Listes DiEM25 : « Dans l’UE, contre cette Europe »

Le philosophe croate Srećko Horvat est candidat en Allemagne pour les élections européennes de mai prochain sur la même liste que Yanis Varoufakis. Les deux leaders de la coalition transnationale progressiste du Printemps européen entendent bousculer l’establishment bruxellois de l’intérieur.

Srećko Horvat, candidat aux Européennes aux côtés de Yanis Varoufakis. La candidature d’un grec et d’un croate doit signaler que la division Nord-Sud ou centre-périphérie n’a pas lieu d’être. (Photo : Oliver Abraham)

Chapeautée par le mouvement DiEM25 (Mouvement pour la démocratie en Europe 2025) de l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, la coalition du Printemps européen entend incarner une alternative à l’orientation néolibérale des institutions européennes et à leur technocratie. Il rassemble une gauche critique mais proeuropéenne. La coalition sera présente dans dix pays pour les prochaines élections européennes qui se tiendront du 23 au 26 mai prochain dans chaque État membre.

Face aux écologistes, aux sociaux-démocrates et à la gauche radicale, qui disposent déjà de groupes au Parlement européen, et à des partis bien implantés dans de nombreux pays, l’espace politique semble restreint. Mais le Printemps européen espère bien pouvoir envoyer quelques représentants à Strasbourg.

Tous ses candidats, parfois affiliés directement à DiEM25 ou à d’autres petits partis comme Génération.s de Benoît Hamon en France, Razem en Pologne ou Wandel en Autriche, seront unis par l’adhésion à un programme commun intitulé le « New Deal pour l’Europe ». Celui-ci met l’accent sur la démocratisation de la technocratie bruxelloise, la fin de l’orthodoxie financière et le lancement d’un vaste programme d’investissements pour la transition écologique.

C’est en Allemagne que sont candidats les deux cofondateurs de DiEM25 Yanis Varoufakis et Srećko Horvat. Le philosophe croate de 36 ans incarne une des nouvelles voix de la gauche dans les Balkans. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages qui explorent de nouveaux horizons d’émancipation. Avec Slavoj Žižek, il a coécrit « Sauvons-nous de nos sauveurs » (2013, éditions Lignes), un livre où les deux intellectuels dressent un bilan accablant des politiques d’austérité imposées par Bruxelles et imaginent une autre Europe.

woxx : Pouvez-vous revenir sur la création de DiEM25 en février 2016 ? 


Srećko Horvat : J’ai rencontré Yanis Varoufakis en 2013 à Zagreb, avant qu’il ne devienne ministre des Finances. J’étais à Athènes pendant le référendum de 2015, comme de nombreux activistes de toute l’Europe. Tout semblait possible alors. Souvenons-nous que plus de 61 pour cent de la population avait voté pour le non à l’austérité. Ce « printemps grec » a été écrasé par la troïka, et après la démission de Yanis Varoufakis, nous sommes arrivés ensemble à la conclusion – peut-être utopique à l’époque – que seul un mouvement paneuropéen pouvait nous sortir de cette impasse où même les gouvernements nationaux n’ont aucun pouvoir face aux grandes institutions financières et aux banques privées. Aujourd’hui, nous avons plus de 100.000 membres à travers l’Europe qui soutiennent la nécessité d’un Green New Deal. D’ailleurs, une lutte transnationale émerge autour de cette idée, avec Alexandria Ocasio-Cortez aux États-Unis et aussi la mobilisation mondiale des jeunes pour le climat.

De nombreux partis de gauche en Europe n’ont pas de position claire sur le fait de rester ou non dans l’UE. Pourquoi êtes-vous opposés à toute sortie ?


Notre position se résume ainsi : à l’intérieur de cette UE, contre cette UE. Il suffit de regarder le Brexit pour comprendre comment peut tourner le processus de sortie. Cela me rappelle « El ángel exterminador (L’ange exterminateur) », un grand film de Luis Buñuel sur un groupe de personnes bloquées à un dîner sans possibilité de s’échapper. De nombreuses péripéties surréalistes s’ensuivent. Et quand bien même quelqu’un réussirait à quitter la maison, que ce soit l’UE ou la zone euro, que faire ensuite ? Aller vers la Russie, la Chine ? Il n’existe pas d’îlot géopolitique dans un monde multipolaire, même pas la Suisse. En dehors de l’Europe, il faudra faire un choix. On dirait que plus personne sur le continent ne comprend la géopolitique. Nous sommes donc pour plus de coopération transnationale, mais pas de la façon dont cela se passe actuellement dans l’UE.

Dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, vous affirmez que le Printemps européen est la « première liste transnationale ». Pourtant, les électeurs votent toujours à un niveau national. 


Quand vous dirigez un mouvement paneuropéen et que vous avez des candidats dans plusieurs pays, la première chose que vous remarquez, c’est combien les règles sont différentes en fonction des États. C’est souvent surréaliste. Ici il faut récolter 5.000 signatures pour se présenter, là 150.000 ! C’est un scandale que les listes transnationales n’existent toujours pas. C’est pourquoi nous en simulons une. Il est possible de voter pour notre programme et notre liste dans n’importe quel pays. Notre programme est cohérent et s’applique à l’ensemble de l’UE. Par comparaison, les partis nationaux affiliés à un même groupe parlementaire – que ce soit les conservateurs, les écologistes ou même la gauche – ont des programmes parfois contradictoires, par exemple sur l’euro ou sur les migrations.

Pourquoi vous présentez-vous en 
Allemagne avec Yanis Varoufakis ?


L’Allemagne est le pays dominant de la zone euro. La candidature d’un grec et d’un croate envoie un message fort à l’establishment européen et à l’électorat : la division Nord-Sud ou centre-périphérie n’a pas lieu d’être. C’est en dépassant la traditionnelle politique nationale qui oppose les Allemands aux Grecs ou aux Croates que nous pouvons construire une Europe différente. J’ai aussi des motivations personnelles : le pays où je suis né n’existe plus, pas à cause de l’éclatement de la Yougoslavie, mais à cause de l’émigration massive des jeunes vers l’Allemagne. Plus de 350.000 Croates et au total plus d’un million de ressortissants de l’ex-Yougoslavie vivent en Allemagne. Il est aussi temps de parler des terribles problèmes économiques et politiques des Balkans, que ce soit la pollution ou le manque cruel d’investissements de la part de l’Europe.

« Construction of a Dam », William Gropper, 1939, commande de l’US Department of the Interior dans le cadre du New Deal (PD)

L’extrême droite gagne du terrain dans de nombreux pays. Matteo Salvini a aussi appelé à un « printemps européen » des populistes, qu’en pensez-vous ? 


Les mots de Salvini ont-ils eu un effet ? Aucun. Est-ce que quelqu’un a officiellement adhéré à ce printemps européen ? Non, car dans sa bouche ce sont des mots vides de sens. Je pense que les populistes et les conservateurs perdent du terrain, regardez la pagaille autour de Viktor Orbán. En même temps, vous avez aussi un establishment incompétent, avec des personnes comme Antonio Tajani qui affirme que Mussolini a fait « des choses positives ». Devons-nous avoir peur des populistes ou nous alarmer que le président du Parlement européen tienne ce type de discours sans devoir démissionner ?

Les grands vainqueurs des dernières élections européennes ont surtout été les abstentionnistes. Comment entendez-vous les convaincre de voter en mai ? 


Notre principal argument est le Green New Deal, un plan d’investissements verts de 500 milliards d’euros par an. Il sera financé par des obligations de la Banque européenne d’investissement. L’Europe a désespérément besoin d’investissements massifs dans les technologies vertes, les transports publics ou l’énergie solaire. Cela permettra la création d’emplois et sera lié à ce que nous appelons le dividende citoyen universel 1.

Dans votre programme, vous mettez l’accent sur des mesures réalistes qui peuvent être appliquées dans le cadre des institutions actuelles. Pourquoi ?


Ce sont des mesures qui peuvent être mises en place demain matin s’il y a une volonté politique, et sans changer les traités, ce qui est crucial. Nous pensons que pour nous débarrasser de tous les mauvais traités, nous avons besoin d’un processus constitutionnel. C’est pourquoi nous proposons dans un deuxième temps un réel processus démocratique paneuropéen pour rédiger une nouvelle constitution pour l’Europe.

Dans une tribune publiée par le média progressiste américain « The Nation », Yanis Varoufakis appelle de ses vœux une future Europe postcapitaliste. Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails ?


Nous devons mettre la technologie au service de l’humanité, et pas l’inverse. Nous avons aujourd’hui toutes les technologies permettant de créer, à la place de la dystopie actuelle, un avenir juste et durable. Concrètement, il faut utiliser l’automatisation et l’intelligence artificielle non pas pour aggraver les inégalités, mais pour libérer les individus des activités pénibles qu’ils exercent sans être correctement payés.

1 D’après le programme : « Nous mettrons en place un fonds citoyen détenu collectivement par les citoyens européens. Ce portefeuille inclura, entre autres, des actifs acquis par les banques centrales, un pourcentage des actions des entreprises introduites en bourse, ainsi que des revenus issus de la propriété intellectuelle. Chaque année, ce fonds distribuera un dividende citoyen universel qui permettra à chaque citoyen de bénéficier du fruit de l’activité économique. »

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