Exposition digitale : Grains digitaux

Dans ce qui sera probablement la dernière chronique d’exposition digitale pour un certain temps, nous nous intéressons de près au collectif écossais NEoN (North East of North), qui a mis sur pied l’exposition « Underneath the Web, There’s a Beach ! ».

Malgré son étendue presque sans limites, le web est avant tout un endroit de réinvention et de remixage plutôt que de création ex nihilo. Est-ce dû à l’impression oppressante de sa marée infinie de contenus ? C’est une question à laisser aux philosophes contemporain-e-s, mais force est de constater que cette exposition virtuelle ne déroge pas à la règle, vu que son titre est une adaptation du fameux slogan soixante-huitard « Sous les pavés, la plage ! ». Réunissant des artistes en provenance d’Azerbaïdjan, Canada, France, Allemagne, Iran, Kazakhstan et États-Unis, elle offre un vaste panorama de ce qui est possible en matière d’ingénierie virtuelle et artistique.

Un bon exemple provient de l’artiste germano-vietnamienne Hang Do Thi Duc avec sa page créée en 2017, « Me and My Facebook Data  ». Créée en résidence au Zentrum für Kunst und Medien de Karlsruhe, cette petite page donne au public l’occasion de visualiser son utilisation de Facebook. Pour ce faire, chaque participant-e doit d’abord télécharger toutes ses données sur le réseau social – une chose plus facile à faire qu’on croirait – pour ensuite les faire entrer dans la petite machine construite par l’artiste. On peut ainsi visualiser toutes les géolocalisations que la firme de Mark Zuckerberg a enregistrées, les liens dans les messages envoyés et autres détails. Bref, Hang Do Thi Duc vous permet de sortir de l’abstrait toutes les données collectées par Facebook et de faire apparaître l’étendue des informations que vous donnez chaque jour avec votre plein consentement – c’est assez vertigineux !

Après Facebook, c’est au tour de Twitter. L’artiste américain Ben Grosser s’est fait un malin plaisir d’inventer le « Twitter Demetricator  ». Une extension à télécharger sur Chrome, Firefox, Safari, Edge et Opera – qui ne change qu’un petit paramètre, mais dont l’impact est d’autant plus important. En enlevant les compteurs de nombre de tweets, de followers et de comptes suivis, il enlève aussi en grande partie la compétition sociale, mais aussi la pondération des hashtags. Sans savoir combien de fois un hashtag a été retweeté, il perd aussi de son importance. C’est un moyen de déstresser le réseau social tellement efficace que Twitter et Instagram l’ont même testé.

Au-delà de ces outils de détournement, le collectif « The Institute for New Feeling », qui regroupe les artistes américain-e-s Scott Andrew, Agnes Bolt et Nina Sarnelle, a créé une page activiste appelée « The Redirectory », sur laquelle sont expliquées des techniques de manipulation visuelle employées par les grandes agences de marketing internet. Des extraits d’images qui invitent à cliquer dessus aux pages similaires qui ne sont pourtant pas identiques, en passant par le harcèlement en ligne, cette page régulièrement actualisée permet de mieux comprendre comment les firmes essaient d’entrer dans nos têtes.

Dans un registre plus drôle, l’artiste canadien Jim Munroe a détourné un des jeux vidéo les plus populaires de la planète « Grand Theft Auto 3 » – un jeu ouvert, dans le sens où les joueurs et joueuses peuvent se promener librement sur la carte et que les missions ne sont pas obligatoires. Munroe a profité de cette liberté pour inventer le personnage d’un touriste canadien trop aimable pour la cité criminelle, qui préfère se balader dans les parcs plutôt que de tuer des gens à coups de batte de baseball. Le voyage hilarant peut être vu sous « My Trip to Liberty City ».

Dans l’univers ludique, signalons aussi le jeu écrit par l’artiste français Martin Le Chevallier, « Vigilance 1.0  », et qui date de 2001. Avec un graphisme plutôt primitif, même pour l’époque, le joueur doit regarder en permanence une douzaine d’écrans vidéo sur lesquels se déroulent des scènes du quotidien. L’objectif est de trouver des « fautifs » : des gens qui traversent au rouge, des harcèlements sexuels et autres criminels. Mais attention : si vous accusez quelqu’un à tort, vous perdez des points.

Finalement, l’expo inclut aussi le portail « Activatar.org ». C’est une plateforme qui présente chaque mois des expositions en ligne, avec des curatrices et curateurs changeants. Pour NEoN, trois artistes, Mohsen HZ (Iran), Anvar Musrepov (Kazakhstan) et Shalala Samamzageh (Azerbaïdjan), ont imaginé « The Wanted Pavilion », qui fait suite à l’annulation de la participation kazakhe à la Biennale de Venise. La plateforme s’est subséquemment spécialisée dans l’exposition au public d’artistes venant de régions difficiles d’accès – et de sortie.

En bref, pour celles et ceux pour qui le concept d’expo totalement digitale et qui ne soit pas un ersatz de musée réel est toujours nouveau, cette page est une excellente porte d’entrée.


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