Cape Ettelbruck 
: Ratisser large

Carl Adalsteinsson a pris les rênes du Cape Ettelbruck en 2014. Depuis, le centre culturel au Nord du Luxembourg a constamment affiné son programme. Rencontre avec un océan de calme confronté à une période pleine de petites et grandes tempêtes.

Un bâtiment ultra-moderne pour une mission d’équilibriste : le Cape Ettelbruck. (PHOTO : ©Wikimedia)

Il ne se laisse pas, ou difficilement déstabiliser. Venu parler au woxx de sa nouvelle programmation dans une minuscule arrière-salle d’un bistrot à Kirchberg – pas dans les palais de verre, mais dans cette partie inconnue du grand public où l’on entrevoit par-ci et par-là que ce quartier fut jadis très rural – il ne cligne pas des yeux quand on le met devant la « Gretchenfrage » du moment : « Que retenez-vous du bilan intermédiaire des assises culturelles qui viennent de s’achever ? » – « Que dois-je dire ? C’est tellement ambivalent. D’un côté, le processus est important : tout ce qui était pré-assises, les rencontres avec les différents secteurs et les post-assises. Même si c’est compliqué, on apprend à mieux se connaître entre acteurs culturels et aussi à explorer de nouvelles constellations, parfois même atypiques. De l’autre côté je dois admettre qu’en ce qui concerne le bilan présenté récemment, il ne s’agit que d’une interprétation de la part de Jo Kox. Et ce qui m’a extrêmement étonné, c’est de voir qu’à partir de maintenant, les choses vont se précipiter de plus en plus et que dans un an nous aurons donc un plan de développement culturel. »

Et de comparer l’élaboration de ce plan à des plans culturels similaires à l’étranger, mais aussi à des plans élaborés au niveau communal comme récemment à Esch, qui ont tous pris au moins sept ans de gestation : « Ce qui me manque le plus, c’est le côté scientifique. Si on crée une chaire universitaire pour le ‘Space Mining’ et les astéroïdes, pourquoi ne pas en faire une pour la culture ? ». Selon Carl Adalsteinsson, cela aiderait aussi à bétonner le sérieux des questions culturelles. Il conclut : « Pour moi, on a assez discuté sur ce plan, il est temps qu’on nous montre des chiffres concrets et qu’on nous dise où la barque sera menée. »

Sceptique sur le plan de développement culturel, Adalsteinsson l’est beaucoup moins quand il s’agit de décrire les spécificités de sa maison. Le Cape étant un des rares centres culturels se situant au-dessus du méridien de la capitale, il a aussi quelques missions à accomplir : « Contrairement à d’autres centres culturels du Nord, comme le Cube 521, nous n’avons pas tellement d’ouvertures à l’étranger. Nos avons en principe deux régions – hors Ettelbruck – dont nous attirons les habitants. D’un côté la vallée de l’Alzette, jusqu’à Mersch plus ou moins, et puis aussi vers le Nord, direction Redange – surtout depuis la fermeture de ‘L’Inouï’, ce qui a provoqué un appel d’air dont nous pouvons profiter. »

Fragile équilibre entre satisfaction et éducation 
du public.

Pour le directeur du Cape, le but essentiel de sa programmation est de donner des envies de culture à ses publics, une sorte de « service de proximité culturel » comme il le décrit. Ainsi, s’il compare le Cape au Kinneksbond de Mamer, Carl Adalsteinsson constate tout de même quelques différences capitales : « À Mamer, la programmation a une vélocité plus appuyée. De par sa proximité avec la capitale – on peut y aller en bus – le Kinneksbond atteint un public qui est plus poussé par un besoin, une faim de culture. Au Cape, je ne dirais pas que les gens n’ont pas faim de culture, mais c’est un appétit tout à fait différent. Par exemple la culture populaire fonctionne très bien – sans pour autant ne mettre en avant que du théâtre rural. Mais les ‘institutions’ luxembourgeoises, comme la Revue ou d’autres pièces en langue luxembourgeoise marchent très bien. C’est aussi parce que les résidents luxembourgeois habitent à quatre cinquièmes dans des régions rurales, donc c’est notre public. »

Pourtant, cela ne veut pas forcément dire que le Cape ne verserait que dans le cabaret ou le théâtre populaire : « Notre ambition affichée est de partager des créations en langue luxembourgeoise, ou par des auteurs et artistes luxembourgeois, avec notre public. Comme par exemple ‘Rumpelstilzchen’ dans une co-production avec le Grand Théâtre, réécrit par Ian De Toffoli. C’est un donnant-donnant qui marche plutôt bien », estime-t-il.

Une affaire d’équilibre donc, toujours entre satisfaction et éducation du public, qui s’étale d’ailleurs aussi sur d’autres pans de la programmation. Comme en ce qui concerne la musique, où cohabitent régulièrement des formations comme la musique militaire à côté de groupes de jazz ou d’électro ayant une touche plus internationale. Même s’il ne veut pas aller jusqu’à dire que la musique est tout de même la discipline sur laquelle le Cape mise le plus – car plus aisément transposable et suscitant plutôt un intérêt spontané du public – Adalsteinsson n’en est pas moins fier : « La musique sait rassembler les gens plus que d’autres disciplines artistiques. De plus, nous avons trouvé notre niche sur le marché plutôt saturé du grand-duché ». Si vous ne verrez donc jamais de concert métal, punk ou expérimental au Cape, ce n’est pas parce que le directeur ne les apprécie pas, mais parce que d’autres maisons sont déjà sur ce segment. Ce qui fait que le Cape est devenu un lieu pour les aficionados de petits concerts plus classiques, de récitals et de formations de jazz de tous les horizons.

Cela ramène la discussion vers un des principaux défis auquel toutes les institutions culturelles du pays sont confrontées : ne pas empiéter sur les plates-bandes de l’autre, au risque de se retrouver avec des salles vides. Ainsi, le Cape essaie de se coordonner au mieux avec le Mierscher Kulturhaus, avec lequel il partage d’ailleurs un abonnement, pour éviter des doubles programmations, voire des événements trop rapprochés. « On se partage aussi les cabarets », détaille Adalsteinsson, «  Mais cela ne dépasse que rarement notre région. Par exemple, faire de même avec une Kulturfabrik à Esch serait dénué de sens. Le public, la programmation et l’emplacement sont tellement différents qu’on imagine mal comment on pourrait entrer en conflit. »

Pour compléter le tour d’horizon, le Cape propose un petit programme « CA’Pedia » avec un cycle de conférences du critique d’art et curateur Christian Mosar – un projet d’abord initié au Mudam. S’y ajoutent les traditionnelles soirées « Exploration du Monde ».

Et puis, il y a aussi les expositions. Sans elles, le Centre des arts pluriels d’Ettelbruck ne remplirait pas totalement sa mission. Ici, tout est question d’équilibre : entre vieux et jeunes, entre collectif et monographie. Ainsi, ce sera à Max Mertens d’ouvrir le bal fin septembre avec son « Edifice of Thought » où il expose des installations-sculptures participatives. Ensuite, ce sera au tour de Pit Wagner de montrer des travaux qui dépassent son métier habituel d’illustrateur avec « Die wahre Wirklichkeit und andere Geschichten ». Finalement, le Cape accueillera la deuxième édition des « SinCityPics Nordstad » – une exposition aussi collective que participative.

Le pessimisme culturel ambiant peut aussi être déjoué avec une bonne dose de pragmatisme et d’action, et le Cape Ettelbruck le démontre.


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