avec « Comedian » en 2019. Banalement composé d’une banane scotchée sur un mur blanc, cette proposition artistique a, à son tour, « scotché » le monde entier après avoir été vendue à 6,2 millions de dollars en 2024. On valorise désormais l’idée de l’artiste et son geste aux dépens de la matérialité de la création. Les similitudes avec l’art conceptuel de Marcel Duchamp sont pertinentes. D’ailleurs, à la Galerie 1, un plateau d’échecs de l’artiste italien cohabite avec celui ayant appartenu à Duchamp. Si celui du défunt artiste français se présente sous une apparence classique et sobre, celui de Cattelan nous arrache quelques sourires, puisque les pièces qui le composent sont des personnages qui pour le bien ou le mal ont façonné notre monde. Intitulé « Good versus Evil », Hitler, Staline ou encore Cruella affrontent Gandhi, le Dalaï-Lama et aussi La Cicciolina, dans une partie d’échecs, en étant elleux-mêmes les pièces de l’échiquier.
Au même étage, le très commenté « Mur de l’atelier d’André Breton » rassemble 255 objets recueillis par l’artiste tout au long de sa vie. Il reflète l’essence-même de l’expo, celle où la diversité artistique se côtoie sereinement, tout en offrant une panoplie d’angles de cogitations. Il s’agit probablement du seul reproche que l’on s’autorise à faire, c’est-à-dire la ligne sans doute excessivement multidirectionnelle que l’exposition peut par moments prendre. En même temps, nous nous rendons compte du privilège qui nous est accordé d’avoir dans un même espace une myriade d’œuvres d’art formant des expositions dans la même exposition, qui de plus est catapultée par un nom incontournable de l’art contemporain.

« Felix », un gigantesque squelette de chat à l’échelle d’un dinosaure, agit comme un trompe-l’œil. (Photo : Nuno Luca da Costa)
Au final et après un arrêt devant chaque œuvre exposée, « Dimanche sans fin » s’avère une expérience muséale à part. Tout en contemplant des joyaux intemporels de l’art directement venus de la capitale française, le public se divertira la plupart du temps avec les créations de Cattellan. Pourtant, un des aimants de ses créations est celui de l’interpellation, déclenchant une sorte de rappel à la réalité qui nous encercle, en tant que sujets actifs au sein d’une société emplie de décalages que nous dépeint Maurizio Cattellan.
Elia Biezunski, une des membres de l’équipe de programmation de cette exposition, confie au woxx que le maître-mot de l’expo est celui de « l’illusion » qui agit à travers « ce jeu très cattelanesque entre fiction et réalité, art et réalité, qui nous amène ainsi à regarder le réel différemment ». Elia Biezunski nous cite l’exemple des sans-abri à l’apparence hyperréaliste présent·es dans l’exposition et qui sont censé·es nous interpeller face à l’indifférence dont iels font l’objet.
Dans d’autres contrées galactiques, l’être humain doit causer une certaine perplexité et même l’hilarité de celleux qui nous observent. Ici, les gens paient pour voir, entre autres, des simulacres de sans-abri et, pourtant, dans le quotidien, lorsqu’on passe devant elleux, on les perçoit comme du simple mobilier urbain, ne daignant même pas leur glisser une simple pièce, sûrement enfuie dans une leurs poches. Le monde est ainsi fait d’absurdités, les unes plus absurdes que les autres, comme une des nombreuses citations de l’expo : « Si les genoux se pliaient dans l’autre sens, à quoi ressembleraient les chaises ? »