Gastronomie : « Dans la cuisine végétale, il y a plus de saveurs et plus de couleurs »

Steve Lentz enseigne la cuisine à l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg (EHTL), à Diekirch. En octobre dernier, il a remporté le titre de meilleur chef végétalien du monde lors de la prestigieuse compétition Global Chefs Challenge, qui s’est tenue cette année à Singapour. Une consécration pour le Luxembourgeois de 34 ans originaire d’Eppeldorf, près d’Ettelbruck, mais aussi un trophée supplémentaire pour le pays, qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de cuisine végane.

Steve Lentz a été sacré meilleur chef végétalien du monde au prestigieux Global Chefs Challenge. (© Giulia Thinnes)

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler derrière les fourneaux ?

Tout part d’une fête de village, lorsque j’avais huit ou neuf ans : les grands-mères avaient préparé une crème pâtissière maison. C’était tellement bon ! J’ai voulu savoir comment elles avaient fait. Je n’avais pas l’habitude d’en manger, car mes parents ont toujours travaillé dans un domaine autre que la restauration et n’avaient pas toujours le temps de cuisiner frais. Plus tard, lorsque j’étais au lycée classique de Diekirch, le lycée hôtelier a organisé une journée portes ouvertes. En voyant les cuisiniers dans leur tenue blanche, je me suis dit : c’est vraiment ça que je veux faire ! À 15 ans, je suis donc entré à l’EHTL, puis, au bout de trois ans, j’ai commencé à travailler dans des restaurants gastronomiques au Luxembourg, en Allemagne et en Suisse.

Pourquoi avoir choisi d’enseigner plutôt que de continuer à travailler dans des restaurants, voire d’ouvrir le vôtre ?

Parce qu’on me l’a demandé ! Lorsque j’ai obtenu mon brevet de maîtrise, l’un des enseignants et membres du jury, Alain Hostert (attaché à la direction de l’EHTL, ndlr), m’a proposé de devenir enseignant. Sur le moment, je n’étais pas convaincu, mais j’ai essayé et, finalement, je suis resté ! Cela fait sept ans que j’y enseigne. Partager son savoir, redonner ce que j’ai appris aux élèves, c’est très stimulant. Je n’aurais jamais pensé être intéressé par la pédagogie, mais il se trouve qu’en fait j’adore ça.

Vous avez fait vos gammes avec la cuisine traditionnelle, à base de viande et de poisson. Pourquoi vous être tourné vers la cuisine végétale ?

Là encore, grâce à Alain Hostert ! Ces dernières années, il a commencé à recevoir de plus en plus de demandes pour des formations en cuisine végétale de la part des entreprises et de la restauration collective, Servior ou l’armée par exemple. Il m’a demandé si ça m’intéresserait de me lancer. Alors j’ai essayé, en autodidacte : j’ai appris à partir des livres, sur l’internet, j’ai regardé ce qui se fait dans d’autres pays, là où on mange plus traditionnellement végan, comme en Inde, mais aussi dans des régions où, même si on consomme de la viande, on mange beaucoup de légumes – l’Asie en général, ainsi que l’Afrique ou l’Amérique du Sud. On a également remarqué un intérêt croissant de la part des élèves. Lorsque j’ai commencé, il y avait peut-être deux ou trois élèves qui étaient végan·es ou végétarien·nes. Aujourd’hui, il y en a entre 60 et 80, sur les quelque 360 élèves du lycée. L’attrait pour la cuisine végétale a vraiment explosé. Il y a plusieurs raisons à cela, mais je crois que ça a commencé avec l’importance de plus en plus grande accordée à la cuisine saine. On veut vieillir en bonne santé pour pouvoir continuer à faire plein de choses le plus longtemps possible. Lorsque j’étais élève, la cuisine saine n’était pas intéressante, on cuisinait « classique », avec de la crème, du beurre. C’est aussi lié à l’influence des célébrités sur les réseaux sociaux et, bien sûr, à la cause animale, avec ces vidéos qui montrent des abattoirs et des élevages qui ne fonctionnent pas comme il faut.

Vous êtes vous-même végan ?

Je suis végétarien à la maison, car ma copine est végane. Mais à l’école, je mange de tout.

En toute objectivité, la cuisine végétale est-elle aussi savoureuse que la cuisine plus traditionnelle ?

(© EHTL)

En fait, dans la cuisine végétale, il y a plus de saveurs et plus de couleurs. Il suffit de voir le nombre de variétés d’épices ou de légumes dont on dispose au Luxembourg avec la mondialisation. Sans compter tous les fruits à coque, les légumineuses, les produits comme le tofu… C’est une immense source d’inspiration. Dans la compétition Global Chefs Challenge, c’était d’ailleurs très visible : les chefs seniors (qui ont cuisiné viandes et poissons, ndlr) ont fait de très jolies assiettes, mais c’était quand même presque toujours la même chose.

« Pour moi, cette victoire ne change rien : je vais rester enseignant. »

Qu’est-ce qui vous a poussé à participer au Global Chefs Challenge ?

L’association des professionnels des métiers de bouche au Luxembourg, Vatel, chargée de repérer les potentiels candidats dans le pays, m’a proposé d’aller à Rimini, en Italie, pour concourir au championnat d’Europe (présélection pour le championnat du monde, ndlr). Comme on l’a remporté avec mon commis, Lucas Andrieux, on s’est qualifiés pour le mondial. Je ne m’y attendais pas !

Comment vous êtes-vous préparé pour cette compétition mondiale ?

J’étais très stressé, mais l’avantage est que, dans la gastronomie, on a l’habitude de travailler avec le stress. Et pour le gérer, il faut travailler, travailler, travailler. Pendant cinq mois, on a bossé dur. Le soir et les week-ends quand il y avait cours, huit à neuf heures par jour pendant les congés d’été. Alain Hostert a goûté tous les plats. Ma compagne m’a beaucoup inspiré pour les desserts, puisque, en tant que végane qui adore la pâtisserie, elle a l’habitude de faire des desserts à base de chou-fleur, de potiron, de courgettes ou de betteraves rouges. J’ai adapté ses recettes pour en proposer des versions plus gastronomiques.

Qu’avez-vous présenté ? Les contraintes étaient-elles grandes ?

La compétition végétale est très ouverte. L’une des rares exigences d’un point de vue strictement culinaire, par exemple, était d’utiliser du cresson dans l’entrée et le plat principal, ainsi qu’un chocolat blanc végan avec du thé et deux fruits différents dans le dessert. Il y a d’autres règlements, bien sûr, comme ne pas utiliser plus de deux moules en silicone, par exemple. La durabilité compte aussi à ce niveau : on peut perdre des points si on utilise trop de gants en plastique ou si on laisse tourner le four à vide. Pour l’entrée, nous avons présenté deux flans, l’un à base de shiso et de groseilles, l’autre à base de mélisse et de kalamanzi. Pour les plats, nous avons opté pour un faux gras (foie gras végan, ndlr) avec des légumes fumés, un pithiviers de navet à la verveine, ainsi qu’une courgette grillée au feu de bois avec une sauce barbecue et noix de pécan. Tous les desserts ont été préparés à base de choux : sorbet chou rouge et açai, crème de chou-fleur au chocolat blanc et à l’aspérule, chou-rave poché dans du sirop de sureau avec une crème mangue et estragon. On avait trois heures pour envoyer l’entrée, puis 30 à 40 minutes entre les différents plats. C’est un rythme soutenu !

Vous avez tenu à emporter des produits luxembourgeois. Pourquoi ce parti pris ?

J’ai en effet utilisé beaucoup de produits d’Eppelpress, à Eppeldorf, mais aussi des huiles, des noix, des herbes et différents fruits et légumes locaux. Je tenais à montrer que nous avons beaucoup de produits au Luxembourg, et pas seulement de la viande et des produits laitiers. Tous les candidats n’ont pas eu cette démarche. Mais pour moi, c’était important, et cela a accentué ma motivation, j’en étais fier. J’ai aussi obtenu des points pour l’aspect durabilité.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre victoire ? Qu’est-ce que ce titre va changer pour vous ?

(© Giulia Thinnes)

C’était hallucinant ! Après le dessert, j’ai dit à mon commis : « On a bien travaillé, on n’est pas les derniers. » Mais je pensais qu’on serait troisièmes, surtout face aux équipes concurrentes qui étaient vraiment très fortes. Quand des gens venus du monde entier se sont mis à scander « Luxembourg ! », c’était vraiment fort, j’ai peut-être versé une petite larme ! Je suis très content pour le Luxembourg et surtout pour Lucas. Il a 24 ans, mais il est bien plus qu’un commis, pour moi c’est un vrai cuisinier. Il travaille actuellement chez « Archibald De Prince », à Echternach. Mais pour moi, cette victoire ne change rien : je ne compte pas ouvrir un restaurant et je vais rester enseignant. Je me plais vraiment ici, à l’EHTL. Par contre, nous recevons encore plus de demandes de formations en cuisine végétale ou de demandes de la part de producteurs souhaitant qu’on élabore des recettes pour eux. Avant le Global Chefs Challenge, on recevait peut-être un mail par semaine, maintenant c’est presque tous les jours. Beaucoup d’élèves souhaitent aussi désormais participer à des compétitions. Concernant l’impact de ce prix sur le nombre d’élèves à l’EHTL, on verra au moment des inscriptions, mais je suppose que ce résultat va encore accroître la confiance dans l’école à travers le pays et la Grande Région.

Pensez-vous retenter l’aventure ?

L’association Vatel m’a demandé de participer dans la catégorie Senior, mais j’ai refusé. Ce n’est pas à l’ordre du jour, parce que nous avons déjà beaucoup de projets à l’école hôtelière : je participe avec des élèves à plusieurs compétitions et nous serons également plusieurs mois au pavillon du Luxembourg à Osaka, au Japon, pour l’Exposition universelle.

Le restaurant du chef René Mathieu, La Distillerie, une étoile au Michelin, a été nommé à deux reprises meilleur restaurant de légumes du monde. Comment expliquez-vous le succès du Luxembourg en matière de cuisine, végétale en particulier ?

On a toujours été forts en cuisine. Léa Linster a quand même été la première femme au monde à remporter le Bocuse d’Or ! Je crois que c’est parce que nous bénéficions d’un bon mélange. Le Luxembourg est un pays qui adore la gastronomie, et où l’on peut manger dans des restaurants gastronomiques, car ce n’est pas un pays pauvre. Nous avons également l’influence des grands cuisiniers de France, mais aussi nos propres racines, une cuisine plus simple, régionale. Et c’est à la mode de travailler à nouveau avec des produits d’antan : herbes, champignons, légumes… Le problème cependant au Luxembourg, c’est le manque de personnel. Les meilleur·es cuisinier·ères n’ont pas toujours le temps de participer aux compétitions. Certains pays versent le salaire pendant un an pour se préparer aux concours ou proposent une indemnité au patron, par exemple. Ici, on le fait pour le vélo, mais pas pour la cuisine. Donc les candidat·es ne sont pas nombreux·ses.

Dernière question à l’approche des fêtes de fin d’année : qu’avez-vous prévu de concocter pour vos proches pour Noël ?

Ce sera faux gras en entrée et Wellington végan en plat principal. Et pour le dessert, une pavlova, végane évidemment. Ce n’est pas aussi traditionnel que la bûche, mais ma copine adore !

Pour commander le livre de recettes végétales de l’EHTL (à découvrir sur ehtl.lu/ehtl-shop/mmmmh), il suffit d’envoyer un courriel à shop@ehtl.lu (49 euros). La vente du livre contribue à financer des projets pédagogiques à l’EHTL et à promouvoir la renommée de l’école.

La recette du chef Lentz : faux gras

(© Nicole Michalou/pexels)

Pour un repas de Noël 100 % végétal, le chef Steve Lentz nous propose de commencer par un faux gras (foie gras végan), dont voici la recette, suivi d’un Wellington et d’une bûche, à retrouver dans le livre de cuisine de l’EHTL.

Recette de faux gras pour 8 personnes :

Ingrédients :

• 300 g de noix de cajou, trempées 8 heures
• 55 g de beurre de cacao
• 55 g d’huile de coco
• 6 g d’huile de truffe
• 30 g de tahini
• 30 g de levure nutritionnelle ou levure maltée
• 45 g de miso blanc
• 3 g de champignons secs, par exemple cèpes, shiitakés, trompettes-de-la-mort, etc.
• ½ cuillère à café de piment d’Espelette
• 8 g de sel
• 20 g de cognac
• 150 g d’eau

Préparation :

1. Égoutter les noix de cajou trempées et les sécher avec du papier absorbant.
2. Dans une casserole, faire fondre le beurre de cacao et l’huile de coco.
3. Rassembler tous les ingrédients dans le blender et commencer à mixer le faux gras à basse vitesse.
4. Augmenter la vitesse et continuer à mixer pendant 2 minutes.
5. Insérer la farce dans une poche à douille munie d’une douille en étoile.
6. Conserver à température ambiante.


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