Arts visuels : Fer, métaux et vidéos

Une déferlante de plus de 80 vidéos musicales s’est abattue sur l’impressionnante salle des soufflantes de la Völklinger Hütte. Contrairement aux machines désormais à l’arrêt, les tympans y tourneront à plein régime.

Photo : Nuno Lucas da Costa

Dans un premier temps, le public ressentira des flashs d’impressions visuelles. L’obscurité, les machines gigantesques dans l’ancienne aciérie, les images fragmentées sur des écrans géants et des téléviseurs se condenseront en un voyage sensoriel à part qui fera le bonheur des mélomanes, indépendamment de leur tribu musicale. Le visiteur et la visiteuse pourront écouter et visionner la totalité des musiques à travers un guide numérique (sorte de smartphone), qui leur fournira des informations concernant la réalisation des clips musicaux ainsi que les paroles des chansons. Interactivement, on planera ainsi sur Björk, on redeviendra ado sur Nirvana et son emblématique « Smells Like Teen Spirit », on tapera du pied avec les ­Chemicals Brothers, on savourera du David Bowie, on réécoutera des pépites suédoises comme The Knife, on s’irritera avec la voix de Britney Spears, on fera semblant d’écouter pour la première fois « Take on Me » d’A-ha, on rigolera devant le Sud-­Coréen Psy et son « Gangnam Style », on découvrira médusé Little Big et son clip « Skibidi », dont on ignorait l’existence (et il vaut mieux que cela continue ainsi), on se désintoxiquera heureusement après avec Nick Cave ou on élargira ses horizons avec « Territory » de The Blaze, ou bien on écoutera encore – et surtout on regardera – un morceau engagé de Placebo, « Life’s What You Make It ». Tout y passe, de Rammstein à la coqueluche des plus jeunes Billie Eilish.

Bien sûr, la totalité des musiques et des vidéos ne seront pas du goût de tous et toutes, de même que certaines musiques ne sont pas à la hauteur de la qualité de leurs réalisations en images. Toutefois, grâce aux prouesses des nouvelles technologies et à un méticuleux travail de curatelle, il suffira au visiteur et à la visiteuse de se positionner devant un écran différent, et automatiquement une autre musique résonnera dans leur casque, telle une nouvelle téléportation. L’expo contient également des musiques et vidéos moins commerciales et plus underground. On mentionnera ici obligatoirement le clip « Stress » des Français Justice, réalisé par Romain Gavras, qui met en exergue la violence juvénile ou encore le court-métrage, pour le moins psychotique, de Massive ­Attack « Voodoo in My Blood ».

L’expo a cette particularité de plaire au plus et au moins de 20 ans. Les plus de 20 ans (ou plutôt de 40 ans) penseront aux débuts de la chaîne musicale MTV (quand elle était plus ou moins regardable) et à des clips devenus historiques, comme « Thriller », sans oublier, quelques années auparavant, le concert audacieux et improvisé des Beatles filmé en 1969 sur le toit d’un immeuble, qui obligea à l’intervention des autorités locales pour une supposée atteinte à l’ordre public. Le concept fut repris presque deux décennies plus tard en 1987 à Los Angeles par le groupe irlandais U2 pour le morceau « Where the Streets Have No Name ». Le clip est lui aussi visible et écoutable dans la salle des soufflantes.

Contre-courant

L’expo nous apparaît ainsi comme une sorte de juke-box remplacé par des écrans géants avec une interminable playlist qui va des années 1980 jusqu’à notre époque. Exception faite du court-métrage dansant et animé de l’artiste néo-zélandais Len Lye de 1936, « ­Rainbow Dance », et de « ­Bohemian Rapsody », de Queen, qui date de 1975. Plus qu’une mise à jour de notre culture pop et rock, l’expo veut mettre en lumière un art qui semble actuellement remisé au second plan. Il faut dire que certains clips sont de véritables courts-métrages, qui en quelques minutes parviennent à faire passer un message précis, contrairement à certains politiciens avec leurs interminables élucubrations.

De plus, la visite de ce gargantuesque site industriel de la Sarre vaut à lui seul le détour. Le visiteur et la visiteuse se rendront vite compte que son inscription depuis 1994 au patrimoine mondial de l’Unesco n’est pas tombée du ciel. Sa salle des soufflantes est, culturellement parlant, sans doute un des meilleurs secrets gardés de la Grande Région. On ressentira en même temps une certaine solidarité avec ses ouvriers d’antan, qui ne s’adonnaient pas au télétravail. Cela dit, l’espace est lui-même propice au tournage d’un clip. La complexité mécanique et tout son arsenal d’engrenages semblent par moments nous embarquer dans une machine onirique de Michel Gondry, nous faisant ainsi redécouvrir certains plaisirs musicaux coupables qui nous emmènent « in a road to nowhere », comme le chantent les Talkings Heads (également à l’affiche). On ne peut donner que raison à Nietzsche lorsqu’il affirmait que « sans la musique, la vie serait une erreur ».

À la Völklinger Hütte, jusqu’au 16 octobre.

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