Arts pluriels : Impossible Is Nothing

Le Centre Pompidou-Metz propose en ce moment de franchir les « Portes du possible » tout en établissant des liens entre « Art & science-fiction ». Une expo protéiforme mais constamment onirique.

La sculpture « Is More Than This More Than This » (2001) de John Isaacs est à voir au Centre Pompidou-Metz. (Copyright: Centre Pompidou-Metz/John Isaacs)

Dès l’entrée de la grande nef, la réplique d’une chambre individuelle parsemée de chaos se présente au public. En y regardant de plus près, les visiteurs-euses verront une ouverture forcée au plafond, comme traversée par un obus. Bizarrement, le sol est intact, malgré la zizanie qui y règne. Perplexes, nous comprenons alors que cet orifice a été provoqué dans le sens inverse, c’est-à-dire de la chambre vers le plafond à travers une catapulte artisanale. Et pour couronner notre hébétement, nous apprenons que l’objet catapulté n’est rien d’autre que l’occupant de la chambre lui-même. Bienvenue à l’expo « Les portes du possible. Art & science-fiction ». L’œuvre intitulée « L’homme qui s’est envolé dans l’espace depuis son appartement », de l’artiste russe Ilya Kabakov, raconte l’histoire d’un homme qui, lassé de son existence, voulut atteindre d’autres sommets plus cosmiques. Datant de 1985, donc avant la chute du mur de Berlin, cette installation, inondée d’affiches de propagande soviétique, se voulait une allégorie exutoire face au malaise que vivaient les esprits libres en plein régime communiste.

Cette mise en scène introductive nous catapulte à son tour vers une expérience immersive, entremêlant gracieusement art et science-fiction comme outils de réflexion sur notre condition et notre devenir. Une ribambelle de plus de 200 œuvres s’exposent dans la grande nef et la galerie 3 du Centre Pompidou lorrain. La première des cinq parties, portant le titre « Le meilleur des mondes », radiographie notre vivre-ensemble en mode urbain. Impossible ici de rester indifférent-e face à l’œuvre de John Isaacs « Is More Than This More Than This » : un mannequin aux allures gargantuesques se prosterne devant nous, exhibant son obésité maladive. Y sont incrustés de façon surréelle des éléments improbables comme des hôtels balnéaires, une usine ou encore une ancienne publicité de Coca-Cola, affichant ainsi une sorte de genèse de sa décadence irréversible. Ici, l’approche est bien sûr dystopique. La figure sert de préambule à l’immense collage « Cities of the Avant-Garde », du studio WAI Architecture Think Thank, qui rassemble une centaine de projets d’architecture utopique allant de 1901 à 2018, non sans rappeler (en version en couleurs) le « Metropolis » de Fritz Lang. L’approche est ici plus aérée et, bien sûr, futuriste.

Science-fiction comme plateforme 
de réflexion

La deuxième partie, plus dans l’air du temps, tire son titre du livre de William Gibson, « Neuromancien ». Il est question ici de cyberespace et de ses prémisses issues du cyberpunk, qui à son tour a cédé la place au biopunk et au solarpunk, sans oublier le « hacking », créatif ou non. S’ensuivent les troisième et quatrième parties, également nommées d’après des ouvrages célèbres, « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » et « Soleil vert », avant d’atteindre l’ultime section de l’expo, « La parabole du semeur » – titre de la romancière Octavia E. Butler. Ce chapitre livre des propositions et versions autres qu’occidentales et entend faire l’apologie du métissage de l’art et de la science-fiction. Ce métissage est spectaculairement mis en scène à travers deux astronautes suspendus, sortant d’une capsule spatiale, vêtus de combinaisons aux couleurs vives et tribales. Cette dernière partie est indéniablement la célébration d’une certaine africanité dans la science-fiction, très vivace actuellement mais souvent méconnue. Il est question ici d’« afrofuturisme ».

La science-fiction se présente ainsi comme une plateforme de réflexion mêlant prédictions, utopies et dystopies, futurisme ou encore existences humaines alternatives. En nous projetant dans le futur, nous construisons simultanément le présent. Si l’art, une des plus estimables préciosités humaines, vient en plus façonner cet exercice, une parfaite symbiose entre l’oraculaire et le spectaculaire s’opère. Nous nous distancions ainsi du fameux slogan de la série « The X-Files » des années 2000, qui prônait que « la vérité est ailleurs ». Au contraire, l’expo nous fait voir tout simplement que la vérité se trouve dans la sphère d’imagination de chacun-e de nous. Il est vrai qu’à partir de l’usine à rêves que sont les hémisphères cérébraux jusqu’à la matérialisation de ces utopies en devenir s’écoulent souvent de longues parenthèses temporelles. Si, dans un premier temps, ces rêveries émanaient surtout de la littérature, cette dernière partage depuis longtemps la vitrine avec d’autres arts, notamment le septième. Presque tout ce qui a été lu ou vu a même fini par se matérialiser. Demandez à Jules Verne, Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick, et à d’autres encore, car la liste est interminable. La frontière entre réalité et faisabilité est ainsi ténue. Dans un autre contexte, l’éternel Nelson Mandela disait très justement que « cela paraît toujours impossible jusqu’à ce que cela soit fait ».

Au Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 10 avril 2023.

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