Depuis l’arrivée d’Elly Schlein à la tête du Parti démocrate italien, en 2023, la formation de centre-gauche reprend des couleurs. La dirigeante de 39 ans affiche des convictions ancrées à gauche et présente une personnalité atypique dans la politique italienne. Elle apparaît comme une alternative crédible à la première ministre d’extrême droite, Giorgia Meloni.

Elly Schlein photographiée à Bologne en 2015, l’année où elle avait quitté le parti démocratique, avant d’y revenir l’an dernier et d’en prendre la tête. (Photo : Francesco Pierantoni/Wiki Commons)
Les représentant·es du Parti démocrate sont les plus nombreux·euses au sein du groupe socialiste au Parlement européen dans la nouvelle législature qui s’ouvre. Ce résultat reflète les performances du parti dans toutes les élections récentes, municipales et européennes. À ces dernières, il a obtenu 24,11 % des suffrages, son score le plus important après des années de crise.
Depuis mars de l’année dernière, c’est une femme, Elly Schlein, qui dirige le principal parti de centre gauche italien et principal parti d’opposition, né en 2007 de ce qui était à l’origine le Parti communiste italien et de ce qui restait de la Démocratie chrétienne. La nouvelle « segretaria » avait été élue lors de primaires ouvertes à tous et toutes (comme d’habitude dans l’histoire récente du parti), membres et sympathisant·es. Elly Schlein venait alors de se réinscrire au parti dont elle avait été membre jusqu’en 2015. Elle l’avait quitté après avoir défini l’orientation de « centre-droit » adoptée par la formation sous Matteo Renzi, quand il était premier ministre. Elle doit principalement son élection à la tête du parti aux votes des non-membres, les adhérent·es ayant largement opté pour son challenger, le président de la région Émilie-Romagne, Stefano Bonaccini.
Elly Schlein est un personnage unique sur la scène politique italienne. Elle est la première femme à diriger un parti de gauche, elle est jeune (en Italie, à 39 ans, on est encore considéré comme jeune, surtout si l’on décide de se consacrer à la politique) et possède plusieurs citoyennetés. En plus de sa nationalité italienne, elle est également Suisse et Américaine. Elle est née à Lugano dans une famille d’intellectuels. Son père est un politologue américain d’origine ukrainienne. Les ancêtres d’Elly Schlein étaient juifs et avaient quitté leur village près de Lviv pour émigrer aux États-Unis. Sa mère est italienne et enseigne le droit à l’université. Le grand-père maternel d’Elly Schlein, Agostino Viviani, était un partisan et un militant du parti socialiste sous la dictature fasciste. Il avait ensuite été député socialiste jusqu’à la fin des années 1970.
La politique en hérédité
Ce contexte familial baigné de politique explique peut-être l’engagement militant précoce d’Elly Schlein. En 2008, elle avait participé, en tant que bénévole, à la campagne électorale de Barack Obama et y avait à nouveau pris part en 2012. Pendant ces mêmes années, elle avait également fondé une association étudiante à Bologne, où elle avait obtenu son diplôme de droit, pour s’attaquer à des questions qui ont toujours été quelque peu snobées par la politique italienne, y compris à gauche, comme l’état des prisons et les politiques d’accueil des migrants. C’est durant cette période qu’elle avait rejoint le Parti démocrate.
Elle s’était ensuite distinguée lors des élections pour le président de la République en 2013. Dans le régime parlementaire italien, celui-ci est élu lors d’une session conjointe entre les député·es et les sénateurs. Le candidat de centre-gauche était alors Romani Prodi. Mais, quand il s’était avéré que 101 parlementaires du Parti démocratique n’avaient pas voté pour lui, Elly Schlein avait décidé, avec d’autres jeunes militant·es, d’occuper les bureaux du siège de la formation. L’objectif de la contestation était de remettre en question toute la structure du parti, qui était immobile et dominée par les intérêts des dirigeants historiques qui se battaient entre eux, donnant l’image d’une formation dépassée, incapable d’accepter les changements de la société.
Aux élections générales, qui s’étaient déroulées la même année, le Mouvement 5 étoiles avait recueilli presque le même nombre de voix que le Parti démocrate. Mais ce dernier s’était montré sceptique sur la formation d’une alliance avec ce nouveau mouvement et il n’avait fait preuve que de timides ouvertures. En raison également de l’hostilité du Mouvement 5 étoiles, le Parti démocrate avait finalement formé un gouvernement avec Forza Italia de Silvio Berlusconi.
De 2014 à 2019, Elly Schlein était députée européenne. Elle avait été rapporteuse de plusieurs projets de directives, dont l’une sur la protection internationale des immigré·es en Europe. Et c’est précisément sur le sujet de l’immigration qu’Elly Schlein avait à nouveau fait parler d’elle, avec une vidéo devenue virale début 2020. On l’y voyait poursuivre Matteo Salvini, le chef de la Lega, aujourd’hui ministre du gouvernement Meloni, pour lui demander pourquoi son parti avait déserté toutes les réunions européennes sur le traité de Dublin. Un paradoxe, alors que la formation d’extrême droite oriente toute sa politique sur les questions d’immigration. La propagande de la Lega a toujours accusé l’Europe de laisser l’Italie seule face aux débarquements de migrant·es, mais ses élu·es avait en effet séché les commissions du Parlement européen dans lesquelles se négociaient des modifications du traité de Dublin. Dans la vidéo, on voit Matteo Salvini se dérober face aux questions d’Elly Schlein et tourner les talons sans fournir d’explication.
Un symbole fort
C’est aussi en 2020 qu’Elly Schlein est devenue plus populaire en Italie, en se présentant aux élections régionales en Émilie-Romagne, où elle a décroché le poste de vice-présidente. Une fonction qu’elle abandonne un plus de deux ans plus tard, quand elle décide de se présenter aux primaires du Parti démocratique. Son adversaire était le président régional Stefano Bonaccini. Dans cette élection aux allures de derby, les chances de l’emporter étaient assez maigres pour Elly Schlein, face à un Bonaccini qui exprimait les tendances les plus modérées du parti. Et aussi plus rassurantes pour l’électeur classique, qui préfère un candidat avec une expérience d’administrateur d’une région traditionnellement à gauche, plutôt qu’une jeune-femme peu connue au niveau national et qui, jusque-là, avait été principalement députée européenne.
Le Parti démocrate est une formation traditionnelle qui se caractérise parfois par la lourdeur de sa structure, inadaptée au monde d’aujourd’hui. Au cours des dernières années, les secrétaires se sont succédés, tous quelque peu bureaucratiques et sans charisme particulier, à l’exception de Matteo Renzi. Mais celui-ci a malheureusement fait prendre un virage résolument néolibéral à son parti sur les questions de politiques économiques.
Le fait qu’une personne issue du monde associatif, une femme, qui plus est jeune, ait réussi à se hisser au sommet du parti est symboliquement important dans le paysage politique italien, où elle représente l’anti-Meloni par excellence : elle affiche des convictions de gauche, est ouvertement homosexuelle (ce qui ne va pas de soi en Italie) et présente un profil plus international, tant sur le plan personnel que politique. Dans un contexte européen où les partis du centre ou modérés sont de plus en plus en difficulté, Elly Schlein arrive à point nommé en montrant qu’une alternative efficace au modèle Meloni est possible.