Droit de vote : Branle-bas de combat

Tout le pays discute d’une chose en ce moment : le référendum et, surtout, l’élargissement du droit de vote aux résidents étrangers. Comment se déroulent les débats ? Le woxx a assisté à une table ronde sur le sujet.

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Le public était invité à exprimer sa position sur la question avant et après le débat. (Photo : woxx)

« Qu’est-ce que c’est que ce débat, où on donne une heure aux défenseurs du oui, mais même pas une minute au représentant du non ? » Fred Keup est énervé. « C’est au tour des politiciens maintenant d’expliquer leurs points de vue, vous pourrez vous exprimer plus tard », le met en garde un des deux modérateurs de la soirée. « Ceci n’est pas un débat démocratique ! », lui rétorque Keup.

Plus tôt, celui-ci était devant la porte et distribuait des tracts de son initiative, « Nee 2015 ». « Voici quelques informations sur les arguments du non, si cela vous intéresse », disait-il dit aux gens qui étaient venus assister à la soirée en leur donnant le tract. « Non merci, je sais ce que je vais voter », lui répondent quelques personnes, d’autres lui expriment leur soutien.

« Le vivre ensemble que nous connaissons au Luxembourg ne fait-il pas partie de notre identité ? »

C’est à l’« Attert Lycée » de Redange-sur-Attert que les commissions d’intégration des communes du canton de Redange avaient invité les personnes intéressées à un débat sur l’élargissement du droit de vote aux résidents étrangers. Une soixantaine de personnes ont répondu à l’invitation. Parmi le public, la grande majorité sont des gens au-delà des 40 ans, seule une poignée de jeunes est présente.

Si le « nee » se limite à distribuer des tracts devant l’entrée, le « jo », lui, a toute une table remplie de tracts, de brochures et d’autocollants à l’intérieur de la salle. Mais avant de pouvoir découvrir cela, les participants à la soirée sont invités à exprimer une première fois leur position sur la question du droit de vote, en collant des petits points jaunes sur un tableau, en dessous du « oui », du « non » ou de la mention « je ne sais pas encore ». Le oui est majoritaire de quelques points jaunes.

C’est au directeur du Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales, Sylvain Besch, de faire l’introduction au débat, en présentant quelques généralités démographiques sur le Luxembourg. Puis c’est au tour de Laura Zuccoli, présidente de l’Asti et représentante de la plateforme Minté (Migrations et intégration) de répondre à la question : « Pourquoi faudrait-il un droit de vote pour les résidents étrangers ? »

« Il n’y a personne de Nee 2015 parmi les orateurs », commence Zuccoli, « c’est pourquoi je ne vais pas me limiter à exposer les arguments du oui. Je vais aussi expliquer les arguments des opposants. Et puis, le non est présent dans le public et pourra toujours réagir après. » Elle commence par les arguments du non : « Ses partisans disent qu’une ouverture du droit de vote aux étrangers équivaudrait à un abandon de notre souveraineté et qu’elle aurait pour conséquence le déclin de notre langue », explique-t-elle par exemple. « Pour les adversaires de l’ouverture du droit de vote, la Chambre représente la nation, qui est constituée par les Luxembourgeois, peu importe où ils résident. »

Après avoir esquissé les arguments du non, la présidente de l’Asti passe aux raisons de dire oui : « Le Luxembourg connaît une situation spécifique, unique au monde. Dès lors, ce n’est que logique d’essayer de trouver des solutions spécifiques ! »

Un par un, Laura Zuccoli démonte les arguments du non qu’elle vient d’énumérer auparavant. Elle n’en est pas à son premier débat sur le sujet et ça se voit, ça s’entend dans sa voix. Quand elle parle, on ne peut s’empêcher de penser à une institutrice qui répète, année après année, le même cours.

« Notre identité n’est pas en danger », déclare-t-elle, « et puis, c’est quoi notre identité, au juste ? Le vivre ensemble que nous connaissons au Luxembourg ne fait-il pas partie de notre identité ? »

Après l’intervention de la présidente de l’Asti et avant le tour de table des politiques, Fred Keup demande le micro. « On m’avait promis que je pourrais prendre position », tente-t-il de convaincre les modérateurs. En vain. « Pas maintenant », lui lance un modérateur. Quelques voix s’élèvent du public : « Mais laissez-le parler ! » Pas de chance, son intervention sera pour plus tard.

Une dame des premiers rangs demande le micro. Elle se lève et demande : « Pourquoi, parmi les politiciens présents, il y en a quatre qui plaident pour le oui et seulement deux pour le non ? Vous trouvez cela démocratique ? » Elle rajoute : « Pour moi, les droits des étrangers s’arrêtent là ou commence la souveraineté du peuple qui les accueille. Ils connaissaient les conditions avant de venir ici ! »

« On va faire un tour de table des politiciens présents », annonce le modérateur. Des représentants de tous les partis présents au parlement prennent place. Chacun a trois minutes pour expliquer son point de vue. Il n’y a pas de femme parmi les six politiques.

C’est José Lopes Gonçalves du DP qui fait l’ouverture : « Comment peut-on argumenter avec la souveraineté alors que nous envoyons déjà des citoyens étrangers en mission militaire hors de nos frontières ? L’armée n’est-elle pas la première émanation de la souveraineté ? »

« Pour moi, les droits des étrangers s’arrêtent là ou commence la souveraineté du peuple qui les accueille. »

À Alex Penning de l’ADR de prendre la parole : « Moi, ce que je constate, c’est que les étrangers eux-mêmes n’ont jamais demandé le droit de vote. » Il a encore un autre argument : « Ce référendum coûte 1,3 million d’euros au contribuable ! » À quoi Marc Baum, Déi Lénk, rétorquera plus tard, sous les rires du public : « Oui, le référendum coûte de l’argent – la démocratie coûte de l’argent ! En outre, l’ADR aussi reçoit de l’argent à travers le financement des partis… »

Les arguments de Claude Hagen, député socialiste, ressemblent à ceux que Laura Zuccoli a exposés quelques minutes plus tôt. « La Chambre est censée garantir une démocratie représentative… » Une injonction du public l’interrompt. « Maintenant, c’est moi qui ai le micro et je vais parler », remet-il à sa place la personne qui l’a interrompu. « Tout pays a un problème quand une minorité décide pour une majorité » – son argumentation peut se résumer à cette phrase, pour le reste.

Pour Marc Baum, futur député Déi Lénk, le droit de vote n’est pas immuable : « On est passé d’un droit de vote minoritaire à un droit de vote majoritaire au fil du temps. » On aurait donné le droit de vote d’abord aux travailleurs, puis aux femmes. « L’élargissement du corps électoral fait partie de notre nation, de notre identité et de notre histoire », argumente-t-il. « En outre, les étrangers peuvent voter pour la Chambre des salariés, pour les communales et les européennes, peuvent signer des pétitions… Nous avons de l’expérience en ce qui concerne la participation des non-Luxembourgeois ! »

« La question du droit de vote est intimement liée à la souveraineté nationale », constate Ali Kaes du CSV. « Nous nous prononçons contre l’élargissement du droit de vote, parce qu’il n’y a quasiment pas d’autres pays qui l’ont fait. Pour nous, la participation politique des étrangers passe par la double nationalité », déclare-t-il.

Gérard Anzia, Déi Gréng, remet lui en question la définition de « luxembourgeois ». « Qu’est-ce qu’un Luxembourgeois ? Parmi les Luxembourgeois, il y en a au moins un tiers dont au moins un des
parents sont étrangers. » Ce qui prouve, pour lui, que le Luxembourg et le « Luxembourgeois en soi » se définit par sa multiculturalité et son multilinguisme.

« Nous vivons très bien ensemble, sans que les étrangers aient le droit de vote. »

Le public suit plus ou moins attentivement. Certains prennent des notes, d’autres font semblant. C’est la fin des exposés des politiciens, enfin ! Jean-Louis Schlesser, membre de Minté lui aussi, prend la parole et trouve des mots positifs pour le Luxembourg : « Si l’on posait la même question aux gens dans un autre pays, je ne pense pas qu’il y aurait beaucoup plus que dix pour cent de la population qui serait pour. » Il fait passer le micro. « Je suis un de ces étrangers qui aimeraient bien voter ! », s’exclame quelqu’un qui alterne français et allemand. Il oublie de dire que lui aussi fait partie de Minté.

Fred Keup, le représentant de « Nee 2015 », peut enfin prendre le micro. « Si nous disons oui au principe du droit de vote des étrangers, les conditions posées actuellement vont s’effriter petit à petit », avertit-il. « Nous vivons très bien ensemble, sans que les étrangers aient le droit de vote. » Quelques – rares – applaudissements se font entendre après son intervention.

« Le résultat du référendum sera-t-il contraignant ? », veut savoir une dame. Alors que les représentants du LSAP et de Déi Gréng affirment que oui, ils respecteront le résultat, Ali Kaes hésite : « Nous déciderons de notre position le soir du référendum. » Alex Penning renvoie à l’article 9 de la Constitution qui stipule que « la loi peut conférer l‘exercice de droits politiques à des non-Luxembourgeois » et qui rendrait obsolète tout changement de celle-ci. « Je vous rappelle que cet article a été utilisé une seule fois – pour conférer la nationalité luxembourgeoise à une princesse », répond Marc Baum, toujours sous les rires du public.

« Je regrette que les partis n’aient pas trouvé un compromis préalable sur le droit de vote des résidents étrangers ». Une dame d’une soixantaine d’années s’est levée. « Si le résultat du référendum est non, on aura obstrué le chemin pour un élargissement du corps électoral pour de longues années. »

« Si le résultat du référendum est non, on aura obstrué le chemin pour un élargissement du corps électoral pour de longues années. »

« La réalité est que nous n’avons pas trouvé de consensus entre les partis », lui répond Claude Hagen. « Au bout d’un moment, il fallait prendre une décision. Et qu’y a-t-il de plus noble que de laisser trancher la population ? »

« Quel bénéfice les Luxembourgeois tireraient-ils d’un droit de vote pour les étrangers ? », veut savoir une autre dame des premiers rangs. Ali Kaes tente de lui répondre, mais se perd dans des généralités.

« Ce n’était pas une réponse à la question », le remet à sa place la voisine de l’intervenante précédente, celle qui a applaudi toute seule. Visiblement énervée, sur un ton agressif, elle s’exclame : « Nous sommes un petit pays, avec un petit territoire et une petite langue. Moi, je veux que notre langue soit encore parlée dans dix ans ! » Et de rajouter : « Si les étrangers ont le droit de vote, ils auront de plus en plus de revendications. Un jour, ils voudront aussi le droit de vote passif ! »

Des regards stupéfaits sont échangés dans le public. Quelqu’un s’adresse au modérateur : « C’est bon maintenant, assez ! Si elle continue, moi je m’en vais ! » Le modérateur s’exécute : « Nous avons compris, madame, vous pouvez rendre le micro maintenant. » – « Mais je n’ai pas encore fini ! » – « Nous avons compris ce que vous voulez dire. » La dame crie : « Il s’agit de notre souveraineté et de la survie d’un petit peuple ! » Avant même la fin du débat, elle quitte la salle avec sa voisine.

José Lopes Gonçalves prend la parole en dernier. « Je voulais juste rajouter que nous ne devrions pas trop prendre au sérieux le problème de la langue. C’est un problème qui se résout tout seul avec le temps. » Il sourit. « Regardez-moi : Je m’appelle José Lopes Gonçalves et je vous parle en luxembourgeois. »

À l’issue du débat, le public est à nouveau invité à poser des petits points – verts cette fois – en dessous des mentions « oui », « non », ou « je ne sais pas ». Le oui a toujours une petite majorité. Les proportions sont restées les mêmes.


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