Dans les salles : Peter von Kant

Hommage appuyé à Rainer Werner Fassbinder, « Peter von Kant », de François Ozon, transpose un film emblématique du maître allemand avec les codes du cinéma d’aujourd’hui. Était-ce bien nécessaire ?

Ozon dégaine un pendant masculin au film de Fassbinder. (Photo : Diaphana distribution)

Pour les cinéphiles, l’annonce d’une adaptation par François Ozon du film « Die bitteren Tränen der Petra von Kant » avait tout pour susciter la curiosité. D’une part, la version filmée par Rainer Werner Fassbinder de sa propre pièce de théâtre est un long métrage culte ; d’autre part, le cinéaste français a un univers bien particulier qui, après tout, comprend aussi « Huit femmes », également adapté d’une pièce de théâtre. Il était donc légitime de saliver en attendant de voir comment Ozon allait faire sien le chef-d’œuvre ouest-allemand.

L’action de « Peter von Kant » y est transposée de Brême à Cologne, et Petra, créatrice de mode, devient Peter, réalisateur, en 1972… l’année de sortie du film originel. L’hommage est aussi appuyé que transparent, d’autant que Denis Ménochet, qui joue Peter, soigne sa ressemblance physique avec Fassbinder. Première différence, cependant : là où « Die bitteren Tränen der Petra von Kant » jouait la carte du tout-féminin à l’écran, Ozon filme au masculin. Peter, qui martyrise Karl, son majordome muet et stoïque, s’éprend d’Amir, fascinant éphèbe qui fera ainsi carrière dans le cinéma. Mais la mécanique unilatérale du genre est ici brisée : c’est toujours l’amie Sidonie qui tient lieu d’entremetteuse, tandis que les personnages de la fille et de la mère de Peter restent féminins. Voilà déjà une des symboliques rompue et un peu de magie qui s’envole. Heureusement, cela permet à Hanna Schygulla, qui chez Fassbinder jouait Karin, la jeune amante, de faire une apparition plutôt émouvante en mère poule allemande.

Il faut bien le dire, le parfum de scandale qu’une liaison lesbienne pouvait diffuser en 1972 au cinéma est quasi dissipé à notre époque. Ce n’est pas en transformant les personnages en hommes que le film se métamorphose en brûlot provocateur. Dès lors, en suivant la même histoire de passion et de dépendance tragique, Ozon arrive difficilement à conserver l’attention. D’autant que sa mise en scène, qui utilise les codes réalistes en vigueur actuellement, est un pâle reflet des plans stylisés et hyperconstruits de son idole. De même, manque à l’appel l’interprétation hiératique des actrices de l’original, ici remplacée par un jeu naturaliste qui ne permet pas d’ôter l’impression de déjà-vu d’une histoire désormais datée.

La demi-heure de moins de « Peter von Kant » s’explique en outre par la coupe des répliques plus philosophiques. Car, sinon, la « libre adaptation » est fidèle au point de reprendre l’essentiel des dialogues. Arrive alors un sentiment étrange devant ce film en français censé se dérouler en Allemagne, mais où seules quelques expressions allemandes se glissent, à part à l’écrit, et où le prénom Peter est prononcé systématiquement à l’anglaise (sauf par Hanna Schygulla !). Comme si Ozon avait trop de respect pour Fassbinder et ne pouvait pas, ne voulait pas transposer cette histoire, pourtant universelle, dans un coin francophone.

Tragédie grecque contre 
théâtre de boulevard

Bref, là où « Die bitteren Tränen der Petra von Kant » apparaît aujourd’hui comme bénéficiant du charme suranné de la tragédie grecque, son adaptation joue la carte du théâtre de boulevard coincé entre deux chaises. La recette avait réussi pour « Huit femmes ». Cette fois-ci, la sauce prend difficilement.

C’est d’ailleurs clairement aux choix qui ont présidé à l’adaptation qu’on doit cette déception : le film présente par ailleurs de belles performances de jeu. Tout d’abord, celle de Denis Ménochet en Peter, qui combine avec brio cruauté envers son majordome Karl (incarné avec flegme par Stefan Crepon) et passion ravageuse pour son amant Amir. Celui-ci est joué par Khalil Garbia avec ce qu’il faut de fausse candeur qui cache une ambition dévorante. Et puis Isabelle Adjani est parfaite en Sidonie, cette actrice sur le retour allée chercher la gloire à Hollywood après avoir été l’égérie de Peter. Dommage donc qu’ils et elles servent un scénario paralysé par l’hommage. Car ce ne sont pas les quelques scènes ajoutées à la fin, suggérant une intention machiavélique de l’amie du héros, qui donnent du piquant à l’affaire. Celle-ci était entendue rapidement.

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