Le Centre national de la culture industrielle (CNCI) vient de fêter son deuxième anniversaire. L’occasion pour le woxx de s’entretenir avec sa présidente Marlène Kreins et d’en savoir plus sur cette structure aussi nouvelle qu’hybride.
woxx : En lisant votre dossier de presse, on a un peu du mal à situer le CNCI. Êtes-vous pour ou contre le Service des sites et monuments (SSMN) ?
Marlène Kreins : C’est un peu les deux à la fois. Dans cette dynamique, nous sommes un peu comme le Mouvement écologique. Nous collaborons là où c’est possible, mais nous nous réservons toujours le droit d’être critiques et d’organiser des piquets de protestation quand nous ne sommes pas d’accord.
Donc, vous pouvez monter un piquet devant le ministère et après y entrer pour des négociations ?
Oui, mais nous essayons en travaillant au plus près avec le SSMN de protéger des sites en amont, afin que nous puissions déterminer plus tôt ce qui sera sauvegardé, quel est le plan… Et aussi pour que nous soyons consultés sur la question – ce n’est pas pour rien que notre comité compte des historiens spécialisés sur la question.
« En travaillant au plus près avec le SSMN, nous essayons de protéger des sites en amont. »
Dans le cas des Keeseminnen, les anciens accumulateurs de minerai à la Rout Lëns à Esch, vous avez eu beau manifester – elles ont été détruites finalement pour un projet de nouveau quartier. Quels enseignements tirez-vous de cette bataille perdue ?
Le projet était trop avancé pour que nous puissions encore intervenir. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. D’abord nous avons fait le piquet, pendant le premier confinement en plus, nous avons donc pris des risques. Et nous avons essayé de voir toutes les parties intéressées. Nous avons eu des rendez-vous d’abord avec le ministère de la Culture, puis avec le SSMN, avec le promoteur et aussi avec la Ville d’Esch. Nous avons même pu organiser des visioconférences avec plusieurs acteurs. Le CNCI a proposé des idées alternatives qui auraient pu permettre de sauver ce monument industriel, mais elles ont toutes été refusées.
On a aussi pu avoir l’impression que, pour le ministère de la Culture, le CNCI et le promoteur IKO Real Estate (qui est tout sauf petit) jouaient sur le même plan. Vous partagez cet avis ?
Nous avons fait des analyses sur l’importance de ce bâtiment non seulement pour la ville d’Esch, mais aussi pour la Grande Région. Les autres acteurs en ont pris note, mais cela n’a rien changé à leur détermination. Le SSMN n’avait pas classé le bâtiment parce qu’il n’avait pas reconnu sa valeur historique, et quand nous sommes venus, il était trop tard. L’enseignement que nous en tirons est de travailler plus tôt avec les services sur les dossiers, pour tirer au clair au bon moment ce que le SSMN veut classer, tandis que nous essayerons d’y placer aussi ‘nos’ bâtiments supplémentaires.
Pourtant, juste après cette débâcle s’est produit un petit miracle : le CNCI – qui est une asbl − a obtenu une convention avec le ministère de la Culture en un temps record. Est-ce un petit sucre pour vous apaiser ou une invitation au dialogue ?
C’est un dialogue issu d’une volonté politique. La création du CNCI est d’ailleurs prévue dans l’accord de coalition et dans le ‘Kulturentwécklungsplang’ (KEP). Je crois que le ministère voulait avancer sur ses promesses. Même s’il faut ajouter que cette ouverture politique est nouvelle : elle n’était pas ou très peu présente ces dernières années. Notre avantage est de disposer de libertés. Le CNCI est plutôt consultant pour le SSMN et le ministère de la Culture.
Donc vous avez aussi donné un avis sur la réforme de la protection du patrimoine ?
Nous avons soutenu un de nos partenaires dans la rédaction de son avis, mais il n’a pas été considéré. Pourtant, je ne connais pas encore la version finale du texte. Nous n’avons pas été écoutés en commission parlementaire non plus.
Qu’est-ce qu’un ‘centre décentralisé’, comme vous décrivez le CNCI dans le dossier de presse pour son deuxième anniversaire ?
L’idée était de ne pas construire encore une structure qui fait la même chose que nos partenaires. Donc toutes les associations qui gravitent autour du patrimoine industriel, les amicales ou encore les petits musées. Il nous importe de ne pas créer de doublons. Mais nous sommes un point central qui peut guider les gens vers les autres sites. Voilà d’où vient le terme ‘décentralisé’.
« Cette ouverture politique est nouvelle : elle n’était pas ou très peu présente ces dernières années. »
Mais vous avez des bureaux ?
En ce moment, on est dans le bâtiment d’Esch 2022 sur le site Belval. Les négociations ont été assez fastidieuses, mais on a réussi finalement. À terme, nous souhaiterions quand même disposer de bureaux fixes, et pourquoi pas dans le hall des soufflantes ?
D’ailleurs, les soufflantes, est-ce encore possible de les sauver ?
Tout à fait. Leur état est même nettement meilleur aujourd’hui qu’il y a trois ou quatre ans, quand tout le monde disait que le hall des soufflantes devait être détruit. Nous avons immédiatement réagi et organisé des conférences pour montrer tout ce qui pourrait être fait dans un lieu pareil sans le détruire. Maintenant, nous avons élaboré un concept à la demande des ministres de la Culture et des Infrastructures et même eu un premier rendez-vous. Durant lequel il nous a été fait la remarque qu’il faudrait inviter encore d’autres ministres, puisque notre concept touche aussi à l’éducation. Donc nous avons eu une deuxième réunion avec cinq ministres. Peut-être qu’on en saura plus avant la fin de l’année.
Est-ce que vous aimeriez disposer de moyens plus importants, voire contraignants, pour sauver le patrimoine industriel ?
Non, nous sommes déjà contents que notre asbl soit reconnue par le monde politique et que son expertise soit prise en compte. Bien sûr, nous souhaiterions plus de notoriété et devenir un jour un vrai institut. Un peu comme le Centre national de littérature, mais pour la culture industrielle. Les connexions sont là – avec l’université par exemple –, il faudra juste un peu de volonté publique pour entamer cette croissance nécessaire.
« J’ai un peu l’impression que nous ne sommes pas vraiment dans les plans d’Esch 2022. »
Parlant de collaborations : entre les lignes de votre dossier de presse, on pense ressentir une certaine frustration par rapport à Esch 2022 et la signature de votre convention pour vos projets MinettRemix.
La convention est signée, mais il est vrai que nous avons dû attendre très longtemps pour avoir le résultat, comme beaucoup d’autres. J’ai un peu l’impression que nous ne sommes pas vraiment dans leurs plans. Nous avons planifié plusieurs expositions plus historiques et moins axées sur les moyens techniques que celles planifiées par Esch 2022. D’un côté, nous avons un projet avec Jean Goedert, Antoinette Lorang et Jacques Maas sur les paysages industriels et le changement urbanistique appliqué sur toute la région de la Minette. Il y a déjà eu une présentation en ce sens pour la Ville d’Esch. Puis nous sommes impliqués dans le projet des gîtes autour d’Esch. Nous participons aussi à la suite du projet ‘Retour de Babel’, commencé en 2007 pour la capitale européenne de la culture – un projet sur l’immigration qui travaillera sur la génération suivante. Finalement il y a encore un grand projet sur ‘Fraen am Minett’ – qui proposera un abécédaire des femmes importantes dans la région. Bref, tout est un peu ‘short notice’, mais je suis sûre que nous surmonterons aussi cette épreuve.