Arts visuels : La talentueuse Mme Krüger

La Chambre des salariés sort de sa case habituelle et expose une série de créations visuelles de Miriam R. Krüger, artiste autodidacte de pure souche.

Photos : woxxL’autoportrait et le portrait de la femme en général, à travers une multitude de personnages fantasques issus de l’univers de l’artiste, constituent le noyau de la bonne soixantaine de créations présentes dans l’exposition. Miriam R. Krüger, dont le nom évoquera chez certain-es le souvenir d’un personnage de films d’horreur des années 1980, n’est nullement un pseudonyme. Globe-trotteuse et artiste compulsive, née à Lima, elle doit son nom de famille à son grand-père, de nationalité franco-allemande et de confession juive, exilé au Pérou pendant la Seconde Guerre mondiale pour des raisons évidentes. Autre particularité de l’artiste : elle ne dévoile jamais son année de naissance ni son âge, car elle estime qu’elle est ce qu’« [elle est] en train de construire et non [son] numéro d’âge ».

N’ayant jamais fréquenté aucune école artistique, Miriam R. Krüger se considère comme une poète et une artiste visuelle. Elle vit au Luxembourg, dont elle n’avait jamais entendu parler auparavant, depuis la deuxième moitié des années 1990. Son nom a été ajouté en 2015 au Dictionnaire des auteurs luxembourgeois. Elle a représenté le Luxembourg au Printemps des poètes en 2016 en France, ainsi qu’en 2019 dans l’édition luxembourgeoise. En tant qu’artiste visuelle, Miriam R. Krüger est présente dans différentes expositions, individuelles et collectives, au Luxembourg et à l’étranger.

Sa dernière expo débute au rez-de-chaussée de la Chambre des salariés par une série de dessins de techniques mixtes, auxquels se mêlent des photos et des messages écrits, comme des confidences qu’on garde pour soi. S’ensuit une autre série, composée cette fois d’Amazones méditatives censées représenter les violences faites aux femmes. À l’étage supérieur, le public sera face à des personnages aux allures angéliques. D’ailleurs, l’ange est une figure assez récurrente dans le travail et l’univers de l’artiste. À l’opposé de l’autre personnage aux contours plus obscurs issu de son imagination, « Créature émotionnelle », il apparaît sous des couleurs plus claires et plus légères. Dans les étages suivants, les anges sont continuellement représentés sous des traits discrets et monochromes. Leur succèdent d’autres figures aux coloriages plus gothiques. Cette variation vers l’obscur se manifeste clairement dans une série d’autoportraits sous forme de photos, qui ne prétendent en aucun cas présenter l’artiste elle-même, mais ses personnages entourés de mystère.

Cela dit, l’ange semble ainsi apparaître comme un antidote de douceur pour contrebalancer la lourdeur, l’intensité et la tristesse émanant du personnage « Créature émotionnelle » de l’artiste. Il faut dire aussi que le modus operandi concernant la réalisation des photos est pour le moins original. L’artiste se filme et se met en scène devant son téléphone portable, pour ensuite photographier certains fragments de cette même vidéo. Le public pourra également apprécier quelques dessins représentant la figure christique. Miriam R. Krüger dit être passée par plusieurs phases mystiques, notamment du catholicisme de son enfance vers le bouddhisme. Néanmoins, les dessins se rapportent surtout à ses souvenirs nostalgiques de Lima lors de la Semaine sainte : les traditions et manifestations y sont plus exacerbées que dans les contrées nordiques. S’ensuit dans les derniers étages une série de linogravures conçues manuellement par l’artiste ainsi que d’autres dessins et collages mettant en scène la complicité féminine dans le milieu de la danse, et finalement – et exceptionnellement – quelques couples. L’artiste explique que la prédominance de la gent féminine dans ses dessins est due à « la facilité des femmes à se prêter plus facilement à ce jeu que les hommes ».

L’expo a cette particularité de nous faire découvrir un univers personnel très sui generis, mêlant à la fois noirceur et légèreté, tout en mettant en scène la condition de la femme à travers ses émotions. Elle incite également à connaître les autres formes d’expression de Miriam R. Krüger, notamment ses performances à travers sa poésie visuelle et ses personnages. Cela dit, la rencontrer face à face est un moment de délectation, de par sa nonchalance, sa simplicité et son absence de toute artificialité, sans parler de sa contagieuse bonne humeur latine. On ne pourra toutefois s’empêcher d’être interpellé par la profondeur de son regard (également visible sur ses photos), qui semble nous plonger dans les tréfonds de son âme, dont elle-même semble parfois ignorer le contenu, ce qui la conduit ainsi à l’explorer à travers ses créations et ses performances. Le tout sans provoquer d’hostilité ou une quelconque réaction répulsive, typique lors de certaines manifestations artistiques. Peut-être Miriam R. Krüger cache-t-elle inconsciemment son jeu. Ce qui ne serait pas sans rappeler cette légendaire réplique cinématographique dans « The Usual Suspects », inspirée par Baudelaire : « The greatest trick the Devil ever pulled was convincing the world he didn’t exist. »

Jusqu’au 25 novembre à la Chambre des salariés.

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