Backcover: Sana Murad

En avril et en octobre, la photographe Sana Murad illustre les 
versos du woxx. Dans cette interview, elle dévoile ce qu’il en est des motifs de la première série et pourquoi elle est familière du journal.

Sana Murad : à la recherche du prochain sujet de photo pendant son temps libre, active professionnellement dans le domaine social. (Copyright : Sana Murad)

woxx : Comment décririez-vous le contraste entre les personnes et l’architecture que vous mettez en place dans votre première série pour le woxx ?


Sana Murad : La série est nommée « strange faces/strange places » : l’idée était de montrer des lieux et des personnes côte à côte. En général, j’aime beaucoup les diptyques qui mettent deux photos en relation. L’architecture est un thème qui me fascine, parfois j’essaie de jouer avec les formes des bâtiments ou les sites en question au moyen d’une « figure » et de les mettre en scène par cette présence.

Souvent, on voit sur vos photographies des lieux abandonnés qui évoquent une atmosphère hantée. Quel est votre rapport avec ces endroits ?


J’ai toujours été attirée par des lieux bizarres, abandonnés, traditionnellement pas jolis ; des endroits que la plupart des gens ne regardent pas. J’aime les endroits où on se demande : que s’est-il passé ici ? qui habitait ici ? pourquoi ce lieu a-t-il été délaissé ? Ce sont souvent des endroits avec un passé, mais sans avenir, parce qu’ils doivent par exemple faire place à de nouveaux complexes résidentiels.

Imaginez-vous des histoires sur les différents sites ou appuyez-vous simplement sur le déclencheur de votre appareil photo ?


Je tisse des histoires, oui, surtout lorsque les lieux semblent avoir été quittés à toutes jambes. Une fois, j’ai eu la chance de tomber via Facebook Marketplace sur une maison inoccupée, dont j’ai pu photographier les pièces. Sur place, une personne m’a raconté l’histoire de la famille qui se cachait derrière les murs. C’était intéressant : normalement, en tant que « photographe urbex », tu n’as personne pour t’expliquer le contexte de tes clichés. Souvent, seules des rumeurs circulent sur les lieux abandonnés ; parfois les photographes rencontrent des squatters, en particulier dans des maisons vides des années 1960 qui sont encore en bon état. Cela ne m’est arrivé qu’une fois jusqu’à présent, à Esch. Le squatter et moi ne nous sommes pas gênés.

« J’aime les endroits où on se demande : que s’est-il passé ici ? qui habitait ici ? pourquoi ce lieu a-t-il été délaissé ? Ce sont souvent des endroits avec un passé, mais sans avenir, parce qu’ils doivent par exemple faire place à de nouveaux complexes résidentiels. »

Qu’est-ce qui vous fascine dans cette solitude ?


D’une part, j’aime provoquer des sentiments chez le public : ce qui m’intéresse dans l’art, et dans la photographie en particulier, ce sont les émotions qu’une image me fait vivre. Donc, je veux que les gens ressentent quelque chose en regardant mes œuvres. D’autre part, je trouve que la solitude a, à tort, une mauvaise réputation dans notre société : elle est souvent considérée comme un état exclusivement négatif. Bien que ce côté de la solitude existe et que beaucoup de gens en souffrent, je pense qu’elle peut aussi être enrichissante. Curieusement, je n’ai jamais choisi consciemment de transmettre un sentiment de solitude à travers mes photographies – c’est pourtant intéressant d’entendre que vous y associez les images.

Votre appareil photo vous accompagne aussi lors de vos voyages à travers le monde. Quel pays a eu jusqu’à présent le langage visuel le plus fort pour vous ?


Chaque voyage – de courte ou de longue durée, proche ou lointain – laisse ses traces. Néanmoins, mes deux derniers voyages m’ont particulièrement marquée, avant tout celui en Inde. En janvier, je suis retournée dans le village de mon père après 17 ans. Pendant mon enfance, j’y passais régulièrement mes vacances d’été. Retourner dans ce pays après tant d’années a été accablant : les bruits, les gens, les couleurs, les odeurs – il me fallait du temps pour me réadapter, surtout pour prendre des photographies. D’un côté je voulais tout photographier, d’un autre côté j’étais trop dépassée pour le faire. Je suis allée une semaine dans le village de mon père, il m’a montré les rues et les endroits de son enfance. Ici comme là-bas, des bâtiments traditionnels sont en cours de démolition et le paysage urbain se modernise.

Photographiez-vous de manière différente si vous avez un lien émotionnel avec un lieu, comme le pays de naissance de votre père ?


Pour rester avec l’exemple de l’Inde : je me suis concentrée sur d’autres aspects durant mon voyage ; j’avais des souvenirs visuels de certains endroits, il était donc difficile de rester objective. Après, j’aurais trouvé voyeuriste d’aller dans les slums à Bombay et d’y prendre des photos, tout comme je ne me rendrais pas dans les favelas en Amérique du Sud pour photographier les personnes.

Au Luxembourg par contre, vous êtes intéressée par des motifs politiques, comme les logements vides.


Là où je vis toute l’année, j’ai un autre rapport aux questions sociales, aussi parce que je travaille dans ce domaine. Mais est-ce vraiment mon rôle de touriste ou de photojournaliste de capturer de tels motifs ailleurs ? Je suis convaincue qu’il existe sur place suffisamment de photographes qui pourraient accomplir cette mission. Il est vrai que je n’aime pas visiter uniquement les lieux touristiques d’une ville ou d’un pays non plus. Je préfère aller plus loin, connaître les gens sur place dans leur vie quotidienne, avoir une idée de l’endroit.

En ce sens, j’aimerais connaître vos impressions sur le woxx, car, en 2017, vous êtes venue à la rédaction dans le cadre d’un projet photographique d’Etika.


C’était en fait la première fois que je participais à un tel projet en général et de documentation en particulier. J’ai fait deux années d’études journalistiques ; c’était intéressant pour moi de me retrouver dans les coulisses d’un hebdomadaire. Je me suis rendue à plusieurs reprises au woxx pour en comprendre le fonctionnement et en capturer l’atmosphère. J’ai même assisté à une conférence de rédaction.

Qu’est-ce qui vous est resté particulièrement en mémoire ?


Je me rappelle entre autres les gros catalogues verts avec toutes les éditions des années de parution dans la salle de rédaction !


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