Justice fiscale
 : Les contradicteurs


Après les révélations Luxleaks, la nécessité de débattre sereinement de la politique fiscale mise en pratique par le gouvernement et la place financière était devenue urgente. Reste à savoir si le collectif Tax Justice Lëtzebuerg fera le poids.

Faire de la justice fiscale un thème accessible à tout le monde, c’est une des priorités du collectif « Tax Justice Lëtzebuerg ». (photo : © Ekkehart Schmidt-Fink)

Faire de la justice fiscale un thème accessible à tout le monde, c’est une des priorités du collectif « Tax Justice Lëtzebuerg ». (photo : © Ekkehart Schmidt-Fink)

Atmosphère bon enfant ce mercredi à l’entrée des Rotondes, juste avant la première conférence de presse du collectif Tax Justice Lëtzebuerg. La question est de savoir combien de médias vont s’intéresser à ce regroupement de « Knaschtbeschmotzer » – car les membres du collectif sont bien conscients que critiquer la place financière revient, pour certains, toujours à de la haute trahison. Mais au plus tard à l’arrivée des caméras de RTL, ils se savent pris au sérieux.

Et pour cause, car les réflexions critiques par rapport aux pratiques nationales ne datent pas d’hier, comme l’a expliqué Mike Mathias – qui, en tant que conseiller d’État, est le seul à exercer une fonction politique dans le collectif : « Tout ça a commencé au cours des années 1990, lorsque des personnes de la société civile se sont posé des questions déontologiques sur le blanchiment et d’autres pratiques qui avaient cours sur la place financière. Depuis, beaucoup de choses ont évolué positivement sur ces questions. Cela n’empêche que, au moins depuis la crise financière, de nouvelles questions ont fait leur apparition. Qu’on se rappelle des vagues provoquées par la publication du ‘rapport Falk’ par le cercle des ONG. Mais, finalement, ce furent les révélations Luxleaks qui ont fait que chacun de nous voit maintenant noir sur blanc que le Luxembourg aide des multinationales à éviter des taxes – ce qui a provoqué une sensibilité accrue du public sur ces questions. »

No Representation 
without Taxation

Le point de départ de la fondation du collectif a été la tribune « Net a mengem Numm » publiée par Luc Dockendorf – désormais porte-parole de Tax Justice Lëtzebuerg – et l’historien Benoît Majerus dans le Wort en novembre 2014. Depuis, ça remuait en coulisse et, petit à petit, le collectif s’est cristallisé autour des personnes qui le forment maintenant.

Pour Luc Dockendorf, le problème de la justice fiscale se joue à plusieurs niveaux. D’abord à l’international – les pays en développement perdent environ 1,3 trilliard de dollars de revenus fiscaux potentiels à cause des flux financiers illicites, ce qui relativise sérieusement les 140 milliards de dollars d’aide au développement. Puis au niveau des pays développés : « Ici se pose la question de la justice sociale : le système, tel qu’il est pratiqué à l’international, peut-il toujours garantir une redistribution adéquate des biens ? », demande Dockendorf avant d’enchaîner sur le national : « Est-ce qu’un État auquel des revenus fiscaux viennent à manquer peut toujours assumer son rôle et assurer toute la redistribution sociale nécessaire à ses citoyens ? On connaît la maxime ‘Pas de taxation sans représentation’, mais on peut très bien la retourner et dire ‘Pas de représentation sans taxation’. »

On le voit, le champ auquel Tax Justice Lëtzebuerg veut s’attaquer est très vaste. C’est pourquoi le programme que le collectif s’est imposé ratisse aussi dans la largeur. D’abord, il s’agira d’analyser le phénomène de la justice fiscale à tous les niveaux et dans toute sa complexité. Le collectif dit ne pas s’intéresser uniquement aux aspects économiques du sujet, mais faire aussi appel à la sociologie, l’anthropologie et l’histoire. De plus, il entend aussi regarder de près les retombées d’une politique favorisant l’évasion fiscale sur tous les secteurs de la vie publique, la culture incluse. Ce qui, après la nomination d’un avocat d’affaires au poste de secrétaire d’État à la Culture, semble plutôt pertinent.

Puis intervient la partie plus difficile : instaurer un débat. On sait les réticences de tous les gouvernements à évoquer publiquement les pratiques de la place financière. Ce qui est compréhensible, vu que la discrétion a toujours été et sera probablement pour longtemps encore un des principaux atouts du « business model » à la luxembourgeoise. Pourtant, dans une démocratie, il faut pouvoir débattre de tout. La revendication de Tax Justice Lëtzebuerg est donc de se réapproprier ce pan de la vie publique, de le sortir du silence et d’en faire enfin un objet dont tout le monde peut débattre. Selon Luc Dockendorf, il n’est d’ailleurs pas question de mener ce débat entre personnes déjà acquises à la cause de la justice fiscale : « Nous voulons expressément dialoguer avec des personnes du secteur et des représentants du gouvernement », a-t-il précisé.

Débats difficiles

Les lanceurs d’alerte sont une autre priorité du collectif, même si, sur ce sujet, il préfère temporiser. À la question de savoir si le collectif se voit aussi comme un réceptacle potentiel pour des lanceurs d’alerte à l’avenir, Mike Mathias a répondu que non : ces personnes feraient mieux de s’adresser à l’ONG Transparency International – qui a saluée la constitution du collectif dans un communiqué. Cela n’empêche que Tax Justice Lëtzebuerg se propose de « travailler de concert avec toute personne physique ou morale, y compris des lanceurs d’alerte, que ce soit au niveau luxembourgeois, européen ou international qui s’inscrit dans la promotion de la justice fiscale ». Pourtant, le collectif a assuré de ne pas intervenir dans le procès contre Antoine Deltour, Edouard Perrin et un deuxième collaborateur de PriceWaterhouseCoopers qui débutera le 26 avril – ironiquement le jour prévu pour la déclaration sur l’état de la Nation par Xavier Bettel. C’est un peu dommage, car même si la séparation des pouvoirs existe, se mesurer à la justice luxembourgeoise très vindicative quand il s’agit d’attaques contre la place financière serait aussi entré logiquement dans l’horizon des revendications formulées.

Finalement, le dernier axe autour duquel le collectif s’inscrit est la transition vers un modèle économique plus durable et responsable. Et c’est justement là où l’idéologie prend le pas et que Tax Justice Luxembourg se rend attaquable par ses détracteurs. Car les réactions ne se sont pas fait attendre, d’une journaliste qui voulait user de l’argument d’autorité – dans le genre : vous n’avez pas les compétences pour parler de cette matière, alors comment voulez-vous espérer peser dans le débat ? – à l’allumage en règle par tweets interposés de la part de Nicolas Henckes, le secrétaire général de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). Xavier Bettel du moins semble les prendre au sérieux. Ainsi, au cours de son briefing de ce mercredi, il a assuré encore une fois que le pays avait fait des efforts pour corriger les erreurs du passé et s’engagerait pour un « level playing field » au niveau de l’OCDE. Au collectif Tax Justice Lëtzebuerg de lui prouver que tout cela est bien bon, mais insuffisant.

Plus d’informations : www.taxjustice.lu – le premier événement organisé par le collectif sera une conférence avec Christian Chavagneux, éditorialiste aux « Alternatives Économiques », le 27 janvier à 20h aux Rotondes.

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